Confinement des seniors ou "Zéro Covid"? Les scientifiques de plus en plus divisés
CORONAVIRUS - Le Conseil scientifique parle-t-il encore d’une seule voix? Alors que les notes de cette instance continuent d’être envoyées à l’Élysée pour aiguiller l’exécutif dans la gestion de la pandémie de coronavirus, aucune n’a été mise...
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CORONAVIRUS - Le Conseil scientifique parle-t-il encore d’une seule voix? Alors que les notes de cette instance continuent d’être envoyées à l’Élysée pour aiguiller l’exécutif dans la gestion de la pandémie de coronavirus, aucune n’a été mise en ligne depuis celle du 12 janvier.
Ce jeudi 18 février, cinq de ses membres, dont son président Jean-François Delfraissy, ont pris la parole via une tribune publiée dans la revue The Lancet. Ils y prônent la mise au point d’un “nouveau contrat social” et la fin des cycles de confinements-déconfinements “basés sur la peur”. Alors que les populations jeunes devraient continuer à respecter une distanciation physique et les mesures barrière, “les plus vieux et les groupes les plus vulnérables” devront suivre des mesures plus strictes, c’est-à-dire un auto-isolement volontaire”.
Une stratégie qui peut de se résumer ainsi: demander l’auto-confinement des personnes à risque face au Covid-19, soit majoritairement les seniors, afin de laisser plus de libertés aux plus jeunes. Une stratégie pas vraiment nouvelle, qui figurait régulièrement dans les notes du Conseil scientifique et prônée par d’autres scientifiques depuis le début de l’épidémie. Et comme par le passé, elle a été rapidement évacuée par le gouvernement. Interrogé sur la question Olivier Véran, a affirmé que “la faisabilité d’une telle mesure est très discutable, la solidarité qu’elle emporte entre les générations l’est tout autant et l’impact épidémique n’est pas confirmé.”
Cette proposition de cinq des membres du Conseil scientifique a également été vertement critiquée par des médecins et chercheurs. Il faut dire que, tant du point de vue technique qu’éthique, il y a de fortes raisons de douter de son efficacité réelle.
Le “Zéro Covid”, une stratégie diamétralement opposée
Mais il est intéressant de noter que nombre des critiques les plus virulentes sont justement tenants d’une autre mesure à la mode ces dernières semaines, bien que diamétralement opposées: la stratégie “Zero Covid”. Celle-ci vise à éliminer complètement le virus avec la fermeture des frontières et des mesures très strictes de confinement puis de traçage des contacts.
Une stratégie séduisante, mais qui elle aussi imposerait des contraintes tant techniques qu’éthiques. D’autres membres du Conseil scientifique ont d’ailleurs récemment signé une autre tribune, publiée dans la revue scientifique The Lancet, affirmant que “l’élimination du Covid-19” est la meilleure stratégie en attendant le déploiement à grande échelle des vaccins.
Ces deux positions, portées de chaque côté par des scientifiques, ont des points communs: elles sont radicales et pleines d’incertitudes. Confiner les seniors, puisque la mortalité liée au Covid-19 est bien plus élevée chez les personnes âgées, permettrait en théorie d’en finir pour une majorité de la population avec ces cycles d’ouvertures et de fermetures. Cela permettrait de réduire la mortalité en attendant que la population soit immunisée, notamment via le déploiement des vaccins.
Cela poserait évidemment un énorme problème éthique. Sans compter que son efficacité est loin d’être garantie. Les personnes âgées sont celles qui ont le plus réduit leurs contacts lors du second confinement. Les Ehpads, pourtant “confinés” ou presque sur le papier, représentent 44% des morts liés au coronavirus en France. Il faut également rappeler que lors des vagues précédentes, aux États-Unis comme en France par exemple, on a vu l’épidémie se répandre d’abord chez les plus jeunes avant de finir par toucher les plus âgés, via des rencontres intergénérationnelles.
La stratégie Zéro Covid, elle, semble fonctionner techniquement. C’est justement l’argument principal de ses défenseurs, qui partagent sur les réseaux sociaux des images de matchs sportifs et concerts remplis de public sans masque, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Ces deux pays ont mis en place des quarantaines extrêmement strictes à leur frontière et des confinements durs et ciblés au moindre début de foyer épidémique.
Mais ces deux pays sont des îles “qui font de manière générale attention aux espèces invasives, à la biosécurité, au contrôle des frontières”, explique au HuffPost Frédéric Keck, anthropologue au CNRS et spécialiste des crises sanitaires liées aux maladies animales. Ce à quoi les tenants du ZeroCovid répondent que la Corée du Sud et d’autres pays d’Asie réussissent à avoir une circulation du Sars-Cov2 quasiment inexistante sans être des îles.
Risques de dérive à long terme
Mais que l’Europe puisse faire de même, cela reste à prouver. “Pour un certain nombre de ces pays, il y a une acculturation à la pandémie depuis des décennies, avec une habitude à une politique assez autoritaire en la matière, comme la Corée du Sud”, rappelle l’anthropologue.
Car pour arriver à “détruire” l’épidémie dans un pays, un simple confinement ne suffit pas. Et, à l’échelle de l’Europe, difficile d’imaginer une fermeture des frontières aussi drastique que dans un pays insulaire. Même si des contrôles entre États seraient possibles, comme ce fut temporairement le cas lors de la première vague, avec leurs lots de problèmes juridiques. L’Allemagne y réfléchit d’ailleurs à cause de l’explosion de variants sud-africains en Moselle et la France fait tout pour l’éviter.
