Chahinez: Non, l'État ne se donne pas tous les moyens de lutter contre les féminicides
Chahinez B. est morte le 4 mai dernier, brûlée vive sur un trottoir de Mérignac par le père de son enfant, décidé à “la punir” pour l’avoir quitté. L’immense émotion provoquée par l’horreur du crime conduit inexorablement à la question de savoir...
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Chahinez B. est morte le 4 mai dernier, brûlée vive sur un trottoir de Mérignac par le père de son enfant, décidé à “la punir” pour l’avoir quitté. L’immense émotion provoquée par l’horreur du crime conduit inexorablement à la question de savoir si celui-ci aurait pu être évité.
Cette question constamment formulée s’adresse d’abord à l’institution judiciaire et au gouvernement sommés de rendre des comptes.
Les ministres concerné.es ont prestement saisi l’inspection générale de la justice et l’inspection générale de l’administration pour “comprendre ce qu’il s’est passé et faire en sorte que cela ne se reproduise pas” a déclaré Elisabeth Moreno. Le garde des Sceaux s’est dit prêt à sanctionner tout dysfonctionnement “sans que sa main ne tremble”.
Bien… Sauf que le compteur macabre des féminicides ne cesse de tourner et que rien ne semble pouvoir l’arrêter. En France, comme ailleurs, les hommes tuent les femmes. Elles continuent de mourir en silence et sans déclencher aucune enquête administrative.
Il faut se rendre dans les salles d’audience pour constater à quel point des hommes peuvent se sentir atteints, diminués, menacés par la perte de la possession du corps de celles qu’ils considèrent être “leur” femme.
Qui a entendu causer des 38 autres femmes tuées avant Chahinez B. cette année déjà?
Et de toutes les autres avant elles?
En 2017, Djeneba Bamia a été assassinée par son ex-mari, chasseur et agriculteur du Lot de trois coups de fusil dans la tête. Elle bénéficiait pourtant d’une ordonnance de protection et lui était sous le coup d’une interdiction de port d’armes. Julie Douib est morte en Corse sous les tirs du père de ses enfants après qu’elle ait signalé à maintes reprises être en danger et qu’il allait la tuer. L’État condamné pour faute lourde, a récemment dû indemniser la famille d’Isabelle Thomas, abattue avec ses parents en 2014 par son ex-compagnon contre lequel elle avait déposé plainte.
Nous pourrions multiplier les exemples de ces femmes qui ont appelé à l’aide, ont été ignorées, délaissées et tuées.
Les institutions judiciaires et policières ne sont donc pas toujours à la hauteur des enjeux de protection. Certes. Pour Chahinez comme pour toutes les autres, il faut comprendre ce qui aurait dû être mis en place (téléphone grand danger, bracelet anti-rapprochement, interpellation, exécution des décisions de justice) et ne l’a pas été.
Pour autant, et sans ignorer l’urgente amélioration des mécanismes judiciaires, ne regarder que dans cette direction pour espérer que les femmes en danger aient la vie sauve, c’est ne se servir que du petit bout de la lorgnette.
Le gouvernement par la voix de sa Ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur a déclaré que “le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir”.
Cela n’est pas exact.
Protéger les femmes c’est insuffler une culture de la protection. C’est aussi doter la justice, la police et l’ensemble des auxiliaires de justice, avocat.es compris, des moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
La hausse du budget 2021 de la justice de 8% est annoncée comme historique. Elle l’est. Mais elle ne rattrape pas l’immense retard accumulé sur nos voisins européens. L’Allemagne dépense 131,20 euros par an et par habitant à la justice lorsque nous plafonnons à 69,50 euros.
L’augmentation du budget, comme chaque année, profite d’abord à l’administration pénitentiaire pour construire de nouvelles prisons. Pas à la prise en charge et à la protection des victimes de violences conjugales.
Les dysfonctionnements procèdent aussi d’une justice traitée comme le parent pauvre de notre démocratie.
Alors, Mesdames et Messieurs les Ministres, lancez des enquêtes. Puis créez des postes de magistrat.es! Vous assurerez que les jugements, y compris les ordonnances de protection, seront rendus plus rapidement. Soutenez ensuite les forces de l’ordre! Vous assurerez que des enquêtes et des interpellations, y compris de conjoints qui violent les décisions de justice, pourront être menées prestement. Renforcez enfin l’aide juridictionnelle! Vous assurerez aux avocat.es qui défendent les justiciables les moins favorisé.es, y compris les victimes de violences conjugales, qu’ils et elles auront les moyens de consacrer le temps et l’énergie nécessaires à leur mission de défense.
Rechercher d’éventuels dysfonctionnements et dénoncer le sempiternel manque de moyen cela est nécessaire, mais pas suffisant.
Les femmes continueront de mourir si l’on ne s’attaque pas aux causes structurelles de ces meurtres. Élargissons la focale et questionnons en profondeur nos structures sociales.
Les mécanismes qui conduisent au féminicide sont à ce point repérés qu’ils peuvent pratiquement faire l’objet d’un profilage: l’auteur, dans un geste souvent impulsif, se vit comme victime d’une rupture, d’un adultère, d’une haute trahison, d’un départ ou de toute autre dépossession ressentie comme intolérable. Si celle qu’il croit posséder lui échappe, s’émancipe et le fait en le remplaçant (par une grossesse, un enfant, un amant réel ou fantasmé), alors il lui faut impérativement se réparer en se réappropriant, par le viol ou le meurtre (les mécanismes sont les mêmes) le corps de la femme perdu.
C’est à ce prix-là que l’équilibre sera rétabli et l’offense réparée.
Le meurtrier de Chahinez B. ne fait pas exception. Il lui fallait la punir puisqu’elle avait un amant a-t-il dit.
Il faut se rendre dans les salles d’audience des Palais de Justice pour constater à quel point des hommes peuvent se sentir atteints, diminués, menacés par la perte de la possession du corps de celles qu’ils considèrent être “leur” femme. Puisqu’elle ne leur appartient plus, alors elle n’appartiendra plus à personne.
Seules les femmes doivent avoir la totale maîtrise de leur corps.
Pour le viol, la logique est la même: une fois violée, dépossédée, cette femme, dont le corps aura été repris par effraction par son “légitime propriétaire”, ne vaudra plus rien.
“Elle avait un amant, elle m’avait trahie, il fallait qu’elle paye″ déclarait récemment un homme jugé à Nantes pour le viol de son ex-compagne.
Tant que nous n’interrogerons pas notre fonctionnement collectif, les mécanismes archaïques et grégaires de possession, de contrôle et de réappropriation du corps des femmes, alors nous ne résoudrons rien.
N’ayons de cesse d’affirmer encore et toujours que seules les femmes doivent avoir la totale maîtrise de leur corps.
Interrogeons notre société construite sur un patriarcat mortifère qui confond violence et puissance, ou alors résignons-nous à vivre dans une société qui ne cessera, en dépit de toutes les enquêtes et mesures de protection possibles, à produire du danger et de la violence pour les femmes.
“Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant qu’un homme inquiet pour sa virilité″ disait Simone de Beauvoir.
L’actualité continue malheureusement de lui donner raison.
À voir également sur Le HuffPost: Le profil accablant de l’auteur du féminicide de Mérignac, 7 fois condamné