Chasse aux variants: pourquoi la France est toujours à la traîne
SCIENCE - Dans une guerre, tout stratège vous le dira, l’information est aussi importante que le fusil. Et face au coronavirus, la France a toujours cruellement manqué d’informations. Le nerf de la guerre en 2020, le test PCR, permettait d’avoir...
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SCIENCE - Dans une guerre, tout stratège vous le dira, l’information est aussi importante que le fusil. Et face au coronavirus, la France a toujours cruellement manqué d’informations. Le nerf de la guerre en 2020, le test PCR, permettait d’avoir une vision globale de l’ennemi, de sa circulation, de sa localisation. La bataille de 2021, qui a déjà débuté, se jouera clairement sur le terrain de la génétique.
Fin 2020, l’émergence de variants plus contagieux, voire plus virulents ou risquant d’échapper à l’immunité et aux vaccins, a clairement montré au monde entier que le suivi des mutations du Sars-Cov2 serait nécessaire pour s’assurer un contrôle de l’épidémie de Covid-19. À l’époque, la France n’était clairement pas préparée à l’arrivée du “variant anglais”.
4 mois et un confinement plus tard, les craintes se portent sur d’autres variants possiblement problématiques, détectés au Brésil, en Afrique du Sud ou, plus récemment, en Inde (même si leurs caractéristiques sont encore floues). Mais cette fois, la France est prête, à en croire le gouvernement. Le 22 avril, le ministre de la Santé Olivier Véran affirmait que “44.000 séquençages [de génomes du coronavirus, NDLR] ont été réalisés depuis février, 5000 la dernière semaine”. Ce qui placerait la France au “troisième rang européen”.
La réalité est bien plus nuancée. La surveillance des variants a certes progressé en quatre mois et les objectifs sont à la hauteur des enjeux, à savoir le contrôle de l’épidémie de Covid-19, ni plus, ni moins. Mais dans la pratique, notre système de renseignement génomique est loin, très loin d’être suffisamment efficace au vu des risques à venir.
Retard à l’allumage
La question génétique s’est imposée dans l’espace médiatique et politique depuis la découverte de 501Y_V1, le fameux “variant anglais”. S’il a été si vite analysé, c’est parce que le Royaume-Uni s’est lancé dans le séquençage à grande échelle très tôt. “En quelques semaines, entre mars et avril 2020, le consortium COG-UK était créé”, rappelle Florence Débarre, chercheuse au CNRS spécialiste de biologie évolutive.
Le Royaume-Uni devient alors le leader du séquençage de génomes du coronavirus. Fin 2020, le Royaume-Uni séquençait 34 fois plus de génomes viraux que la France. L’intérêt est multiple pour la compréhension du Sars-Cov2, mais aussi pour la surveillance de l’épidémie. Le coronavirus mute régulièrement, mais le risque, c’est que de multiples mutations changeant ses caractéristiques apparaissent. En les repérant tôt, on peut tenter de juguler la propagation d’un tel variant.
Pendant ce temps, la France séquence peu, très peu. “On était en retard en 2020 et nous avions sous-estimé la capacité à muter du coronavirus”, concède Bruno Coignard, directeur des maladies infectieuses à Santé publique France (SPF). “Début janvier, nous avons donc mis en place un consortium, EMER-GEN, pour accroître les capacités de séquençage françaises”. 4 grands laboratoires, spécialisés dans le séquençage génétique, sont choisis: les deux CNR (centres nationaux de référence) de Paris et Lyon, le groupe hospitalier d’Henri Mondor et l’IHU Méditerranée Infection. À ces quatre géants s’ajoute une quarantaine de laboratoires plus petits, habitués à travailler ensemble.
“Aujourd’hui, la capacité théorique de séquençage du consortium EMER-GEN est de 6000 génomes par semaine”. Au 19 avril, SPF dénombrait 44.000 génomes séquencés, 5000 sur la semaine du 12 au 18 avril.
Par rapport aux moins de 3000 séquences de l’année 2020, la progression est stupéfiant. Mais pas suffisante, note Bruno Coignard: “Cela veut dire que l’on séquence environ 2,2% des cas positifs, alors qu’il faudrait, selon différentes instances internationales, séquencer au moins 5% des cas pour s’assurer une bonne surveillance des variants qui circulent ou naissent sur le territoire”.
SPF se fixe comme objectif de continuer sur sa lancée et d’être en capacité de séquencer 10.000 génomes par semaine d’ici l’été. Un objectif louable sur le papier, mais dont la réalité fait grincer des dents de nombreux spécialistes qui gravitent autour du projet.
Bureaucratie et lutte de pouvoir
“Le consortium EMER-GEN n’a de consortium que le nom”, estime l’un d’eux. “C’est un fonctionnement incompréhensible en période de crise sanitaire”, lance un autre, qui se dit démoralisé. Selon les scientifiques interrogés par Le HuffPost, dont certains souhaitent rester anonymes, le projet est encore loin d’être adapté aux défis à relever. Le 1er étant de s’assurer qu’un variant ne vienne pas contrecarrer une sortie de pandémie par la vaccination.
