Contre les "mutilations" faites aux enfants intersexes, un député LREM dépose un amendement
INTERSEXUATION - L’enjeu est crucial, mais le sujet reste tabou. Ce jeudi 14 janvier, à l’occasion du projet de loi confortant les principes républicains, le député LREM Raphaël Gérard déposera à 17h un amendement, que Le HuffPost s’est procuré...
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INTERSEXUATION - L’enjeu est crucial, mais le sujet reste tabou. Ce jeudi 14 janvier, à l’occasion du projet de loi confortant les principes républicains, le député LREM Raphaël Gérard déposera à 17h un amendement, que Le HuffPost s’est procuré en exclusivité, pour le moment co-signé par vingt de ses collègues* et visant à lutter contre les mutilations sexuelles faites aux enfants intersexes.
Pour ce député de Charente-Maritime, qui a déjà porté le sujet lors des débats relatifs à la loi bioéthique, c’est une zone grise du droit. “On ne peut en principe pas pratiquer d’opérations irréversibles sans le consentement de la personne, nous explique-t-il. Mais dans les faits, on voit bien que ça n’est pas du tout respecté”.
“L’idée est de pousser le politique à reconnaître l’illégalité de ces interventions et dire qu’elles sont pénalement répréhensibles”, abonde auprès du HuffPost la juriste et coprésidente du Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) Marie-Xavière Catto, qui a participé avec d’autres membres du GIAPS à l’élaboration de cet amendement. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
Des “opérations irréversibles”
Selon un rapport du Conseil de l’Europe de 2015, 1,7% des naissances en France chaque année concerneraient des enfants intersexes, c’est-à-dire nés avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions des corps masculins ou féminins. Selon ce rapport, 96% d’entre eux ont reçu un traitement hormonal, 64% une ablation des testicules, 38 % une réduction de leur clitoris, 33 % des opérations vaginales et 13 % une correction de leurs voies urinaires.
“Une étude du fichier de l’assurance maladie, le SNIIRAM, identifie 4678 opérations réalisées en 2017 sur des enfants de moins de 13 ans, dont 87,4 % sur des enfants de moins de 4 ans”, indique au HuffPost l’entourage de la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances Élisabeth Moreno, sans pouvoir donner plus d’information sur le type d’opérations pratiquées.
Si ces “variations du développement sexuel” - c’est le terme médical - ont toujours existé, des chirurgies ont commencé à être pratiquées après la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis, dans le sillage de la modernisation de la médecine occidentale, et se sont systématisées en France à partir des années 70. “Les médecins étaient ou sont incités à repérer le plus tôt possible les intersexuations et à assigner tout de suite un sexe à ces enfants”, explique au HuffPost la sociologue Michal Raz, autrice d’une thèse sur les enfants intersexes.
Ces “opérations irréversibles” visent “à assigner ou à conformer un sexe pour des raisons purement sociales”, selon Marie-Xavière Catto.
Mises en garde de toutes parts
Dans son amendement, le parlementaire propose d’ajouter deux articles au Code de la Santé prévoyant qu’il “ne peut être porté atteinte à l’intégrité corporelle d’un mineur dans le but de conformer l’apparence de ses organes génitaux au sexe masculin ou féminin que si l’intéressé exprime personnellement sa volonté de subir une telle intervention”. Une “atteinte” qui pourrait être “punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende”.
La France a été rappelée à l’ordre à plusieurs reprises par l’ONU sur ces “mutilations”, mais aussi par la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), le CCNE en 2019 ou encore le Conseil d’Etat. Dans un avis rendu en 2018, les Sages ont ainsi estimé que “lorsque le mineur n’est pas apte à exprimer sa volonté, seul un ‘motif médical très sérieux’ peut justifier que, sans attendre que l’enfant soit en âge de participer à la décision, un acte médical portant gravement atteinte à son intégrité corporelle soit mis en œuvre.”