Sans véritable mise sous cloche de l’Europe ou de la France face aux flux de personnes, la solution serait donc de mettre en place un contrôle drastique des foyers épidémiques, avec un dépistage, un isolement un traçage des contacts sans commune mesure avec le dispositif déployé actuellement dans toute l’Europe.
“Le Zéro Covid donne un objectif, cela permet de définir une stratégie alors qu’on a l’impression que les pays européens naviguent à vue. Cela introduit également un débat sur les mesures sanitaires. Mais on oublie dans ce débat de parler des technologies de l’information qui entravent les gens”, rappelle Frédéric Keck. Surtout que ces mesures risquent de ne pas être de courte durée. Car supprimer le coronavirus d’un pays via des mesures fortes est une chose, mais si l’épidémie continue ailleurs, à quel moment relâcher sans risquer de voir les cas repartir à la hausse?
Se pose également la question des dérives possibles à long terme. Depuis début janvier, Singapour permet à la police d’utiliser les données des applications de tracking. “Mes collègues français travaillant en Chine sont inquiets, ils ont l’impression que le gouvernement chinois retarde la vaccination, car cela les arrange, une situation où ils contrôlent la population via les technologies de l’information”, raconte l’anthropologue.
Changer de paradigme face à la lassitude
Il est également intéressant de noter que ces deux positions opposées, le confinement des seniors et le ZeroCovid, font débat aujourd’hui dans un contexte particulier. Si l’arrivée des vaccins est porteuse d’espoir, les vagues à répétition montrent bien qu’une stratégie d’atténuation de l’épidémie de Covid-19 entraîne invariablement une danse déprimante entre restrictions et allègement des mesures.
Les problèmes concrets liés à la campagne de vaccination (logistique, disponibilité des doses), les doutes sur l’efficacité du vaccin pour endiguer la propagation, sur la durée de l’immunité ou sur l’accès pour les pays pauvres ont remis sur le devant de la scène un problème qui nous était caché par les oeillères de l’immédiateté, de la gestion directe de la crise sanitaire et des pics épidémiques. Le coronavirus est probablement là pour rester.
Un sentiment exacerbé par l’émergence de plusieurs variants montrant déjà un début d’échappement à l’immunité naturelle et, potentiellement, à celle induite par les vaccins. S’il y a sur ce front de bonnes nouvelles (l’efficacité de Pfizer et Moderna contre les variants sud-africains et brésiliens), il y a aussi beaucoup d’incertitude sur l’avenir à plus long terme.
Face à ce brouillard, une stratégie permettant très vite d’être débarrassé de ces mesures à répétitions et de ces morts par milliers est attirante. Mais si les propositions les plus fortes sont fortement médiatisées (parfois avec une logique de communication bien rodée pour le ZeroCovid, comme le rappelle cet article d’Unherd, qui détaille les stratégies imaginées pour rendre l’idée d’un couvre-feu strict attrayant sur le long terme), elles ne font pas l’unanimité.
La science en action
Nature a interrogé 119 chercheurs spécialistes en virologie et en épidémiologie. 39% estiment qu’il est possible d’éliminer le Sars-Cov2 de certaines régions. Mais 89% pensent que le coronavirus va devenir endémique, c’est à dire qu’il est là pour durer et resurgira régulièrement. La seule maladie transmissible complètement éradiquée par l’humanité est la variole. Nous avons réussi à en contenir d’autres, comme la rougeole. Mais le morbillivirus qui la provoque circule encore et revient régulièrement, y compris en France.
Réussir à éradiquer le coronavirus est un but louable mais, à l’échelle mondiale, difficile à atteindre à court terme. D’un autre côté, “vivre avec le virus” avec une alternance de restrictions et de relâchements n’est pas un horizon souhaitable. Pas plus que de créer des sociétés à deux vitesses, en doublant la peine des personnes les plus fragiles.
Si l’on sait que le politique est habitué à trancher, il peut être plus étonnant de voir les scientifiques se diviser sur ces questions. C’est pourtant logique. Face à une pandémie qui bouscule nos habitudes et déjoue les pronostics, une solution simple et idéale n’existe pas encore. Depuis un an, la science domine le débat public, mais n’amène pas toujours que des certitudes.
Car un consensus, comme nous le rappelions dans un article dédié, n’émerge pas d’un coup. Il se construit via des ajustements progressifs, des études, des essais et des analyses. Et avant cela, il y a des hypothèses, des désaccords, parfois de la confrontation.
On voit ici la “science en action”, qui se développe petit à petit. Le futur nous dira peut-être laquelle des stratégies est la meilleure. Il est aussi probable que la solution, rétrospectivement, n’ait pas encore émergée. Qu’elle soit une construction faite à partir de mesures provenant de ces diverses hypothèses (ce que l’on voit également dans le domaine de la recherche médicamenteuse).
Si les politiques doivent faire des choix aujourd’hui pour gérer l’urgence, il faut surtout, plus que jamais, donner les moyens au monde scientifique de répondre aux nombreuses inconnues posées par le coronavirus afin de trouver un moyen de répondre au mieux à cette pandémie. Et aux suivantes.
À voir également sur Le HuffPost: ce graphique commenté rappelle comment le Covid-19 a écrasé toute la planète en 2020