Comme Camille Kouchner, écrire sur son traumatisme peut être vital
PSYCHO - La fin du silence. Ce jeudi 7 janvier, la juriste Camille Kouchner publie aux éditions du Seuil un livre intitulé La familia grande, dans lequel elle témoigne au grand jour des abus sexuels commis par le politologue Olivier Duhamel...
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PSYCHO - La fin du silence. Ce jeudi 7 janvier, la juriste Camille Kouchner publie aux éditions du Seuil un livre intitulé La familia grande, dans lequel elle témoigne au grand jour des abus sexuels commis par le politologue Olivier Duhamel à l’encontre de son beau-fils, le frère jumeau de l’écrivaine.
Ces actes d’inceste, comme le rapporte la fille de l’ancien ministre des Affaires étrangères, auraient débuté en 1988 alors que le jeune homme n’était âgé que de 13 ans. “Pendant toutes ces années, plus que de me taire, j’ai protégé mon beau-père, explique l’universitaire dans un article du Monde paru quelques jours plus tôt. Face à l’alcoolisme de ma mère, il organisait nos vacances, nous emmenait au ciné, m’initiait au droit.”
Après de longues années d’omerta au sein de la famille, Camille Kouchner prend la plume. “J’ai choisi d’écrire car je ne pouvais plus me taire, raconte-t-elle dans une interview à L’Obs. Il y a un an, j’ai expliqué à mes enfants ce qui s’était passé. J’avais besoin de leur montrer qu’on n’allait pas tous rester emprisonnés dans le silence.”
Elle poursuit: “Ce livre est né de cette nécessité: témoigner de l’inceste pour montrer que ça dure des années et que c’est très, très difficile de se défaire du silence. Je ne l’ai pas écrit au nom de mon frère, mais des sœurs, des nièces, de toutes les personnes touchées par l’inceste. L’omerta, dans une famille, pèse sur tout le monde.”
Remettre les choses à l’endroit
Même si la romancière n’a pas été victime de ces abus sexuels, son témoignage est légitime. ”Être témoin de violence, ça génère des traumatismes, explique au HuffPost la psychiatre Muriel Salmona. Tout a été détruit autour d’elle. Son enfance a été saccagée par cette histoire. Elle a vécu cette réalité d’une extrême violence.”
Écrire ce livre est un geste d’amour et de solidarité envers son frère, nous dit la chercheuse en psychotraumatologie. C’est aussi une manière pour elle de se reconstruire. “Dans le cadre de la prise en charge d’une personne victime de violence, nous l’incitons à réécrire un peu ce qui s’est passé”, renseigne la spécialiste.
Lors d’une agression, un mécanisme neuro-biologique se produit. Devant notre état de sidération et de stress, une partie du cerveau s’isole du cortex et nous déconnecte de nos perceptions sensorielles et émotionnelles. Ce phénomène de survie porte un nom, c’est ce qu’on appelle la dissociation traumatique. Les souvenirs qu’on en garde nous reviennent par bribes, en morceaux.
“Le traumatisme entraîne des atteintes importantes de la mémoire, précise Muriel Salmona. C’est un peu comme si ça faisait exploser l’histoire. Réécrire ce qui s’est passé, c’est mettre des processus secondaires en place et des systèmes de compréhension permettant d’intégrer l’événement traumatique. On remet les choses en ordre, à l’endroit.”
La vérité doit sortir
Lorsqu’elle publie au mois de décembre 2019 son livre Le consentement, dans lequel elle a dénoncé l’emprise psychologique que Gabriel Matzneff avait sur elle enfant, Vanessa Springora explique qu’écrire dessus lui a permis de redevenir le sujet de sa propre histoire. “Une histoire qui m’avait été confisquée depuis trop longtemps”, a-t-elle ajouté.
Écrire ce livre, c’est donner sa version des faits, pas celle qu’il a distillée ici et là dans ses romans. “Pourquoi une adolescente de 14 ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne”, écrit-elle.
Et de poursuivre: ”À 14 ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège. On n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter.” Sa démarche, comme celle de Camille Kouchner, est “essentielle pour reprendre la main et redonner une cohérence à quelque chose qui a été destructeur”, commente Muriel Salmona.
L’histoire de certains membres des Sonderkommandos, des groupes de prisonniers d’Auschwitz chargées de brûler les cadavres qui ont réussi à laisser un témoignage sur des petits bouts de papier des atrocités que les nazis les ont obligés à commettre, soulève une problématique similaire. “Il faut que la vérité des victimes soit présente, sinon c’est le discours des agresseurs qui l’emporte”, constate la psychiatre.
Faire changer la balle de camp
Qu’il soit publié en librairie ou sur les réseaux sociaux ne change rien. Diffuser le récit de son traumatisme permet à la fois de ne pas rester seul, mais aussi de le faire connaître au monde et d’y trouver écho. “J’espère toutefois que mon livre ne raconte pas une histoire particulière: le même silence se construit de mille manières dans beaucoup d’autres familles, explique Camille Kouchner dans les colonnes de L’Obs.
“Je n’étais pas dans le silence parce que j’avais des parents connus, continue-t-elle. J’étais dans le silence à cause de l’inceste. Quant à l’écho public, ce n’est pas ce que je souhaitais, mais il m’a paru nécessaire pour donner de la visibilité aux incestes qu’on cache, qu’on tait…”
Aujourd’hui, le sujet de l’inceste est encore très tabou en France. Les enfants mettent en moyenne une dizaine d’années avant de parler des abus dont ils ont été victimes. D’après les chiffres, on dit que 70% d’entre eux parlent, “mais ils ne vont pas être entendus et rien ne va se passer, comme l’a précédemment indiqué Muriel Salmona au HuffPost. Seuls 12% des enfants vont être réellement protégés.”
Elle ajoute: “Tout est tellement organisé pour que les victimes ne se sentent jamais légitimes de raconter ce qu’il leur est arrivé.” Déni, honte, culpabilité... Camille Kouchner a, elle, décidé d’y mettre un terme. “Bien sûr, j’ai pensé que mon livre pouvait paraître obscène à cause de la notoriété de ma famille. Puis je me suis dit: c’est justement pour ça qu’il faut le faire. Je ne me charge pas d’une responsabilité immense, mais si moi je ne parle pas, on en a encore pour des années.” L’écrire fait changer la balle de camp.
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