Nous savons que des interventions médicales non nécessaires [...] sont pratiquées sur des enfants intersexes en FranceEntourage de la ministre Élisabeth Moreno
Le Collectif intersexes et allié.e. (CIA) demande de longue date “la fin des mutilations, stérilisations, traitements hormonaux non consentis sur des personnes intersexes”, dénonçant des opérations “irréversibles”, “traumatisantes” et purement” esthétiques”, bien qu’elles ne sont pas “vitales”.
“Il peut arriver que dans certains cas de variation du développement sexuel, l’enfant présente une pathologie pouvant générer des problèmes de santé à court terme, explique Raphaël Gérard. On ne peut pas différer le temps de l’intervention médicale, car elle présente un intérêt pour la survie de l’enfant. En revanche, si on en profite pour faire une réduction du clitoris, on n’est plus dans une démarche strictement thérapeutique, mais dans une démarche de conformation sexuée qui, elle, n’est jamais urgente”. “Il n’y a jamais de nécessité médicale à assigner un sexe”, abonde, la juriste Marie-Xavière Catto.
“Nous savons que des interventions médicales non nécessaires (traitements hormonaux et/ou opérations chirurgicales) sont pratiquées sur des enfants intersexes en France, reconnait-on dans l’entourage de la ministre Élisabeth Moreno. Néanmoins, nous constatons que plusieurs protocoles de soins les recommandent”.
Faut-il comprendre alors qu’il s’agit d’opérations illicites? Sollicité à ce sujet, le ministère n’a pas souhaité nous répondre. L’article 16-3 du Code civil prévoit en tout cas qu’il “ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui”.
Du propre aveu du ministère, les médecins continuent donc de pratiquer des interventions médicales non nécessaires sur des enfants intersexes. C’est notamment le cas pour l’hyperplasie congénitale des surrénales, une forme d’intersexuation. Dans son protocole national de diagnostic et de soins pour les maladies rares, publié en 2011, la Haute autorité de la santé explique que “le geste chirurgical dans les premiers mois de vie comprend 3 étapes principales: d’abord la “vaginoplastie”, “si besoin, la réduction de la taille du clitoris” et enfin “la périnéoplastie qui consiste à reconstruire quand cela est possible les petites lèvres”.
“Tant que l’enfant n’a pas pu dire qu’il était mal dans son corps, vous ne pouvez pas le présumer”
Sollicité par le HuffPost, le chef du service de chirurgie viscérale et urologie pédiatriques de l’hôpital parisien Robert-Debré, le Dr Alaa El-Ghoneimi, reconnait qu’il ne s’agit pas d’une “opération vitale”, mais réfute pratiquer la réduction du clitoris pour des “raisons esthétiques”. “Il ne faut pas tout le temps se concentrer sur l’effet irréversible médical, précise-t-il, mais se poser la question de l’effet irréversible psychologique. Le fait pour une fille d’avoir un clitoris qui ressemble à un pénis jusqu’à sa majorité est aussi un traumatisme.”
Sur ce sujet, les associations ne sont pas toutes d’accord. La co-présidente de l’association française sur les maladies des Surrénales assure au HuffPost que la majorité de ses adhérentes opérées précocement en “sont heureuses” et ne “parlent pas de mutilations”. Si elle reconnaît qu’il serait préférable d’obtenir le consentement personnel de l’enfant, elle juge les avantages à cette chirurgie “plus intéressants que les inconvénients”.
Des chirurgies qui peuvent pourtant entrainer de multiples complications, à en croire les témoignages recueillis par le Collectif intersexes et allié.e.s: infections des voies urinaires, diminution ou perte du plaisir sexuel, dépendance aux médicaments, des dépressions, etc.
Peu d’études sur ce sujet
“Les raisons essentielles de ce choix d’âge sont la disponibilité des tissus génitaux lorsque la réparation est faite précocement (...) et la minimisation des conséquences psychologiques pour l’enfant et son entourage”, justifie la Haute autorité de la santé dans son protocole.
