Comment "Sex and the City" m’a dégoûtée de l’industrie audiovisuelle - BLOG
HARCÈLEMENT SEXUEL - “Il a failli frapper cette femme!” s’est exclamé ma fille Daisy, âgée de 11 ans, en pointant l’écran du doigt.Elle réagissait à une vidéo envoyée par une amie, qui avait lu mon article sur les expériences toxiques dont...
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HARCÈLEMENT SEXUEL - “Il a failli frapper cette femme!” s’est exclamé ma fille Daisy, âgée de 11 ans, en pointant l’écran du doigt.
Elle réagissait à une vidéo envoyée par une amie, qui avait lu mon article sur les expériences toxiques dont j’avais fait les frais en coulisses lorsque je travaillais sur “Sex and the City”. Me voilà donc à visionner, horrifiée, cette scène étrangement familière où le réalisateur David O. Russell engueule Lily Tomlin et l’insulte sur le tournage de J’ Huckabees, devant toute l’équipe. Une femme – qui a l’air d’une éclairagiste – est recroquevillée et se protège le visage avec les mains tandis que David O. Russell jette des objets posés sur un bureau. Dans la vidéo, personne ne lui demande si elle va bien ni n’essaie d’interrompre la diatribe du réalisateur.
“C’est ce qui m’a fait abandonner cette carrière”, ai-je confié à Daisy, même si je ne voulais pas qu’elle sache que la peur nous contraint parfois à nous éloigner des choses qu’on aime.
“Mon job, c’était de rester silencieuse et docile”
J’ai repensé au deuxième épisode de la quatrième saison de “Sex and the City”, où Charlotte (Kristin Davis) a rendez-vous chez le gynécologue. Comme j’étais sa doublure lumière – c’est-à-dire quelqu’un qui ressemble à l’actrice ou à l’acteur et qu’on embauche pour être sur le plateau pendant que l’équipe technique ajuste la lumière et prépare la scène –, on m’avait demandé de placer mes pieds dans une paire d’étriers et de ne plus bouger jusqu’à ce que la scène soit prête à être tournée. Mon job, c’était de rester silencieuse et docile. Ce jour-là, j’ai suivi les directives, comme je le faisais depuis des années dans le cadre de mon travail sur cette série.
Quand le réalisateur et les actrices sont partis en réunion, un technicien est venu scotcher mes pieds aux étriers. D’autres membres de l’équipe se sont mis à rire, tout en faisant des commentaires grossiers sur mon corps et en prenant des Polaroids. J’aurais voulu déchirer le scotch et quitter Silvercup Studios en courant mais je suis restée plantée là, en me disant que j’avais besoin de cette journée de travail et de la couverture santé offerte par le Syndicat américain des acteurs de cinéma (SAG).
“Je me sentais humiliée et désarmée”
En arrivant dans mon studio de 13m2 de l’Upper West Side, à New York, je me suis jetée sur mon matelas gonflable et me suis réfugiée sous les couvertures. Je me sentais humiliée et désarmée. Tout ce que souhaitait la jeune femme un peu fauchée que j’étais, c’était un boulot stable où on la traiterait bien.
Je me suis demandé si ces sévices étaient dus à mon attitude souriante vis-à-vis des membres de l’équipe lors de cette journée de 12 heures, c’est-à-dire une petite journée de travail pour les gens de la télévision. Ou bien s’ils ne m’appréciaient vraiment pas. Ou encore s’ils essayaient de me pousser à bout pour que je démissionne parce qu’ils cherchaient de nouvelles têtes à harceler.
Pour m’apporter un peu de réconfort après cet incident, j’ai commencé à emmener mon violon sur le tournage. Lors des pauses, je répétais dans n’importe quel studio insonorisé. Un jour, une Noire qui travaillait sur la série comme figurante est entrée dans la pièce où j’étais en train de jouer. Elle portait des nattes et avait les larmes aux yeux. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas.
“Un type de l’équipe m’a demandé si je faisais partie d’un gang,” m’a-t-elle raconté. “Et puis il m’a dit d’aller lui chercher du poulet frit” [un stéréotype culinaire de la culture afro-américaine, NLRD].
