Comme Britney Spears, je suis bipolaire et je mérite d’avoir le contrôle sur ma vie - BLOG

SANTÉ MENTALE - Le 23 juin dernier, la chanteuse Britney Spears a témoigné du cauchemar qu’elle vit depuis 2008, année où son père Jamie a été désigné comme son tuteur légal. Même le mouvement “Free Britney” (“Libérez Britney”) qui milite pour...

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iBritney Spears à la 1ère du film de Quentin Tarantino, “Once Upon a Time... in Hollywood”, le 22 juillet 2019 à Los Angele/i (Photo VALERIE MACON / AFP) (Photo VALERIE MACON/AFP via Getty Images)

SANTÉ MENTALE - Le 23 juin dernier, la chanteuse Britney Spears a témoigné du cauchemar qu’elle vit depuis 2008, année où son père Jamie a été désigné comme son tuteur légal. Même le mouvement “Free Britney” (“Libérez Britney”) qui milite pour faire lever la tutelle de l’artiste, n’aurait pu imaginer les détails de son témoignage: elle a été forcée à prendre un médicament qui la faisait se sentir comme “ivre”; à assurer des tournées de concerts contre son gré; et à garder son stérilet, qu’elle souhaitait faire retirer.

Le système de tutelle est conçu pour protéger ceux qui ne peuvent gérer eux-mêmes leurs affaires, souvent du fait de troubles cognitifs comme la démence sénile. Cette solution légale n’est mise en place qu’en dernier recours. Durant ses 13 années sous tutelle, Britney Spears a sorti des albums à succès et donné une série de concerts triomphaux à Las Vegas, tout en s’occupant de ses deux fils. Elle a même pris la décision judicieuse de demander à ce que son audience au tribunal soit ouverte au public, contrairement aux précédentes au cours desquelles, dit-elle, elle ne s’était “absolument pas sentie entendue”.

Comme Britney Spears, j’ai reçu un diagnostic de bipolarité, et je sais d’expérience qu’être une jeune femme et souffrir d’un trouble mental ‘sévère’, c’est la double peine.

Vous avez envie de expliquer votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!

Électrochocs et traitements infligés

A l’âge de 15 ans, j’ai subi un traitement par électrochocs. C’est l’expérience la plus destructrice et la plus traumatisante sur le plan physique que j’aie jamais vécue: une procédure médicale qui m’a (délibérément) provoqué des crises de convulsions. Les douleurs musculaires après chaque séance me donnaient l’impression d’avoir été rouée de coups.

Je me souviens du gel conducteur sur mes tempes, cette pâte froide qui s’étalait comme du beurre sur une tartine. Et puis une infirmière m’a mis un mors dans la bouche pour m’éviter de me mordre la langue.

Je me remémore cette expérience par fragments terrifiants. L’un des effets secondaires des électrochocs est la perte de mémoire, surtout autour de la période de traitement. J’ai perdu des mois.

A l’époque où l’on me l’a infligé, ce traitement était prescrit près de 70% du temps aux femmes et aux jeunes filles. La littérature médicale évoquait ouvertement la nécessité de protéger le cerveau masculin; et les femmes étaient souvent considérées comme indignes de confiance, trop émotives, et nécessitant d’être corrigées dans leur comportement.

Les cliniciens sont plus enclins à diagnostiquer des troubles mentaux chez les femmes que chez les hommes, même avec des symptômes similaires, comme le souligne le magazine Psychology Today. Selon l’OMS, les femmes sont plus susceptibles de se voir prescrire certains médicaments psychotropes qui rendent difficile voire impossible de travailler, de s’occuper de ses enfants, d’avoir une vie sociale, ou même de se déplacer. Nombre de personnes qui suivent ce genre de traitement tombent dans la pauvreté ou doivent retourner vivre chez leurs parents. Les femmes qui ont reçu un diagnostic de trouble mental sont aussi plus souvent internées que les hommes.

Tout parent chez qui on a diagnostiqué une maladie psychiatrique risque de perdre la garde de ses enfants. Sachant que les femmes sont à la fois plus susceptibles de recevoir un tel diagnostic et d’avoir un enfant à charge, on imagine aisément les conséquences.

Beaucoup des photos de Britney qui ont fait la une des magazines il y a des années la montraient la tête rasée, en train de s’en prendre à la voiture d’un paparazzi à coups de parapluie. Des célébrités de sexe masculin comme Justin Bieber, Lamar Odom, Alec Baldwin et bien d’autres ont agressé des paparazzis, à mains nues ou avec diverses armes – un cric en métal, par exemple. Ce qui a retenu l’attention des média, c’est l’expression de fureur sur le visage de Britney Spears et son choix de raser sa célèbre chevelure blonde.

La princesse de la pop s’était soudain transformée en Charlize Theron dans “Mad Max: Fury Road”, et c’était un changement inacceptable chez une fille qui avait naguère confirmé avec un petit rire timide que oui, elle était encore vierge.

Impossibilité d’être entendue

A la vingtaine, à peu près l’âge qu’avait Britney lors de sa mise sous tutelle, j’ai commencé à avoir des sautes d’humeur. Je faisais des épisodes psychotiques et je voulais reprendre le contrôle. Je ne voulais pas de médicaments pour me reprogrammer le cerveau. Mais il m’était difficile, voire impossible d’être “entendue”. Dès que le mot “bipolaire” était prononcé, les médecins estimaient n’avoir pas besoin d’en savoir davantage.

J’ai constaté que je ne pouvais pas laisser mon mari m’accompagner à mes rendez-vous médicaux, même s’il tenait à me soutenir. Les psychiatres ne s’adressaient qu’à lui, et leur regard me survolait comme si je n’existais pas.

