Contre la mécanique mortifère de l’élection présidentielle, il faut élire un collectif et non un candidat

La loi organique du 29 mars portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République a prévu, à l’initiative du Sénat, que la publication des sondages sera accompagnée de leurs marges d’erreurs, témoin du poids pris par...

Contre la mécanique mortifère de l’élection présidentielle, il faut élire un collectif et non un candidat

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Les Unes des journaux annonçant le deuxième tour de l'élection présidentielle avec Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le 24 avril 2017. (Photo par Chesnot/Getty Images)

La loi organique du 29 mars portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République a prévu, à l’initiative du Sénat, que la publication des sondages sera accompagnée de leurs marges d’erreurs, témoin du poids pris par ces sondages et par ce scrutin dans la pratique politique française. C’est l’occasion de s’interroger sur le pouvoir que l’élection présidentielle confère à une personne et sur les moyens disponibles pour déjouer le désenchantement qui en résulte.

L’enquête d’opinion publiée le 3 février 2021 par Ipsos et Sopra Steria a annoncé un duel au second tour de l’élection de 2022 entre le Président sortant et la Présidente du Rassemblement national, et ce quelles que soient les candidatures présentées au 1er tour. Ce schéma n’a pas été démenti depuis par d’autres sondages [1]. Pourtant, parmi les douze personnalités proposées dans l’enquête de février, seules deux apparaissent à moins d’un sondé sur deux comme un “mauvais” Président: Xavier Bertrand et Yannick Jadot. Le gouvernement de la France par les Républicains ou l’arc écologique, selon les préférences partisanes, constituent donc la moins mauvaise solution pour la majorité des personnes interrogées. Tout le problème est que cette alternative n’a, selon cette enquête et celles qui l’ont suivie, aucune chance d’être proposée aux Français dans un an. Certes, il ne s’agit que de sondage, avec toutes les marges d’incertitudes liées à un échantillon de 1000 personnes pour l’enquête en question et à ce qui peut advenir entre-temps; mais le déroulement des scrutins présidentiels depuis 2002 tend à donner crédit à ce scénario. Il symbolise la mécanique mortifère dans laquelle le scrutin présidentiel place la démocratie française, surtout depuis la réforme de 2001 ayant instauré le quinquennat et donné la primeur à l’élection présidentielle sur celle des députés[2].

 

On pourrait imaginer un duo ou un trio comportant un Président, un Premier ministre ou élargir la donne aux principales fonctions ministérielles.

 

Les élections municipales de mars et juin 2020 ont été remportées par les alliances forgées autour des Écologistes et des Socialistes (avec souvent l’appui de la France insoumise) et par les Républicains (avec là aussi des associations avec d’autres forces républicaines). Toutes les études montrent que les citoyens accordent plus confiance à leurs représentants locaux que nationaux. Or ils n’élisent pas un maire ou un président de région mais une liste, un collectif réunissant des forces et des personnalités diverses autour d’un projet. C’est une leçon que les forces politiques devraient prendre en compte. Elles le devraient d’autant plus que, dans le mécanisme actuel de la Ve République, la réussite d’une personnalité à l’élection présidentielle n’ouvre pas la porte du pouvoir à cette seule personne mais à un ensemble bien plus large: choix du 1er Ministre et en pratique du Gouvernement, nomination aux principales fonctions exécutives, présomption de majorité à l’Assemblée.

Pourquoi, dès lors, ne pas incarner cette diversité dès la campagne présidentielle? C’est bien ce que font les Britanniques avec leurs “shadow cabinet” dans leur système d’assemblée. Ce ne serait pas alors un homme ou une femme seul(e) qui serait porté(e) aux suffrages l’an prochain mais un groupe de femmes et d’hommes. Certes, la Constitution actuelle impose que ce collectif soit incarné sur le bulletin de vote par une personne, mais elle n’a pas lieu d’être plus qu’un primus inter pares. On pourrait ainsi imaginer a minima un duo ou un trio comportant un Président, un Premier ministre (ou deux Premiers ministres successifs) ou élargir la donne aux principales fonctions ministérielles. Les campagnes qui vont se succéder en 2022 prendraient alors une tout autre tournure. Pour les forces qui ont la capacité de gouverner le pays, si cela suppose de négocier un programme fédérant ce collectif, ce serait le moyen d’éviter un combat d’ego délétère qui risque de leur coûter l’accès au pouvoir. Pour les citoyens, cela serait l’occasion d’exprimer leurs choix dans un contexte bien moins contraint que celui instauré par la peur de voir le Rassemblement national gagner l’élection. Et, pour la conduite des affaires qui s’ensuivrait, cela serait une garantie forte que le programme proposé serait appliqué et le pouvoir partagé.

 

Cela suppose de négocier un programme fédérant ce collectif. Cela serait une garantie forte que le programme proposé serait appliqué et le pouvoir partagé.

 

La démocratie n’est pas la domination d’une personne, quelles que puissent être ses qualités, mais le lieu d’un collectif: c’est son principe même. La manière dont les élections nationales sont organisées en France en mine aujourd’hui le fondement. Les États-Unis, où pourtant le Président dispose de prérogatives beaucoup moins étendues qu’en France et forme d’emblée un ticket avec un ou une Vice-Président(e) ont illustré à l’extrême dans les quatre dernières années les risques liés à des régimes trop présidentialistes dans un monde interdépendant, éminemment difficile à comprendre, à gérer, et face auquel la tentation du populisme est grande.

En 1958, lors de l’adoption par référendum de la Ve République, son Président était élu au suffrage indirect et pour un mandat qui ne coïncidait pas avec celui du Parlement; la IIIe République a vécu (sans le suffrage des femmes) avec un Président ayant des fonctions limitées. Aujourd’hui, la France est le seul régime démocratique donnant autant de pouvoirs à une personne, situation sur laquelle nous n’avons jamais eu à nous prononcer directement puisqu’elle a été décidée par la voie causementaire en 2001. Sur le plan philosophique, on ne peut que souhaiter que les programmes électoraux prennent cette question à bras-le-corps et proposent des solutions permettant, dans le respect de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, de pratiquer la démocratie de la manière la plus apaisée possible en ces temps si complexes. Dans l’idéal, et les démocraties avancées peuvent y prétendre, la démocratie est un pouvoir qui ne cherche pas à s’exercer au-delà des limites que lui ont conférées les citoyens. Faire jouer des collectifs dès l’élection présidentielle en serait un gage. 

 

[1] - https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/02/117900-Rapport-LF.pdf ; https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/04/118032-Rapport-JDD-08.04.2021.pdf ; - https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/publication/documents/2021-04/Rapport%20Enquete%20Ipsos_CEVIPOF%20LEMONDE%20FJJ%20_SituationPolitique.pdf 

- http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2021/04/Rapport_Harris-Intentions_de_vote_Presidentielle_2022-avril-2021_Challenges.pdf ; - https://elabe.fr/wp-content/uploads/2021/04/pr2022.pdf

[2] Voir notamment “Le Front national, fruit des institutions de la Ve République” et “Face au peuple et aux pouvoirs intermédiaires, le roi est nu”.

 

 

“Le libéralisme contre le capitalisme” de Valérie Charolles, Folio Essais, Gallimard, 2021, 9,20 €, en savoir plus ici

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