"Cette Super League européenne existe déjà, il ne faut pas se leurrer"

FOOTBALL - À peine deux jours. Voilà le temps qu’a duré le schisme dans le football européen. Moins de 48 heures après l’annonce de la création d’une Super League par 12 clubs qui voulaient s’émanciper de la Ligue des champions, une petite...

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Kylian Mbappé et Lionel Messi -ici en février dernier- devraient pouvoir continuer à s'affronter en Ligue des Champions après l'implosion du projet de Super League européenne.

FOOTBALL - À peine deux jours. Voilà le temps qu’a duré le schisme dans le football européen. Moins de 48 heures après l’annonce de la création d’une Super League par 12 clubs qui voulaient s’émanciper de la Ligue des champions, une petite dizaine d’entre eux -et notamment les six clubs anglais- ont fait marche arrière. Dans le sillage de Manchester City, ils ont décidé de rester dans le giron de l’UEFA et de laisser pour l’heure le Real Madrid dans une situation inconfortable.

Comment est-on arrivé là? Que dit cet épisode de la situation du football européen et quelles conséquences cette crise peut-elle avoir sur l’avenir du ballon rond et du sport en général? Le HuffPost a posé les questions à l’un de ses blogueurs réguliers. Maire (LR) de Villers-sur-Mer, Thierry Granturco est surtout avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles et spécialiste de droit du sport impliqué dans le football depuis 25 ans.

Qu’est-ce qui a conduit les 12 clubs à vouloir s’émanciper?

Il y a, à mon sens, deux choses. La 1ère, c’est que c’est juridiquement possible. Quoi qu’en pensent l’UEFA et les responsables politiques qui se sont exprimés, les instances européennes ont la tête dure. Elles estiment que les fédérations sont dans une situation de monopole pour l’organisation des compétitions sportives, ce qui est légal. Seulement, ces fédérations n’ont pas le droit d’abuser de leur position dominante en interdisant la création de compétitions concurrentes. Donc les 12 clubs se sont dits, “on peut le faire”.

Le deuxième élément, c’est la situation sportive. Si l’on regarde sur 20 ans les cinq plus grands championnats européens et la Ligue des Champions, on constate que 14 clubs trustent tous les titres. Si on enlève l’exploit du Porto de Mourinho lors de la Ligue des Champions 2004, on compte seulement 8 clubs qui ont gagné le titre et les revenus qui vont avec. En réalité, cette Super League européenne existe déjà. Il faut arrêter de se expliquer des histoires.

La Ligue des champions n’est pas une ligue fermée...

L’UEFA met en scène la compétition avec des tours préliminaires, des poules qualificatives, mais chaque année, il y en a beaucoup qui participent, mais ce sont très souvent les mêmes qui gagnent. Donc au final, les 12 clubs ont pensé: depuis 20 ans, c’est toujours nous qui gagnons, mais on doit partager l’argent avec beaucoup de clubs qui quittent la compétition très vite, mais prennent quelques millions au passage. Ils n’ont fait qu’aller au bout de leur raisonnement.

Pourquoi tout a explosé en 48 heures?

L’UEFA a été stratégiquement très bonne et les 12 clubs ont été catastrophiques. Autant j’ai senti que leur dossier était juridiquement blindé et on peut supposer qu’il était financièrement irréprochable, mais le timing était très mauvais. Il ne fallait pas être un grand devin pour imaginer qu’à deux tours de la fin de la Ligue des champions et à quelques semaines de l’Euro, l’UEFA allait réagir de manière agressive. Ce qu’elle a fait. Il fallait sortir le projet en janvier pour se donner le temps de la discussion, ou en plein Euro en espérant que l’attention serait concentrée sur les matches avec des réactions moindres. Ici, en avril, c’était intenable.

Ce n’est pas cette Super League qui aurait fait que le foot devienne un business. C’est le cas depuis de nombreuses années et l’UEFA n’y est pas étrangère."