Un des spécialistes que j’ai vu ne cessait de me prescrire un médicament appelé Haldol, un tranquillisant qui avait sur moi un effet sédatif extrême – selon l’expression d’un médecin à la franchise rafraîchissante, que j’ai consulté plus tard, il me transformait en “légume”. L’Haldol me causait des tremblements et des problèmes d’équilibre. Marcher normalement devenait soudain une épreuve.

Quand j’ai dit au psychiatre que le médicament me faisait me sentir terriblement mal et n’était d’aucune aide, il a répliqué: “Je vais vous dire ce que je vais faire. Je vais augmenter votre dosage d’Haldol.” Il a ensuite suggéré que si je ne prenais pas le traitement, je risquais de me suicider, comme si je n’avais le choix qu’entre nager dans le brouillard et mourir.

Britney a évoqué ses propres sautes d’humeur et son anxiété. Lors de son témoignage face au juge des tutelles, elle a déclaré qu’elle suivait un traitement – ce qu’elle a appelé ses “médicaments normaux”. Le lithium, cette substance qui la faisait se sentir “ivre”, ne lui permettait pas de vivre sa vie comme elle l’entendait. Et quand elle l’a dit à son entourage, on l’a ignorée.

Après l’Haldol, j’ai moi aussi essayé le lithium, qui n’a pas non plus fait disparaître mes sautes d’humeur. En revanche, il m’a fait le même effet qu’à Britney Spears: j’ai commencé à souffrir de vertiges et j’ai dû arrêter le sport, alors que je pratiquais régulièrement l’aérobic.

En plus, j’ai grossi. De nombreux médicaments psychoactifs provoquent une prise de poids qui peut aller jusqu’à l’obésité. J’avais beau faire attention à ce que je mangeais, cela n’y changeait rien, et pour cause. La prise de poids, comme le diabète et la hausse du taux de cholestérol, sont des effets secondaires qui affectent le métabolisme. Le mien a changé. J’ai pris des kilos en mangeant ce qui était auparavant une ration normale. Et mon appétit augmentait: je me souviens que j’avais l’impression d’avoir attrapé un ténia, comme si quelque chose en moi était férocement affamé.

J’ai un souvenir lié à Britney Spears qui date de quelque temps après mon arrêt du lithium. A ce moment-là, je prenais du Depakote, un autre médicament aux sérieux effets secondaires sur le métabolisme. J’ai de nouveau grossi d’une quinzaine de kilos. J’étais au bord d’une piscine avec mon mari, et comme je m’apprêtais à sauter à l’eau, un jeune homme à côté de moi a persiflé: “Tu sais à quel point tes cuisses sont plus grosses que celles de Britney?”

Oui, il parlait bien de cette Britney-là. Et oui, je le savais. Comme c’est ironique, me suis-je dit en lisant le témoignage de la chanteuse, qui mentionnait ses tournées forcées. Quelle est la seule chose qui pourrait permettre à Britney d’obtenir un traitement différent du lithium? Ce ne serait pas le fait qu’elle se sente mal, mais l’augmentation de la taille de ses cuisses. 

Même maintenant que je suis plus âgée, je ne me sens pas en sécurité dans mon corps de femme bipolaire. Les recherches indiquent que les médecins et les psychiatres ont autant de préjugés envers les malades que le reste de la population, si ce n’est davantage. Ma bipolarité fait que j’ai nettement moins de chances d’être crue par les médecins quand je leur décris des symptômes de maladie, un problème que l’on appelle la “dissimulation diagnostique”.

Pour le dire plus simplement, une fois que les médecins savent qu’un patient est atteint de troubles mentaux, ils ne lui font plus confiance. J’ai déjà été confrontée à ça, y compris l’an dernier quand on m’a conduite en ambulance à l’hôpital après un malaise dont je ne connais toujours pas la cause. L’une des raisons à cela, c’est que peu de temps après mon arrivée aux urgences, un médecin m’a examinée pendant quelques secondes seulement avant de déclarer que j’étais libre de rentrer chez moi. 

Il y a  un passage du témoignage de Britney Spears qui m’a brisé le cœur. C’est au moment où elle décrivait combien sa tutelle était difficile à vivre et intrusive. “C’est une situation complètement folle” a-t-elle déclaré.

Je suis consciente qu’elle a employé le terme “folle” au sens général, selon l’expression d’aujourd’hui, pour dire “c’est vraiment affreux”. Même c’est tellement triste qu’elle décrive le traitement abusif qu’elle subit en utilisant un mot qu’on lui a autrefois jeté à la face, et qui a justement contribué à la faire mettre sous tutelle.

Il est peut-être temps d’arrêter. Nous devrions peut-être admettre que ce que nous appelons “folie” n’est pas synonyme du pire. Et qu’une personne bipolaire peut très bien mener une vie riche et épanouissante et faire ses propres choix.

Je crois au pouvoir de la neurodiversité. Le monde a besoin d’une multitude d’esprits différents et d’une saine dose de scepticisme quant à la notion de “norme” comportementale. Des chercheurs en psychiatrie comme Nancy Andreasen ont mené des études à long terme sur les personnes créatives, et beaucoup de gens créatifs sont bipolaires. Peut-être que la bipolarité de Britney fait partie intégrante de sa créativité, de sa personnalité qui lui a permis de faire ces albums et ces concerts. Je ne me considère pas comme détraquée, et je ne voudrais pas avoir un esprit différent.

Quel qu’ait pu être le vécu de Britney Spears, j’espère qu’elle pourra reprendre son existence en main comme elle le mérite, et qu’elle aura une chance de s’occuper elle-même de son traitement, de sa vie et de son esprit de la façon qui lui conviendra.

Ce blog, publié sur le Huffpost Américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

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