Comment l’affaire Sofiane Bennacer secoue le cinéma français

Sofiane Bennacer, 25 ans, 1er rôle masculin des Amandiers actuellement en salles, cité dans la 1ère liste des “révélations de l’année 2023” (présélection indicative du César du meilleur espoir), en a été retiré ce jeudi 24 novembre, suite à...

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Sofiane Bennacer, 25 ans, 1er rôle masculin des Amandiers actuellement en salles, cité dans la 1ère liste des “révélations de l’année 2023” (présélection indicative du César du meilleur espoir), en a été retiré ce jeudi 24 novembre, suite à la révélation publique de la plainte pour viols et violences sur conjoint déposée contre lui en février 2021, à laquelle s’ajoutent les témoignages de plusieurs ex-compagnes faisant état de faits similaires. L’acteur est actuellement sous contrôle judiciaire et ne peut entrer en contact avec sa victime présumée et les témoins entendus dans le cadre de l’enquête (ni même se rendre dans leurs villes de résidence), dont sa compagne actuelle (selon l’enquête du Parisien), la réalisatrice du film, Valeria Bruni Tedeschi.

De nouvelles révélations

Libération dévoile aujourd’hui le climat d’omerta dans lequel s’est déroulé le tournage, marqué par des collages féministes, des signalements, deux démissions et une défense de l’acteur au nom de la “présomption d’innocence”. Mais aussi les responsabilités de l’Académie des César, qui aurait nommé l’acteur en connaissance de cause, au terme d’un processus de sélection impliquant plusieurs membres de l’équipe du film (directrice de casting, coproducteur). Bruni Tedeschi, de son côté, a réagi cet après-midi dans un communiqué dans lequel elle revendique avoir recruté l’acteur “malgré les rumeurs” et s’être commodément assurée de ses “qualités humaines” par sa seule subjectivité lors des répétitions.

Qu’est-ce qui aurait pu et dû être fait, afin qu’un homme sous le coup d’accusations graves, multiples, consolidées par des témoins et pour partie judiciarisées, ne se retrouve ainsi en tête d’affiche d’un des films d’auteurs les plus médiatisés de l’année et en lice pour la récompense la plus convoitée par les jeunes interprètes français ?

Membre du collectif 50/50 et elle-même directrice de casting, Sophie Lainé Diodovic estime que la profession est encore trop timidement engagée dans la lutte contre les VSS (violences sexistes et sexuelles) : “Le 1er réflexe est d’amoindrir et de croiser les doigts pour que ça se tasse.” Les coproducteurs du film, Alexandra Henochsberg (Ad Vitam) et Patrick Sobelman (Agat Films), déclarent s’être activement enquis de l’existence d’une éventuelle plainte dès que des rumeurs d’agression leur sont parvenues et ont choisi de respecter la décision de Valeria Bruni Tedeschi au sujet du maintien du tournage malgré les rumeurs (“Face au choix de la réalisatrice, rien ne justifiait de nous opposer à l’engagement de Sofiane sur le fondement d’une rumeur”). Ils n’auraient eu vent par témoignages rapportés de la plainte que deux jours après le début du tournage ; il était donc trop tard pour écarter l’acteur sans risquer une procédure judiciaire de sa part.

Sophie Lainé Diodovic se permet de mettre cette version en doute : “Je ne suis pas une spécialiste du droit du travail, mais j’ai vu des productions écarter des comédiens pour moins que ça. Ensuite, c’est quand même un métier où l’on sait tout sur tout le monde et où l’on cause beaucoup entre nous, même si pas trop publiquement. À titre personnel, j’en ai vent depuis l’époque du TNS.” 

Culture de l’omerta

Pour elle, c’est une culture de l’omerta qu’il s’agit de lever, par exemple “dans les agences artistiques, qui ont trop le réflexe exclusif de protéger coûte que coûte leurs comédiens” (Adéquat, l’agence de Bennacer, n’a pas répondu à nos sollicitations), ainsi que dans toute une profession où “la peur d’être blacklisté, bien que souvent très exagérée, limite les signalements”.

Mais c’est aussi du côté de la formation à ces thématiques que des progrès restent à faire. Car en marge de la formation d’une demi-journée sur la lutte contre les VSS, qui conditionne désormais l’éligibilité aux aides du CNC “mais qui n’est qu’une séance informative, dédiée à ce que les producteurs connaissent leurs responsabilités”, des formations de trois jours, intégralement “remboursées par l’Afdas, l’opérateur public de formation”, doivent permettre de former des référents “harcèlement” aptes à gérer concrètement ces situations. Ces statuts existent déjà aujourd’hui mais échoient généralement à des employé·es de la production non formé·es. “On doit communiquer sur ces formations dont la plupart des producteur·trices et technicien·nes ignorent encore l’existence.”

Car à la question : “comment éviter ?”, la réponse est en fait simple : par une nouvelle culture lavée des réflexes de silence et de déni encore en vogue dans une profession qui a commencé à faire le ménage de ses éléments les plus toxiques, mais peine encore ici et là à bien réagir quand des signaux évidents de prédation se font sentir. “Il y a clairement un fossé générationnel, qui doit nous donner espoir : les moins de 40 ans sont bien moins indulgent·es que les plus âgé·es, ajoute Lainé Diodovic. Et aux César, s’il y a certes eu une erreur initiale, on doit quand même se satisfaire de la rapidité avec laquelle ils ont finalement réagi.”