Les menaces d’exclusion de l’UEFA ont donc fonctionné...

L’UEFA a très bien joué en mettant une pression tous azimuts avec les fédérations nationales, les responsables politiques, les joueurs et les supporters. L’UEFA a pris les 12 clubs en tenaille entre d’une part les ligues nationales qui menaçaient les clubs en question d’exclusion et de l’autre les joueurs. Ils sont montés au créneau en disant que s’ils ne peuvent plus jouer avec leur équipe nationale, ils casseraient leur contrat ce qu’ils auraient eu le droit de faire. Finalement, les 12 clubs se sont retrouvés à sortir un projet dont ils avaient mal mesuré la mauvaise presse.

Avez-vous été surpris par la levée de boucliers unanime ?

Je n’ai pas été surpris, mais je la trouve intellectuellement malhonnête. Ce n’est pas cette Super League qui aurait fait que le foot devienne un business. C’est le cas depuis de nombreuses années et l’UEFA n’y est pas étrangère; elle-même qui modifie chaque année les compétitions pour en augmenter les revenus avec un intérêt sportif qui tend à diminuer. Que l’UEFA crie au scandale avec derrière elle tous les acteurs qui vivent de ce système-là ne me paraît pas raisonnable.

Le passionné de foot que je suis est contre cette Super League, mais si j’essaie d’analyser les positions, je trouve qu’il y a eu des prises de position indécentes. Dire que le Real Madrid est le fossoyeur du foot, ça n’a pas de sens. Les 12 clubs voulaient institutionnaliser une situation de fait parce que c’était juridiquement possible. Ils se sont pris un camouflet, dont acte.

On voit assez facilement qui sont les perdants de cet épisode. Mais identifiez-vous des gagnants ?

Je pense que finalement, il n’y aura que des perdants dans cette crise. Notamment parce que l’UEFA va devoir faire des efforts, il ne faut pas se leurrer. Elle va continuer à renforcer les revenus des plus riches, des plus médiatiques et bankables. Elle va ressortir la tête haute officiellement, mais officieusement, elle va devoir revoir son système pour favoriser ces clubs. Quant aux joueurs, ils n’avaient à mon sens rien à y gagner ou à y perdre.

On va voir des compétitions privées surgir et c’est un risque pour l’organisation du sport tel que nous le connaissons."

Il n’aurait donc pas de conséquence ?

Ce que j’identifie - et je ne suis pas sûr que ce soit un changement positif - c’est qu’on a vu pour la 1ère fois que créer des compétitions parallèles est juridiquement possible. Cela ne passe pas dans le foot, mais dans certains sports moins médiatiques qui ne vont pas mobiliser les politiques, ça passera plus facilement. On va voir des compétitions privées surgir et c’est un risque pour l’organisation du sport tel que nous le connaissons.

Si dans le sport demain, les organisateurs de compétitions privées peuvent briser le monopole des fédérations, c’est tout le système pyramidal qui va s’écrouler. Les sports bien établis n’ont pas grand-chose à craindre, mais j’ai peur pour des sports moins riches comme les sports de combat par exemple. Si demain quelqu’un arrive et met assez d’argent sur la table, cela pourrait être dur pour des sportifs de résister. Imaginez, s’ils peuvent prendre autant d’argent dans une compétition privée que ce qu’ils gagnent sur toute une année dans les compétitions officielles. Certains organisateurs peuvent avoir une puissance suffisante pour faire éclater ces sports.  

Comment y remédier ?

Pour éviter ça, peut-être que cet épisode va permettre de rediscuter pour de bon de l’exception sportive, cette demande française qui est rejetée depuis 20 ans au niveau européen. Un peu comme il y a une exception culturelle, il pourrait y avoir une exception sportive où on accepterait que dans certains cas, les règles de la concurrence ne s’appliquent pas. Je n’imagine pas qu’on revienne sur la libre circulation des joueurs, mais sur la protection du monopole des fédérations, c’est imaginable.

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