Comment la pandémie a transformé la sexualité des Français - BLOG

SEXUALITÉ — La question du désir, de l’amour et des rapports intimes dans le contexte de la Covid-19 est un thème majeur qui en dit long sur l’état de santé d’une société. Davantage encore lorsque la pratique clinique et les récentes études...

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Disons-le sans détour, une révolution est en cours dans les pratiques sexuelles des Français depuis 2020. Les prémices étaient latentes, elles bouillonnaient jusqu’alors dans l’ombre des alcôves. La pandémie n’a fait qu’ôter le voile, céder la chevillette et les verrous à-demi ouverts sur l’horizon de nouveaux agir.

SEXUALITÉ — La question du désir, de l’amour et des rapports intimes dans le contexte de la Covid-19 est un thème majeur qui en dit long sur l’état de santé d’une société. Davantage encore lorsque la pratique clinique et les récentes études scientifiques démontrent une seule et même chose: entre 2020 et 2021, la sexualité des Français a changé. Du “présentiel” au “distanciel”, elle s’est transmuée.

Depuis le 1er confinement de mars 2020, la pandémie a radicalement transformé les modes de rencontre et les relations sexuelles entre les individus. Les différents confinements, déconfinements, couvre-feu, reconfinements ont imposé leur lot de restrictions et de gestes barrières avec des conséquences psychocorporelles que les acteurs de santé ne peuvent ignorer. Derrière les choix politiques et prophylactiques, c’est un nouveau rapport à soi, aux autres et au monde qui s’est sinon imposé, du moins redessiné.

Baby blues pandémie

L’une des 1ères conséquences de la crise sanitaire sur la sexualité des Français apparaît dans le domaine de la procréation : entre janvier 2020 et janvier 2021, selon les dernières enquêtes de  l’INSEE, le taux de natalité en France a chuté de 13 %. L’analyse est simple : 

Le contexte de crise sanitaire et de forte incertitude liée à la pandémie a pu décourager les couples à procréer et les inciter à reporter de plusieurs mois leurs projets de parentalité. De plus, on voit que des considérations relatives à la transmission possible du virus de la mère au nouveau-né ont pu également jouer. 

Pendant le 1er confinement, les centres de procréation médicalement assistée ont de plus été fermés. Au total, seulement 735.000 naissances ont donc été recensées dans notre pays en 2020. Il s’agit du taux de naissance le plus bas constaté en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais si la baisse du taux de procréation représente l’élément princeps et manifeste des conséquences de la Covid-19 sur les relations sexuelles, cette pandémie a enclenché également bien d’autres répercussions sur l’intimité des Français. 

Covid et pulsion de mort

Thanatos, la pulsion de mort, est le revers de l’Eros, la pulsion de vie ; c’est pourquoi lorsque l’on évoque l’amour et la sexualité, l’on ne peut passer sous silence le pendant mortifère de l’énergie libidinale. De fait, les violences conjugales et les difficultés intrafamiliales ont marqué une forte recrudescence depuis le début de la crise. Pour les associations du réseau Solidarité Femmes, le 1er confinement a marqué forte hausse des demandes d’aide face à des situations devenues fortement « anxiogènes et urgentes ». 9% des femmes ont été victimes de violences conjugales avec une hausse de 30 % durant le 1er confinement. Les comportements et les émotions négatives vécus par les familles sous tension permanente ont produit invariablement des effets délétères sur la sexualité des couples.

La présence continue des enfants à la maison durant la fermeture des écoles, a augmenté également la charge mentale des parents et raréfié la possibilité de moments d’intimité. Au final, les conséquences sur le psychisme – stress, troubles anxieux, angoisse et dépression - ont fortement diminué le désir alors que les problèmes logistiques ont réduit la fréquence des rapports sexuels. Quant aux célibataires, ils confirment également une forte altération de leur activité sexuelle et affective, notamment durant le 1er confinement. En cabinet de consultation, le diagnostic fut identique en 2020. Les personnes qui venaient consulter étaient à bout de souffle, à bout d’amour, à bout, tout court. Au fil des mois, l’instinct de pulsion de conservation face à la pulsion de mort, s’est imposée au détriment de l’éros et de ses principes de plaisir. 

