[Cannes 2021] “Titane” : une Palme d’or inattendue et audacieuse
L’imagination (consistant à inventer une histoire totalement fantasque et un univers de cinéma à ce point décollé de tous les standards hexagonaux) et le courage (nécessaire pour imposer ce projet sensiblement hors des clous), Titane n’en manque...
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L’imagination (consistant à inventer une histoire totalement fantasque et un univers de cinéma à ce point décollé de tous les standards hexagonaux) et le courage (nécessaire pour imposer ce projet sensiblement hors des clous), Titane n’en manque pas. Ce sont même ses plus grandes qualités. Et c’est aussi un geste imaginatif et courageux dont a fait preuve le jury en décernant la Palme d’or au deuxième long-métrage de Julia Ducournau. Titane ne correspond en rien à l’idée banale que chacun, pour le meilleur et pour le pire, se fait d’une palme d’or : celle du grand film humaniste réalisé par un·e cinéaste déjà largement reconnu·e depuis 20, 30 ou 40 ans (Nuri Bilge Ceylan, Ken Loach, Bong Joon-ho, Kore-eda, pour citer des exemples récents). Malgré le succès d’estime de son 1er film Grave, c’est une réalisatrice jeune et jusque-là assez peu repérée internationalement que le jury a propulsé au sommet.
Le film est clivant, plus sidérant que vraiment abouti, imparfait (comme l’a dit elle-même sur scène Julia Ducournau, pointant la perfection comme une impasse) mais excitant, stupéfiant de maîtrise par endroits et un peu fragile à d’autres. C’est une palme inattendue, vraiment étonnante, qui affirme un point de vue original sur le cinéma et le désir très vif de faire bouger les standards esthétiques dominants. Courage et imagination donc, à tous les points de vue, dans le film primé et dans le choix de le primer.
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Coup d’éclatLa Palme à Titane, c’est aussi une belle opération pour le festival de Cannes. Le choix du jury rebranche avec vigueur le festival sur la jeunesse et le contemporain. Car Julia Ducournau n’est pas seulement la deuxième femme à obtenir la palme : elle est aussi, à moins de quarante ans, une des cinéastes les plus jeunes (après Steven Soderbergh à 26 ans et Emir Kusturica à 31 ans) à recevoir une palme.
Le coup d’éclat est si payant qu’il y a fort à craindre que ce palmarès ne comporte au fond qu’un seul gagnant, et que la répercussion médiatique de ce complexe échafaudage de récompense se concentre simplement sur Titane. Ce serait dommage car le palmarès est avisé aussi dans ses étages inférieurs. Les fans d’Annette regretteront peut-être qu’il n’ait pas obtenu davantage, mais on ne peut nier que le film était probablement le plus brillamment mis en scène de tout le festival. Renate Reinsve (Prix d’interprétation féminine) illuminait le film de Joachim Trier, Julie (en douze chapitres). La prestation empreinte de sauvagerie grunge de Caleb Landry Jones en mass murderer dans Nitram est ce que comporte de plus saillant le film discuté de Justin Kurzel.
Le Prix du jury n’apporte pas grand-chose à la gloire d’Apichatpong Weerasethakul, qui l’a déjà eu en 2004 pour Tropical Malady et a depuis obtenu la Palme pour Oncle Boonmee (en 2010). C’est néanmoins une belle idée de coupler son nouveau film Memoria avec celui de Nadav Lapid, Le Genou d’Ahed. Deux films très offensifs dans leur radicalité et leur formalisme affûté. Les appareiller, c’est là aussi, pour le jury, une façon de revendiquer un territoire de cinéma.
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C’est finalement la deuxième marche du palmarès qui est la moins convaincante. Juste en dessous de la Palme d’or, le Grand Prix manque un peu de caractère. C’est un choix original de porter si haut Compartiment 6, le deuxième long-métrage attachant et réussi du réalisateur finlandais d’Olli Mäki. Mais c’est affaiblir la portée de ce choix que de lui adjoindre un ex aequo aussi conventionnellement primable (et de fait multi primé dans tous les festivals du monde) qu’Asghar Farhadi (Un héros).
Enfin, on est partagé entre la satisfaction et l’agacement quant au prix du scénario accordé à Drive my car du Japonais Ryusuke Hamaguchi. C’est notre Palme d’or perso. On avait peur que le jury passe à côté et ce n’est heureusement pas le cas. Mais distinguer le film seulement pour son scénario (qui assortit avec inspiration plusieurs nouvelles de Murakami) paraît un peu étriqué pour une œuvre portée par une telle inspiration de cinéma. C’est quand même une belle victoire pour ce jeune cinéaste brillant, déjà sélectionné il y a trois ans avec Asako I & II et pas encore récompensé.
OupsUn mot enfin sur la cérémonie. Elle fut plaisante et drôle, essentiellement en raison de la gaffe de Spike Lee, révélant le titre du film palmé tente minutes trop tôt et impulsant à toute la soirée une énergie un peu burlesque, une tension entre fous rires et désir plus ou moins inconscient de bordel. Peut-être que le président du jury était si content de son coup qu’il ne voulait pas attendre davantage pour en mesurer l’effet.
Cette imperfection transgressive jusque dans le protocole de remise du prix allait en tout cas parfaitement à son film lauréat.