Charline Bourgeois-Tacquet, une cinéaste entre contrôle et folie
“J’adore marcher.” Elle nous le dit avant que l’on ait essayé de lui extorquer quelques confidences. À écouter Charline Bourgeois-Tacquet, réfugiée en cette fin juillet à l’abri de la chaleur dans le jardin d’un hôtel parisien, à la regarder...
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“J’adore marcher.” Elle nous le dit avant que l’on ait essayé de lui extorquer quelques confidences. À écouter Charline Bourgeois-Tacquet, réfugiée en cette fin juillet à l’abri de la chaleur dans le jardin d’un hôtel parisien, à la regarder expliquer qui elle est et d’où proviennent ses films, on décèle immanquablement derrière les héroïnes de ses fictions – intellectuelles volubiles, amoureuses entêtées, pressant toujours le pas pour ne pas laisser le temps filer – un autoportrait à peine maquillé.
Elle décrit le parcours de sa vie comme un chapelet de péripéties vécues dans une forme d’inconscience, le labeur des études (khâgne, hypokhâgne, licence de lettres, master à la Sorbonne) qui la passionnent sans qu’elle n’en connaisse la finalité et que l’urgence de devenir comédienne ne se fasse encore trop sentir. Elle se laisse convaincre par son directeur de mémoire de passer l’agrégation de lettres… ratée d’une place. “Un signe du destin”, s’amuse-t-elle.
L’été arrive, c’est peut-être le moment de se lancer, mais là encore, elle est happée par autre chose. Elle se laisse porter et guider – une autre manière de prendre congé de soi ? – par les conseils d’une amie qui la pousse à poser sa candidature pour un stage chez Grasset. Elle y signera vite un CDI en tant qu’assistante éditoriale. Les rencontres liées à son métier lui permettent de décrocher de petits rôles chez Lucas Belvaux, Philippe Le Guay et Mia Hansen-Løve.
“Il y a eu un moment où je me suis dit : ‘T’es là dans ton bureau, à travailler toute la journée sur les œuvres des autres, tu as tout à faire, pars !’ À ce moment-là, ma mère est retombée malade, je me suis dit : ‘C’est clair, elle va mourir, donc là il faut que je fasse ce que j’ai envie de faire’”.
Réveil des 25 ans. Elle rencontre le producteur Philippe Carcassonne à qui elle envoie deux scénarios : “Il les a lus hyper-vite et il m’a dit : ‘Ce court métrage-là, il faut le faire’ – c’était Joujou [charmant film bricolé autour de La Fausse Suivante de Marivaux] – ‘et ce sujet-là, il faut le développer’ : c’est devenu Les Amours d’Anaïs.”
Anaïs, l’évidence
Plus tard, elle imagine Pauline asservie, film court et comédie trépidante autour de l’attente amoureuse sélectionné à la Semaine de la critique en 2018 : “Je continuais de construire des films pour jouer, mais on avait du mal à financer le court sans actrice connue. Un jour, Stéphane Demoustier [son producteur] me dit : ‘Qu’est-ce que tu dirais de faire appel à une actrice plus confirmée ? Et Anaïs Demoustier ?’”
À l’époque, Charline ignore que le producteur et l’actrice sont frère et sœur et n’ose rêver à Anaïs. La rencontre “décisive” a lieu, la cinéaste et l’actrice se trouvent : “On se ressemble beaucoup, on a beaucoup de points communs, dans notre manière de travailler, alter ego de cinéma de part et d’autre. C’était la 1ère fois qu’elle travaillait avec une jeune réalisatrice de son âge, elle s’est tout de suite approprié la langue, elle est virtuose, surdouée, il y avait beaucoup de texte.”
L’actrice, elle, se souvient de l’évidence de la rencontre : “Il y a eu une grande entente entre nous, une entente artistique, on a tout de suite parlé de Roland Barthes, des Fragments d’un discours amoureux. Je pense qu’elle avait l’impression de trouver son double, ça ne m’était jamais arrivé de lire un scénario et d’avoir vraiment l’impression que les mots étaient écrits pour moi. Ce sont ses thématiques, ses obsessions, mais je me sentais comme un parfait vecteur pour sa langue.”
