[Cannes 2021] “Soy Libre”, un docu intime, mature et sauvage à l’ACID
C’est un vieux cliché du cinéma documentaire, que l’on répète probablement aux aspirant·es cinéastes dans les écoles les plus consacrées : la 1ère loi du documentariste, c’est de s’effacer, se faire oublier du sujet filmé, ne pas causer bien...
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C’est un vieux cliché du cinéma documentaire, que l’on répète probablement aux aspirant·es cinéastes dans les écoles les plus consacrées : la 1ère loi du documentariste, c’est de s’effacer, se faire oublier du sujet filmé, ne pas causer bien sûr, et même ne jamais intervenir d’une quelconque manière que ce soit, afin de ne pas risquer de perturber le déroulement supposément “naturel” des choses.
Mais Laure Portier filme son frère, et c’est peut-être ce qui la pousse à autant participer, puisqu’après tout, avec un frère, on se chamaille, c’est une loi bien plus vieille encore. Dès l’ouverture, d’une dizaine ou quinzaine d’années antérieures à ce qui suivra, on découvre un “Nano” (sobriquet d’Arnaud) adolescent, dans le garage familial, déjà interrogé sur sa vie par sa sœur filmeuse. D’un air faussement sérieux, perturbé par quelques sourires intempestifs, il explique : “ici, à la cité, les choses sont devenues plus difficiles depuis Sarkozy…” Sa sœur l’interrompt : “mais pourquoi tu causes de Sarkozy ? Qu’est-ce que tu t’en fous de Sarkozy ? Réponds sincèrement !” (on retranscrit de mémoire).
Cette énergie conflictuelle s’imprime à tout Soy Libre, film sur un frère, mais tout autant sur une sœur qui tente de l’attraper. Nano est sans cadre : après une adolescence marquée par un abandon paternel, puis par des séjours en prison pour mineurs et en foyer, il partage désormais sa vie entre menus larcins et tentatives de fuite – à Alicante, où il rêve d’un nouveau départ, mais tombera dans la mendicité et dormira dans la rue, puis au Pérou, où il échappera de plus en plus aux radars.
>> À lire : “Val”, l'(auto-)portrait documentaire de Val Kilmer par Leo Scott et Ting Poo
Rebelle de cinémaLaure Portier équilibre avec une grande maturité formelle un dispositif hybride adapté au nomadisme et au tempérament de son frère, mêlant aux scènes à deux des extraits d’un journal filmé qu’elle lui a demandé d’enregistrer au cours de ses voyages, ainsi que d’autres éléments illustratifs, comme par exemple, les peintures murales que réalise Nano, souvent inspirées de sa vie.
Ce qui marque, c’est le mouvement d’éloignement inévitable qui peu à peu s’impose au film, qui semble rapidement se faire contre la montre, tant que les rendez-vous existent encore, avant que la distance et le silence rendent tout tournage impossible. Nano fuit vers on ne sait où, devient injoignable, s’en tire avec des excuses bidon (“Le portable de ma copine ne s’allumait plus !”). Quand il retrouve sa sœur, pour veiller au chevet d’une grand-mère malade (personnage central du précédent documentaire de Portier, Dans l’œil du chien), brûler un vieux scooter volé ou simplement se promener, quelque chose toujours résiste. Il aime de moins en moins qu’on le filme : trop conscient de ce qu’on fera de lui, pour le faire rentrer dans les clichés du rebelle de cinéma (scène hilarante où il anticipe les futures critiques du film : “Il a une rage, une colère, bon il est un peu débile, mais bon…”).
De plus en plus, Portier le laisse marcher au loin, sans trop lui coller aux basques. Nano est libre, ou cherche à l’être, c’est le titre du film dans la langue de ses pays d’adoption ; mais Soy libre, sans romantisme factice, est surtout un film sur le prix de cette liberté, à savoir la solitude. Il marque en tout cas la naissance d’une cinéaste.
Soy Libre de Laure Portier est présenté à l’ACID au Festival de Cannes 2021