Cannes 2023 : ce que la sélection nous dit du monde (du cinéma, et en général)

L’annonce, il y a quinze jours, de la sélection officielle cannoise s’est faite dans un contexte paradoxal. D’un côté, l’industrie du cinéma français connaît un soulagement, voire une légère griserie : la fréquentation reprend et retrouve des standards...

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Léa Drucker et Samuel Kircher dans L'été dernier de Catherine Breillat

L’annonce, il y a quinze jours, de la sélection officielle cannoise s’est faite dans un contexte paradoxal. D’un côté, l’industrie du cinéma français connaît un soulagement, voire une légère griserie : la fréquentation reprend et retrouve des standards pré-pandémie, les scénarios collapsologiques de fin des salles et d’hégémonie du streaming n’apparaissent plus comme un fatum irréversible. Mais alors que les murs du cinéma paraissent consolidés, ceux de la société sont ébranlés par une crise politique et sociale violente dont on voit mal comment elle pourrait être résolue au moment du festival, qui se tient du 16 au 27 mai.

Le risque est grand que l’événement cannois, déjà perçu par l’opinion comme un étrange pandémonium doré où se télescopent la jet-set mondiale, l’industrie du luxe, les élites artistiques, les cinéphiles pointu·es…, paraisse comme à contretemps d’une actualité particulièrement à vif. C’est la charge des films de suturer cette supposée béance, de faire résonner sur les écrans quelque chose de la colère, de la désespérance ou des aspirations qui s’expriment dans ces mouvements sociaux.

La sélection officielle dessine une géographie attentive à faire entendre des nouvelles du monde dans sa pluralité

Si, au moment où nous bouclons cet article, aucune des sections parallèles (Quinzaine des cinéastes, Semaine de la critique, Acid) n’a encore été dévoilée, les films de la sélection officielle dessinent une géographie attentive à faire entendre des nouvelles du monde dans sa pluralité. Rarement le continent africain aura été aussi représenté : les réalisatrices tunisienne et sénégalaise Kaouther Ben Hania et Ramata-Toulaye Sy présenteront leurs films en compétition, tandis qu’à Un certain regard seront montrés les films de cinéastes venu·es du Soudan, du Maroc ou de la République démocratique du Congo.

Johnny Depp sur le tapis rouge

Ce gain de diversité s’accompagne d’un progrès vers la parité, puisque jamais autant de films signés par des réalisatrices n’ont été choisis en compétition : six cette année (Jessica Hausner, Catherine Breillat, Justine Triet, Alice Rohrwacher s’ajoutant aux deux cinéastes déjà citées). Le festival n’est pourtant pas à l’abri de polémiques, liées à la sélection hors compétition de la série The Idol de Sam Levinson (dont une partie de l’équipe s’est désolidarisée en l’accusant de promouvoir la culture du viol) ou encore la présence en ouverture de Jeanne du Barry de Maïwenn, occasionnant le retour sur le tapis rouge cannois de Johnny Depp – un an après son controversé acquittement.

Si la sélection officielle met en avant un nombre significatif de cinéastes émergent·es, on y retrouve aussi de nombreux palmés : Hirokazu Kore-eda, Nuri Bilge Ceylan, Ken Loach, Nanni Moretti, Wim Wenders et Martin Scorsese. Killers of the Flower Moon compte d’ailleurs parmi les films qui nous rendent le plus impatient·es : parce qu’il est adapté d’un récit très puissant de David Grann sur les meurtres en série dont a été victime la communauté indienne osage dans les années 1920 ; et parce qu’il orchestre la confrontation de deux alter ego scorsesiens successifs, jamais filmés ensemble par leur cinéaste fétiche, DiCaprio et De Niro.

L’écho des peurs et des espoirs

La compétition sera aussi le lieu d’un double et réjouissant retour de cinéastes majeur·es qui n’avaient pas tourné depuis dix ans : Catherine Breillat avec L’Été dernier, l’histoire d’une liaison entre une quadragénaire (Léa Drucker) et un garçon de 17 ans (Samuel Kircher, petit frère de Paul) ; Jonathan Glazer, absent depuis le saisissant Under the Skin (2013), et dont le nouveau film, The Zone of Interest (d’après Martin Amis), décrit le quotidien d’un camp de concentration en articulant trois points de vue.

Quels autres films nous aimantent ? Le thriller conjugal de Justine Triet, Anatomie d’une chute, avec Swann Arlaud et Sandra Hüller (interprète également du Glazer) ; Jeunesse, du grand documentariste Wang Bing, sélectionné en compétition (fait rare pour un documentaire) ; May December, dans lequel Todd Haynes organise la tumultueuse rencontre d’une actrice et du personnage qu’elle interprète, incarnés par Julianne Moore et Natalie Portman.

Enfin, en ouverture de la section Un certain regard, on découvrira Le Règne animal, le second film très attendu de Thomas Cailley (Les Combattants). Ce que l’on sait de son récit est riche de promesses et invite à la rêverie : l’espèce humaine y est affectée d’une étrange maladie qui transforme chaque individu en un autre animal (oiseau, loup, etc.) et l’exile dans la forêt. Le futur sera-t-il post-humain ? Le salut viendra-t-il du réensauvagement animal ? C’est, on l’espère, un des nombreux axes par lesquels le festival saura se faire l’écho des peurs et des espoirs qui nous travaillent.