“Je ne parvenais plus à tolérer de tels agissements”
Ce ne sont là que quelques exemples du comportement toxique dont j’ai été à la fois témoin et victime sur le tournage. C’était trop pour moi. Je ne parvenais plus à tolérer de tels agissements, alors j’ai démissionné. J’ai trouvé un boulot comme serveuse pour lequel on m’a demandé de porter un smoking. Je m’en suis acheté un dans une friperie, un modèle Armani pour hommes à 50 dollars. Oui, ce nouvel uniforme signifiait littéralement que j’allais devoir me déguiser en homme pour percevoir un salaire. Le soir, quand je ne travaillais pas, je suivais des cours d’écriture en ligne et une formation à la fac. J’ai fini par être diplômée, à 33 ans.
À la naissance de Daisy, quelques années plus tard, j’ai traversé une période d’introspection. J’ai repensé aux bons moments que j’avais passés sur le tournage de “Sex and the City”, comme la fois où j’avais chanté sur scène lors de l’Amateur Night à l’Apollo Theater, après quoi Sarah Jessica Parker m’avait envoyé des roses accompagnées d’un petit mot gentil.
Ou lorsqu’un membre de la production m’avait défendue après qu’un type de l’équipe m’avait dit que mon nez était trop gros pour passer à la télé et que c’était la raison pour laquelle je n’avais pas obtenu de rôle parlant dans la série. Ou la fois où, un soir tard, Kristin Davis m’avait proposé de me raccompagner à la maison dans sa berline de luxe avant de m’offrir sa belle robe en soie, que j’exhibe encore fièrement devant mes amies.
Ou encore cette fois où des membres de l’équipe m’avaient invitée à répéter avec leur groupe de blues après un déjeuner. L’un d’entre eux avait même fait faire des t-shirts pour le groupe, avec “The Sex and the City Band” inscrit sur le devant et “The Bitters” (littéralement “Les Amers”) dans le dos. J’ai gardé le mien précieusement.
“Je me suis tue et j’ai retrouvé l’ombre”
Les années ont passé et, devant l’importance du mouvement #MeToo, j’ai plusieurs fois pensé à causer de ce que j’avais subi. Et puis je me suis dit que ce n’était rien par rapport à ce que d’autres femmes de ce secteur avaient traversé. Alors je me suis tue et j’ai retrouvé l’ombre, laissant mon expérience de doublure – et le harcèlement dont j’avais été victime – derrière moi.
Je me suis installée dans la maternité et dans ma vie de femme mariée, tout en gardant un attrait vif pour le violon. J’ai commencé à enseigner cet instrument aux tout-petits et à emmener mes deux filles, alors âgées de 2 et 7 ans, au travail avec moi. Elles sont devenues mes assistantes, distribuant des bâtons de bois à leurs amis pour faire des percussions et s’initier au chant grâce à Music Together (programme américain d’éducation musicale, Ndt).
Le local artistique où j’enseignais se trouvait dans un vieux loft surchauffé et sans ascenseur de Brooklyn. Ce lieu me procurait parfois l’impression de me trouver dans une version plus joyeuse de Sa majesté des mouches. Il y avait des enfants partout; certains, couverts de peinture, se chamaillaient ou étaient occupés à d’autres bêtises, mais lorsqu’ils me voyaient ou m’entendaient chanter, ils se précipitaient vers moi et m’enlaçaient en me priant d’entonner Hot Cross Buns. Là-bas, je ne craignais pas de me faire harceler ou de ne pas être assez cool pour comprendre une blague. Je ne m’inquiétais pas du traitement cruel que j’étais susceptible de subir si je souhaitais continuer à percevoir un salaire.
J’étais enfin en paix.
“Raconter nos histoires a le pouvoir de changer des vies”
Les réactions de mes proches et de personnes sur les réseaux sociaux vis-à-vis de mon article précédent, et le fait d’écrire celui-ci aujourd’hui, m’ont redonné confiance. Quelques jours après la publication de l’article dont je cause plus haut, Girls Write Now, une association pour laquelle j’officiais comme tutrice auprès d’ados depuis 10 ans, m’a transmis la lettre d’une femme qui cherchait à me contacter. Elle me disait que sa carrière dans le show business ressemblait beaucoup à la mienne et que, grâce à mon histoire, elle se sentait désormais prête à partager son expérience. Cette belle leçon d’humilité me rappelle que le fait de expliquer nos histoires a le pouvoir de changer des vies mais aussi les pratiques en place.
