Comment le gouvernement révèle à l'administration l'accès à la mémoire collective

Le 9 mars 2021, le Président de la République crée l’émoi en annonçant faciliter l’accès à des documents classifiés de plus de 50 ans liés à la guerre d’Algérie. Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement,...

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Où en est-on, donc, de cette révolution tant attendue et annoncée sur l’ouverture des archives?

Le 9 mars 2021, le Président de la République crée l’émoi en annonçant faciliter l’accès à des documents classifiés de plus de 50 ans liés à la guerre d’Algérie. Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, dont l’examen en séance publique débute ce jour à l’Assemblée nationale, relance le débat. Où en est-on, donc, de cette révolution tant attendue et annoncée sur l’ouverture des archives?

Dans les faits, la loi prévoit déjà –depuis 2008 –  que les archives classifiées secret-défense de plus de 50 ans sont communicables de plein droit. Mais, sous prétexte de vouloir légitimer sa politique mémorielle, l’Élysée n’a fait en réalité que masquer une gestion illégale de l’accès aux archives publiques datant de 2011. L’article 19 de ce texte, présenté comme une avancée, ne fait que réaffirmer le droit en vigueur, torpillé par une instruction générale interministérielle de la même année et contraire au code du patrimoine.

Embouteillage administratif pour obstruction politique

Durcie en 2020, cette instruction subordonne à une procédure formelle de déclassification la communication de tout document classifié postérieur à 1934. C’est le début d’un véritable chaos dans les services d’archives puisque des centaines de milliers de documents, qui étaient jusqu’alors communiqués sans difficulté, font dorénavant l’objet de procédures de déclassification. Au Service Historique de la Défense (SHD), la majorité des cartons consacrés à la guerre d’Algérie, qui étaient jusque-là librement communiqués, ne sont plus accessibles aujourd’hui.

Pourquoi? Parce que toute procédure de déclassification des archives suppose l’intervention de l’administration –et donc de fonctionnaires nommés par le pouvoir politique– pour en autoriser la publication. Résultat? L’embouteillage administratif créé empêche l’accès effectif à tout document... Bel exemple de l’utilisation du service public à des fins d’obstruction politique.

Et ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Car, bien au-delà de ce simulacre progressiste d’accès à la mémoire collective, le texte tel que présenté par le Gouvernement veut en réalité acter des reculs significatifs et inacceptables. Dans la même philosophie, cet article prévoit désormais que certains types de documents, en lien notamment avec le renseignement et la dissuasion nucléaire, ne deviendraient communicables qu’à “la perte de leur valeur opérationnelle”.

Notre Histoire dans les mains de l’administration

Sans même entrer dans le débat sur l’absence de définition juridique de l’expression consacrée, cette disposition enterre le critère temporel d’accès à ces documents, initialement à la main du législateur. La détermination, par le législateur, des délais de communication était pourtant l’une des principales avancées de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives. En la soumettant à une décision discrétionnaire de la suivante, le Gouvernement place au contraire les clefs de l’accès à notre Histoire dans les mains de l’administration, libre de prolonger sans cesse les délais de publicité.

Parallèlement, le délai de communicabilité de documents relatifs aux “ouvrages nucléaires civils″ est prolongé sans plus d’informations. Sur ce point, la Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, dont Barbara Pompili était rapporteure, avait révélé que le Parlement était privé de l’accès à ces informations sous couvert de secret nucléaire… Quel contrôle la représentation nationale peut-elle exercer sans aucune donnée pour l’exercer?

Une belle fausse annonce

Doucement, mais sûrement, ce projet de loi prévoit un glissement de la compétence dans l’organisation aux archives publiques du Parlement –garant de l’exercice de cette liberté fondamentale pour nos concitoyens– vers l’administration. Derrière une belle fausse annonce d’ouverture se cache finalement un durcissement de l’accès à des documents classifiés sur des sujets essentiels. Le projet présidentiel du “en même temps” ne serait-il pas, finalement, la traduction d’une politique libérale autoritaire? De texte en texte, l’économie se dérégule, les droits sociaux sont réduits et les libertés publiques et individuelles sont grignotées. 

Il n’est nullement question de remettre en cause la nécessité pour l’État d’avoir recours au secret pour se protéger. Mais le non-respect de la loi et ses modifications soulèvent une véritable question citoyenne et démocratique. Le droit d’accès aux archives publiques est une liberté fondamentale qui prend racine dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est un principe fondamental du contrôle de l’action publique: l’entraver compromet non seulement la recherche, mais aussi la transparence et la responsabilité gouvernementale. Le Gouvernement nous le rappelle tous les jours: nul n’est censé ignorer la loi. Rappelons-lui que son devoir est de la respecter.

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