Comment “La Sagesse de la pieuvre” a-t-il créé la surprise aux Oscars ?
Quelques conversations entendues ici et là nous ont fait bien sentir ces derniers mois la notoriété croissante de ce documentaire animalier, certes sans immense prétention, mais qui s’était sensiblement octroyé un statut de pépite Netflix à...
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Quelques conversations entendues ici et là nous ont fait bien sentir ces derniers mois la notoriété croissante de ce documentaire animalier, certes sans immense prétention, mais qui s’était sensiblement octroyé un statut de pépite Netflix à la faveur d’un excellent bouche à oreille très relayé sur les réseaux sociaux (il a même fait l’objet de parodies) et d’une diffusion sur tous les territoires de la plateforme, évidemment très favorisée par la pandémie.
On ne l’imaginait cependant pas pousser sa success story jusqu’à l’Olympe des récompenses mondiales et chiper l’Oscar du meilleur docu, au nez et à la barbe de très gros concurrents à forte teneur sociétale, comme le Crip Camp : la révolution des éclopés produit par les époux Obama sur les droits des handicapé·es en Amérique. Le documentaire animalier est un genre à gros moyens et gros succès, mais totalement ringardisé sur les scènes cérémonielles (aucun n’a gagné l’Oscar depuis La Marche de l’empereur en 2006), où il s’est vu remplacé par des formats plus populaires comme l’investigation immersive (Icarus, American Factory) ou le récit-portrait inspirationnel (Sugar Man). Alors comment a-t-il pu connaître un triomphe en 2021 ?
Un anti-Planet Earth
C’est que le film de Pippa Ehrlich, James Reed et Craig Foster s’est justement conçu contre les produits les plus stupéfiants du genre, comme les films et séries d’Alastair Fothergill et David Attenborough (Notre planète), et ce à plus d’un titre. D’abord dès sa genèse : c’est à force de travailler pour ce type de superproductions que le principal protagoniste humain du film a traversé un grave burnout suivi d’une dépression, avant de s’en relever en se consacrant à la plongée et en explorant la forêt sous-marine de kelp. Ensuite par son approche très personnelle, au sens strict du terme : rien que la rencontre de deux personnes, l’une vertébrée, l’autre non, rassemblées par une confiance nouée patiemment et par un simple rendez-vous quotidien sous les eaux glacées du littoral atlantique sud-africain, pendant la courte année que durera la vie de cette pieuvre femelle jamais nommée par le film.
La Sagesse de la pieuvre fait donc revenir le genre à une petite échelle, celle des individus et non des espèces, ce qui lui permet de se poser des questions intimes (à quoi rêve le poulpe ?), mais aussi d’actionner des leviers un peu faciles et grossiers de récit (la grande faiblesse du film, très lourd sur le registre de la rencontre sauvage et mystique qui guérit la dépression), et enfin et surtout de célébrer un retour à un mode artisanal de connaissance et de rapport à la nature. Craig Foster évoque une forme actualisée du naturaliste du XIXème siècle, un Darwin ou Humboldt à la sauce contemporaine, avec ses collections de coquillages classifiés, ses cartes sous-marines crayonnées, son application extrême d’amateur éclairé.
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On ignorera ainsi presque tout du long la valeur scientifique de ses observations et déductions, qui prêtent souvent à son “teacher” céphalopode des émotions qu’il est difficile de vérifier ; mais on vivra avec eux, au fil d’un an, une véritable histoire, marquée par des épisodes tragiques (une attaque de requin), des exploits de chasse, des moments de jeu, de mélancolie. Il y a clairement un certain aspect de romance secrète, des scènes de tendresse absolue, de véritables déclarations d’amour à l’élégance suprême de l’animal (dont Foster répertorie très poétiquement les différentes positions : la “vieille dame en rob”, la “pierre qui bouge”…). C’est aussi un Livre de la jungle aquatique, centré sur la pieuvre mais où chaque animal a le temps d’émerger en sa propre petite personne singulière, plutôt comme dans un conte que dans un documentaire animalier.
Le docu animalier de son temps
C’est surtout le documentaire animalier dans la forme de son temps. Une forme surindividualisée, voire carrément narcissique, essentiellement motivée par une volonté plus ou moins avouée de réalisation de soi (Foster a tout de même une sacrée complaisance vis-à-vis de lui-même, de sa dépression et du “miroir” qu’il trouve dans la pieuvre), quelque peu légère sur le plan de la vérité scientifique, et totalement capable de se satisfaire d’une petite échelle DIY en circuit court (le film est littéralement tourné en contrebas de sa maison) pour satisfaire son ivresse de récit inspirationnel. A essayer de comprendre son succès, on est tenté de le rapprocher somme toute de son plus célèbre prédécesseur récent à l’Oscar du documentaire, Free Solo, qui racontait lui aussi l’histoire d’un homme seul face à la nature, nu, “free” (Foster plonge en free dive, sans combinaison ni bouteille, comme Alex Honnold grimpait sans corde), qui prend avec la nature un rendez-vous mystique qui ne concerne que lui. Tiendrait-on une recette ?