De l’autre côté des frontières

De l’autre côté des frontières, les enquêtes corroborent les statistiques françaises. Le Journal britannique de Médecine sexuelle révèle que 60% des sondés ont rapporté ne pas avoir été sexuellement actifs durant toute la période de 1er confinement. De même, une étude menée par des gynécologues italiens a rapporté une diminution de leur fonction sexuelle et de leur qualité de vie intime à la même période. Plus précisément, la proportion de femmes qui avaient en moyenne six rapports sexuels par mois avant les mesures de restrictions a diminué à deux rapports mensuels par la suite.

Selon les auteurs, l’impact négatif de la Covid-19 sur la fonction sexuelle et la qualité de vie montre comment un stress aigu peut affecter l’état psychologique. Une autre étude polonaise publiée par des gynécologues dans le Journal international pour la recherche en environnement et santé publiquea rapporté que le pourcentage de femmes souffrant de dysfonctions sexuelles, a plus que doublé en passant de 15 % avant la pandémie, à 34 % pendant le 1er confinement. Au vu de toutes ces enquêtes, il apparaît que la pandémie et les réponses gouvernementales mondiales ont provoqué des conséquences majeures dans le fonctionnement interne de nos sociétés, jusque dans les sphères mêmes de la procréation et de l’intimité des individus.  

Covid et pulsion de vie

Un fait inattendu advint toutefois fin 2020. Certaines tensions purent s’apaiser dans la vie des couples, mieux préparés au reconfinement et « délestés » de l’école à la maison en journée.  La sexualité des Français connut un renouveau pour les personnes vivant sous le même toit, mais également chez les célibataires et les partenaires vivant séparément. A partir de ces 1ers constats de dépression libidinale puis de regain sexuel, il est intéressant d’aller plus loin pour découvrir et comprendre comment toutes ces mesures ont enclenché de nouvelles pratiques érotiques et sexuelles dans notre société. 

Sex-toys et cybersexe : de nouvelles pratiques sexuelles face à la pandémie 

Dans son article Covid 19 et sexualités: l’émergence d’un nouveau paradigme des sexualités, A.Giami évoque : la construction et la préfiguration d’un nouveau paradigme des sexualités qui distingue et associe les relations sexuelles qui se déroulent en présence d’un partenaire réel et celles qui se déroulent avec l’aide de toute une panoplie d’outils électroniques qualifiés de « virtuels » qui assurent un support à l’imagination et entretiennent l’excitation sexuelle en vue de la satisfaction personnelle. 

Disons-le sans détour, une révolution est en cours dans les pratiques sexuelles des Français depuis 2020. Les prémices étaient latentes, elles bouillonnaient jusqu’alors dans l’ombre des alcôves. La pandémie n’a fait qu’ôter le voile, céder la chevillette et les verrous à-demi ouverts sur l’horizon de nouveaux agir. Deux phénomènes se sont particulièrement développés depuis mars 2020, jusqu’à générer de nouveaux scripts et ancrages sexuels: 

  • La pratique de la cybersexualité (cf. ouvrages de F. Tordo et S. Tisseron en la matière.) avec la multiplication des connexions internet à des fins sexuelles (essor des inscriptions et des tchats sur les sites de rencontre, pratiques du sexting entre les partenaires, envoi de dicks-pics, amour par écrans interposés, essor des camgirls etc.);
  • L’essor phénoménal des ventes en ligne d’accessoires intimes, plus communément connus sous le nom de sex-toys. 