Pour incarner cette langue extrêmement drôle et sophistiquée, être pris dans la folie du personnage, dans son agitation, mouvement et fluidité sont la règle d’une mise en scène physique, inspirée du travail du chef opérateur Éric Gautier (Desplechin, Assayas, Chéreau…). “J’invente des trucs très anodins : le personnage va ranger ses classeurs, donc elle passe quatre fois dans la pièce, prend ses livres, son téléphone, le repose… Il faut animer la scène de l’intérieur”, décrit la cinéaste qui, pour trouver la chorégraphie de ses films, joue elle-même les scènes en amont.
Une méthode assez déroutante mais non moins exaltante pour Anaïs Demoustier : “C’est un peu spécial, c’est très contraignant, c’est une méthode qui demande à l’acteur de trouver son espace, sa liberté dans un cadre très précis. Mais j’aime ce genre de contrainte. L’enjeu pour moi était de doser pour que ce ne soit pas trop extrême. La folie de Charline est dans cet endroit de contrôle et, en même temps, ce qu’elle écrit cause de ça, du fait que le contrôle n’est pas totalement là. Ses personnages sont toujours débordés par des émotions, des instincts, des élans.”
Un documentaire sur l’amour
Ce principe de mise en scène, Charline Bourgeois-Tacquet le reconduit pour Les Amours d’Anaïs, présenté cette année à la Semaine de la critique de Cannes. Ce 1er long métrage, elle le réalise dans des conditions assez idéales, dans le confort d’une coproduction entre Année Zéro et Les Films Pelléas, mais aussi avec la pression qu’induit un précédent succès, les injonctions à refaire le même film étiré sur une 1 h 30 et la crainte d’un scénario trop sage.
“J’avais envie de expliquer une vraie histoire d’amour, 1er degré, tout en préservant le caractère excessif d’Anaïs. Ma pente naturelle, c’est la comédie, le second degré, la dérision. Je savais que j’avais une ambition et qu’il allait falloir la conquérir, ce qui n’était pas donné. Je me suis retrouvée paralysée comme une bouffonne. J’étais perdue, je ne savais pas.”
Suivent six mois d’arrêt durant lesquels elle trouve tout de même l’énergie de lancer un projet de documentaire sur l’amour, dont elle rêve depuis longtemps sur le mode de Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin. Mais il faudra attendre les réprimandes bienveillantes de son producteur David Thion et une rupture amoureuse pour que l’électrochoc advienne, que l’écriture reprenne.
“Je ne supporte pas de m’ennuyer, je ne supporte pas la tiédeur”
Dans Les Amours d’Anaïs, Pauline est devenue Anaïs (Demoustier, toujours), dans ce qui semble être le nouveau chapitre d’une même vie. Charline Bourgeois-Tacquet y ressuscite bien la verve burlesque de son précédent volet, mais elle y pose cette note nouvelle et surprenante, celle qui a trait au bouleversement des histoires d’amour mais aussi à la perméabilité du désir, à sa fluidité de genre. Dans ce fin portrait d’une trentenaire téméraire, elle pousse davantage le motif du mouvement et fait d’Anaïs Demoustier une véritable marathonienne, électron libre ouvert aux vents du hasard et de l’imprévu. Mais vers quoi court-elle ?
“Elle a envie de vivre de la manière la plus intense possible, elle court vers son désir et, bizarrement, quand elle le trouve, ça la calme. Elle ne se projette jamais, elle est dans le présent, elle suit ses impulsions, ses pulsions, sans s’en inquiéter. Elle a une forme d’insouciance, de liberté. Elle a l’impression que la vie peut s’arrêter à chaque instant. Je ne sais pas d’où ça vient, mais c’est vrai que je ne supporte pas de m’ennuyer, je ne supporte pas la tiédeur. C’est délirant à quel point ça me fatigue, même dans les petites choses de la vie quotidienne. Il faut toujours que les choses soient les plus merveilleuses possible.”
La suite, la cinéaste dit ne pas la connaître… Elle a pourtant déjà deux idées assez claires : “La suite des Amours d’Anaïs est possible, j’en ai une bonne tartine. Tout ça est inspiré de ma vie, donc si je explique la suite, ça va être carrément drôle…” À moins que son 1er désir ne l’emporte : “J’ai très envie d’écrire un portrait de femme de 55 ans, j’ai des bribes dans ma tête, ce sera beaucoup plus difficile à écrire parce que ce ne sera pas du tout moi, il faudra que je construise tout, y compris la langue de cette femme.”
Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet, avec Anaïs Demoustier, Valeria Bruni Tedeschi, Denis Podalydès (Fr., 2021, 1 h 38). En salle le 15 septembre