Comment les morts du Covid ont disparu des discours d'Emmanuel Macron
POLITIQUE - Prenez votre smartphone. Ouvrez l’application TousAntiCovid. Glissez jusqu’à la section “infos”, puis cliquez sur “voir tous les chiffres”. Apparaissent alors tous les indicateurs de l’épidémie. Tous? Il en manque un, et non des...
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POLITIQUE - Prenez votre smartphone. Ouvrez l’application TousAntiCovid. Glissez jusqu’à la section “infos”, puis cliquez sur “voir tous les chiffres”. Apparaissent alors tous les indicateurs de l’épidémie. Tous? Il en manque un, et non des moindres: celui des morts du covid-19. Un vide qui fait écho à l’oubli progressif de la mort qui s’est installé au sein de la sphère politique, et que la barre symbolique des 100.000 décès vient brutalement rappeler.
“Depuis le début de la pandémie, 100.000 Françaises et Français ont succombé au virus. Nous avons tous une pensée pour leurs familles, leurs proches, pour les enfants qui ont perdu un parent ou un grand-parent, les fratries endeuillées, les amitiés fauchées”, a tweeté Emmanuel Macron. Avant de promettre: “nous n’oublierons aucun visage, aucun nom”.
Pourtant, l’oubli des morts, c’est bien ce qui agaçait certains scientifiques ces derniers temps. Dans une tribune publiée début avril dans L’Express, le professeur Gilles Pialloux déplorait cette tendance à occulter le coût humain de l’épidémie. “La disparition de ce mot gomme au passage tout débat éthique et citoyen autour du prix payé en vies humaines à cette pandémie”, écrivait le chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon à Paris.
Virage des vœux présidentiels
Au sein du Conseil scientifique censé éclairer la politique sanitaire de l’exécutif, c’est la même résignation qui demeure. Dans leur note du 11 mars, les Sages soulignaient qu’une “certaine indifférence face aux chiffres des décès s’installe” dans la société. Au sommet de l’État, le terme avait aussi disparu. Dans sa dernière allocution, Emmanuel Macron a préféré l’euphémisme, en évoquant les 100.000 familles “endeuillées”, sans référence explicite à la mort.
Lors de son discours du 28 octobre annonçant le second confinement, Emmanuel Macron n’affichait pourtant pas la même pudeur. “Hier, 527 de nos compatriotes sont décédés du Covid-19”, annonçait-il d’un ton grave. Et pour justifier ce tour de vis, le chef de l’État n’hésitait pas à brandir le coût humain que représentait le maintien des ouvertures alors en vigueur.
“Il énumère en un long paragraphe morbide les séquelles du Covid long, les hospitalisations, les déprogrammations et surtout peint un tableau sinistre du futur si rien n’est fait: ‘le tri entre les patients à l’hôpital’, ’400.000 morts supplémentaires’. Puis plus rien sur les morts”, observe auprès du HuffPost Cécile Alduy, chercheuse associée au CEVIPOF, spécialiste de l’analyse du discours politique. Selon elle, le chef d’État change de communication à partir des vœux présidentiels, quand “l’approche gestionnaire et l’héroïsation permanente pour souder le corps national font passer les victimes à la trappe, comme dans une guerre”.
Et alors qu’Emmanuel Macron prend des décisions semblant à rebours du consensus scientifique, il ne peut plus faire machine arrière dans son récit. “Le politique l’emporte sur le scientifique. On s’absout des critères de taux d’incidence, des modélisations qui anticipent la mortalité. Le nombre de morts devient un impensé, et un non-dit, de la communication présidentielle”, poursuit Cécile Alduy, soulignant que la “panoplie de communication” du locataire de l’Élysée est “celle du héros, du chef militaire, pas du proche qui console”.
“Desserrer l’étau d’anxiété”
Jean Garrigues, historien spécialiste de l’histoire politique, observe également “un choix de dédramatiser la situation” de la part du président de la République. Un choix que le chercheur explique par “la nécessité d’être optimiste, dans un moment où la psychologie collective est tourmentée et angoissée”.
Le spécialiste rappelle par ailleurs qu’un clip gouvernemental sur les risques du Covid diffusé à l’automne “avait été critiqué car jugé trop anxiogène”. D’où cette volonté de “se tourner vers plus de positif, ce qui implique une occultation de la mort, dans une société qui la tolère de moins en moins” et d’adopter “une communication politique qui vise à desserrer l’étau d’anxiété qui corsète la population”.
Il est vrai qu’à cette période, de nombreuses études sur le moral déclinant des Français faisaient craindre à l’exécutif un refus du consentement des restrictions sanitaires, ce que les images venant des Pays-Bas ne faisaient que renforcer. Dans les couloirs ministériels, “l’acceptabilité” des futures mesures à prendre était d’ailleurs martelé comme un mot-clé.
Dès lors, l’objectif devient, via un discours moins accablant, de ne pas déprimer davantage une société usée par plus d’une année de crise sanitaire et de restrictions. Une communication qui serait, selon Cécile Alduy, plus en phase avec le style d’Emmanuel Macron. “Il euphémise depuis le début les souffrances de la vie réelle, notamment celles induites par ses propres réformes”, observe la chercheuse, évoquant “sa réticence à causer de ‘pénibilité’ lorsqu’on cause de travail”.
Quoi qu’il en soit, dans les 63 mots qu’il a consacrés jeudi soir au franchissement de ce seuil tragique, un terme figure encore aux abonnés absents: celui de “mort”.
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