“Certes, 44.000 génomes ont été séquencés depuis février, mais seule une partie de ces séquences est partagée à ce jour, avec des délais variables”, explique Florence Débarre. “Sur Gisaid, la base de données mondiale de référence, sur la même période, la France n’a partagé que 18.000 génomes, soit 42% de ce qui a été séquencé”.
La France, 3e pays européen du séquençage? Si l’on fait le classement de qui collaborait le plus sur Gisaid au sein du vieux continent au moment des déclarations d’Olivier Véran, l’Hexagone était pourtant derrière le Royaume-Uni, le Danemark, la Suisse, la Suède, les Pays-Bas et l’Italie. En deux semaines, nous avons tout de même gagné deux places, passant devant les Pays-Bas et l’Italie.
Du côté de SPF, on rappelle qu’il y a des délais incompressibles, que les choses s’améliorent et que le consortium a été imaginé “avec une approche de science ouverte”. “Pour qu’un laboratoire le rejoigne, il doit partager ses séquences, c’est une obligation”, explique Bruno Coignard, qui rappelle que la France contribue de plus en plus à Gisaid, comme le montrent les données ci-dessous.
Le directeur des maladies infectieuses à SPF concède tout de même que tous les laboratoires ne jouent pas le jeu, sans citer de nom. “On est en train de travailler avec le ministère pour savoir où cela bloque, mais je ne pense pas que ce soit de la mauvaise volonté, plutôt une question de ressource et de technicité”, tempère-t-il.
Évidemment, la France n’a pas commencé sa course au variant aussi bien équipée que la Grande-Bretagne ou le Danemark, autre champion du séquençage. Mais le souci n’est-il vraiment que technique? “Le véritable problème, c’est qu’on en est encore à réfléchir en termes de valorisation des données produites et que ça bloque leur diffusion”, souligne Jean-Stéphane Dhersin, Directeur Adjoint Scientifique au CNRS spécialiste en modélisation et responsable de la plateforme de coordination de la modélisation autour du coronavirus, MODCOV19.
“En recherche clinique, les données sont un enjeu central, si vous avez des données originales, par exemple des séquences de génomes inédites, vous pourrez publier des articles dans de grandes revues scientifiques”, décrypte un confrère. Un peu comme les brevets permettent de rentabiliser la recherche d’un vaccin, les données concernant les variants permettent de rentabiliser de coûteux séquençages de génomes. Logique, mais au vu de la crise actuel, cette rétention de données est plutôt surprenante, “dès lors que le recueil de ces données bénéficie d’un important plan de financement public spécifique”, rappelle Jean-Stéphane Dhersin.
Manque de représentativité
En parallèle, Santé publique France assure qu’une “base de données nationale”, nécessaire pour réaliser une surveillance active de la situation en France, est en cours de réalisation avec l’Institut français de bioinformatique. “Mais cet entrepôt de données est toujours en cours de construction. Sera-t-il accessible à tous les chercheurs qui le souhaitent”, s’interroge un scientifique français.
Il faut bien comprendre que les enjeux sont importants. Suivre en détail les mutations du coronavirus en France permet évidemment de vérifier l’importation de versions dangereuses circulant à l’étranger ou encore de repérer l’apparition de variants totalement nouveaux sur le territoire. Mais elle permet en réalité bien plus. Grâce à l’analyse des mutations, on peut réaliser une sorte “d’arbre généalogique” du virus et tenter de reconstituer le parcours de l’épidémie (ce que l’on appelle la phylodynamique).
Cela peut sembler abstrait, mais de telles informations permettent de mieux lutter contre le virus. Grâce aux données britanniques, des chercheurs ont pu réanalyser après coup comment le coronavirus est arrivé en Angleterre entre janvier et mars 2020. Et il s’avère qu’il est venu de nombreux pays, y compris d’Espagne, de France et d’Italie. “Cela montre que les mesures de l’époque visant à simplement fermer les frontières avec la Chine n’étaient pas adaptées”, rappelle Patrick Hoscheit, chercheur en mathématiques appliquées à Inrae, qui travaille justement sur la phylodynamique.
Mais pour arriver à ce résultat, il faut que les données soient disponibles. Et si la quantité importe, la qualité aussi. Et ici aussi, le bât blesse en France. “Une des difficultés des données français, c’est qu’on ne sait pas à quel point elles sont représentatives, or, plus que la question du nombre, c’est la question des biais qui est importante”, note Patrick Hoscheit.
″Être représentatif, c’est justement le but de nos enquêtes flash”, rappelle Bruno Coignard. Fin janvier, SPF lançait effectivement des grandes campagnes de séquençage basées sur des échantillons aléatoires de test PCR positifs pour vérifier la progression du variant anglais.
“Mais cette politique n’est pas claire, on ne sait toujours pas exactement quelles sont les séquences remontées, à quel point elles sont représentatives de la situation en France”, commente Samuel Alizon, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses. “Les génomes viennent de quelle zone géographique? De quelle tranche d’âge? Aujourd’hui, ces données ne sont pas publiques et donc non vérifiables”, se lamente un autre chercheur, espérant que le gouvernement fasse bouger les choses en termes de transparence. Contacté par Le HuffPost à ce sujet, le ministère de la Santé n’a pour l’instant pas donné suite à nos demandes sur ce sujet.
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