Pour les couples éloignés et les célibataires, les confinements, les limitations de déplacement, l’auto-isolement et la distanciation physique ont démontré que ces derniers n’ont pu satisfaire leurs désirs. La nouveauté est que la sexualité a néanmoins pu être vécue, mais selon des pratiques jusqu’alors secondaires, via l’utilisation d’internet ; le passage à l’acte se passant principalement en visio, chacun utilisant la masturbation de chaque côté de son écran pour une sexualité fondée sur une pratique « cyber », essentiellement sonore et visuelle : 

L’augmentation des relations sexuelles digitales a contribué à minimiser la probabilité d’apparition des émotions sexuelles négatives. Les cybersexualités ne sont donc pas de facto pathologiques, ou synonyme de comportements à risque, contrairement aux représentations encore dominantes. 

De surcroît, les ventes d’accessoires sexuels ont enregistré en 2020 une nette augmentation mondiale et bien plus encore en France. Si les sex-toys intégraient lentement mais sûrement les foyers français depuis une dizaine d’années, les ventes ont fait un bond astronomique, à en croire les chiffres des revendeurs et des industriels (hausse de 113 % des ventes pour le fameux vibromasseur clitoridien et de 40 % pour les sex-toys connectés de couples). La banalisation des jouets intimes dans la vie sexuelle Français n’est plus un sujet éhonté. L’accroissement et la promotion du bien-être sexuel révèle une démocratisation des objets érotiques. Encore honteux en France il y a une quinzaine d’années, le sex-toy n’est plus un tabou, il deviendrait même un signe de modernité érotique et ludique selon la plupart des utilisatrices et utilisateurs.

Quand la sexualité rime avec besoin de réconfort 

Ces nouveaux « agir sexuels » ont fait office de parades face aux injonctions des gestes barrières pendant la crise. Cela eut pour conséquence l’apparition d’un regain des rapports sexuels dès novembre 2020. Toutefois, derrière la sexualité, c’est une demande générale de réconfort affectif qui s’est affirmée. La proportion de Français déclarant avoir ressenti un manque de « tendresse ou de câlins » en novembre est largement supérieure (47%) à ceux qui évoquent un manque de sexe (33%).

Sexe en présence et sexe à distance 

En définitive, l’état de sidération vécu par les Français lors du 1er confinement a engendré une baisse notoire de leur désir, de la fréquence et de la qualité de leurs rapports sexuels - qu’il s’agisse de sexualité procréative ou récréative. Les recherches actuelles mettent en évidence la construction de nouveaux paradigmes de la sexualité distinguant d’une part une sexualité de visu, « en présentiel », et d’autre part une sexualité virtuelle, que l’on osera nommer « distancielle ». Cette dernière s’appuie sur les écrans et le numérique pour fournir un support à l’imaginaire et entretenir les interactions entre les êtres. Ces observations dévoilent une grande nouveauté :  il y a désormais différentes manières officielles de vivre sa sexualité.

A l‘instar de la sphère professionnelle, les modes et les possibilités de « distanciel » ou « présentiel » ont intégré la sphère intime. Le recours à la cybersexualité et l’utilisation de jouets intimes ont permis de créer et de vivre une sexualité affranchie des contraintes sanitaires et de plus, personnalisée. L’ancrage de ces pratiques est désormais attesté, notamment auprès de la génération X (40-55 ans) et particulièrement pour la génération Y (20-40 ans). Toutefois, les résultats de ces nouveaux paradigmes resteront à observer et analyser au fil du temps. La question de la protection des données et de la vie privée sera, c’est à parier, au cœur des débats futurs.

Parallèlement à l’essor des pratiques cybersexuelles, la nécessité du lien, du toucher, du peau à peau qui permet la conscience de soi et de l’autre, s’est affirmé comme un besoin essentiel et s’en est trouvé  renforcé. Par-delà le sexe, le besoin d’intimité, de caresses et de réconfort se sont réaffirmés. Le toucher, les embrassades, les baisers représentent ce « Moi-peau » comme dirait D. Anzieu qui structure notre être et notre rapport au monde.

Parce que cœurs amoureux et corps érotiques révèlent nos plus grands besoins et incarnent le terreau précieux de nos plus grandes libertés, n’oublions pas de les cultiver. 

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