Cela me rappelle également que je ne suis pas seule. Il y a trop de personnes issues de l’industrie cinématographique qui ont été victimes de harcèlement et de maltraitance, et elles sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer. J’espère que cela entraînera une prise de conscience générale, et donc des changements d’attitude.
Mais par où commencer?
Je crois que la 1ère chose à faire, c’est d’éduquer les gens sur ce que sont les comportements toxiques, les raisons pour lesquelles ils sont répréhensibles et la façon dont ils empêchent les autres de s’investir pleinement dans leur travail, que ce soit sur un plateau de tournage, sur Zoom ou dans un bureau.
Ensuite, il faudrait obliger les personnes occupant des postes à responsabilité à suivre des formations pour qu’elles sachent identifier et bannir les actes de harcèlement et de maltraitance, et traiter les autres avec respect, quel que soit leur poste.
J’ai été heureuse d’apprendre que le producteur Gary Foster s’était donné pour mission d’améliorer les pratiques sur les plateaux de télévision et de cinéma. Avec Eileen Coskey Fracchia (spécialiste du coaching, Ndt), ils ont lancé deux projets: Humanity on Set (HoS) et le LEAD Program. Si l’on en croit la page LinkedIn de HoS, ces programmes fournissent “des outils et ressources visant à former de meilleurs dirigeants, accroître l’implication des acteurs, actrices et équipes, et prouver que les environnements de travail qui font la part belle à la diversité, l’inclusion sociale et la bienveillance donnent des résultats hautement productifs et rentables sur les tournages en plateau.”
Gary Foster estime que si la Humane Society (la SPA américaine, Ndt) encadre la manière dont sont traités les animaux sur les plateaux, rien n’empêche d’édicter des règles adaptées aux humains qui indiquent la façon correcte de diriger une équipe et encouragent le respect pour tous, à tous les niveaux.
“J’espère que mon témoignage aura d’autres retombées positives”
Mon expérience en tant que doublure de stars commence vraiment à dater. Qui sait où ma carrière et ma vie en seraient aujourd’hui si je n’avais pas traversé ces épreuves? Je ne peux pas changer ce qui s’est passé ni la façon dont j’ai réagi. Aujourd’hui, après tout ce temps et forte d’une plus grande maturité, je sais que j’ai le choix de relater mon histoire. Je comprends qu’il n’est pas trop tard pour partager mon expérience avec autrui et j’espère que mon témoignage aura d’autres retombées positives.
Je me fiche d’une éventuelle mise au placard suite à ma prise de parole sur un secteur que j’ai jadis adoré. Je me rends compte que j’ai l’occasion d’amener du changement – ou au moins de lancer une conversation sur ce sujet – et de montrer le bon exemple à mes filles. En partageant mon histoire et en discutant avec elles de l’importance de se respecter soi-même et les autres, d’établir des limites et de refuser d’être traité·e d’une façon malsaine, cruelle ou injuste, j’espère que si d’aventure elles se trouvaient dans une situation similaire à celle que j’ai vécue, elles se montreront courageuses et sauront quoi faire.
J’ai enfin décidé de me défendre – et de défendre les autres – et je sais que mes filles sont très fières de moi.
Heather Kristin a écrit pour Glamour, The Independent, Salon, Slate, et été entrevueée sur la chaîne de radio Latino NPR ainsi que par Oprah Winfrey. Elle a occupé de nombreux postes – nounou sur Park Avenue, figurante au cinéma, musicienne dans le métro, serveuse lors de soirées cocktail, entre autres – mais les rôles dont elle est le plus fière, ce sont ceux de tutrice pour Girls Write Now, de maman et de violoniste. Elle écrit actuellement ses mémoires, The Stand-In (“La doublure”).
Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Laura Pertuy pour Fast ForWord.
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