En référence à l’article 16-3 du Code civil, le Dr Alaa El-Ghoneimi estime de son côté que “la santé mentale et le bien-être de l’enfant revêtent un intérêt thérapeutique”. “On ne connait pas l’effet d’élever un enfant avec un aspect morphologique de l’autre sexe”, plaide-t-il.
Pour Benjamin Moron-Puech, enseignant-chercheur au Laboratoire de sociologie juridique de l’Université Panthéon-Assas, cet argument ne tient pas. “C’est théoriquement possible d’invoquer une souffrance psychique pour défendre ces opérations, mais tant que l’enfant n’a pas pu dire qu’il était mal dans son corps, vous ne pouvez pas le présumer, analyse-t-il pour Le HuffPost. Comment peut-on dire que cet enfant sera nécessairement dans une situation de souffrance? Souffrance seule à même de justifier légalement ici une prise en charge médicale (ces opérations sont remboursées par la Sécurité sociale, ndlr)”.
Un avis partagé par le député LREM Raphaël Gérard: “Ce n’est pas l’intérêt social qui doit primer, mais l’intérêt de l’enfant. Et son intérêt n’est pas forcément d’être assigné dans un genre très tôt”.
Comme le notait un rapport réalisé par deux sénatrices en 2017, “il n’existe pas d’études portant sur le suivi des personnes concernées tout au long de leur vie”. “Nous ne disposons d’aucune cohorte de patients qui ont été opérés à l’âge adulte”, y reconnaissait le Dr Claire Bouvattier, endocrinologue à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre et responsable du Centre de référence des Anomalies Rares du Développement Sexuel. “Puisqu’on ne sait pas, il faut s’abstenir d’opérer et attendre que l’enfant soit en capacité de formuler une décision éclairée”, plaide le parlementaire Raphaël Gérard.
Auprès du HuffPost, la sociologue Michal Raz ajoute que le suivi médical des enfants opérés précocement s’arrête rarement à une seule opération. “Ils sont suivis, voire réopérés des années plus tard”. “Pourquoi faire subir ça à un enfant sans son consentement alors qu’une intervention sera probablement proposée des années plus tard ?, s’interroge-t-elle. Autant d’incertitudes qui posent la question d’attendre que l’enfant intersexe soit en capacité de donner son consentement éclairé et personnel.
Deux plaintes déposées en 2015 et 2018
Dans une question écrite consacrée aux “mutilations des personnes intersexes”, la sénatrice Laurence Cohen rappelait que deux plaintes ont été déposées successivement en 2015, puis en 2017, pour “violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente”, “violences sexuelles” et “détérioration définitive des organes génitaux”.
Ces pratiques semblent déjà remises en question dans certaines structures médicales, comme l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, où travaille le Dr Claire Bouvattier, qui n’avait pas répondu à nos sollicitations ce jeudi 14 janvier. “Ces voix sont minoritaires, mais elles essayent d’agir à leur niveau”, regrette toutefois la sociologue Michal Raz.
Preuve que le sujet est particulièrement sensible et complexe, nous ne sommes pas parvenus à recueillir des témoignages de personnes intersexes qui ne soient pas à la tête ou porte-parole d’une association. “Nous avons eu des mauvaises expériences avec des journalistes”, nous ont répondu plusieurs d’entre elles. D’autres nous ont dit craindre le “traitement voyeuriste” qui serait fait du sujet.
Une “avancée” adoptée dans la loi bioéthique... ?
Il est en tout cas une chose dont se réjouissent collectivement les associations: l’arrivée de ce sujet dans le débat médiatique et politique. “Une réunion doit se tenir le 6 février 2021 prochain au ministère d’Élisabeth Moreno”, annonce son entourage au HuffPost. Elle se fera en présence “des associations signataires du plan national d’action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines”, lancé en 2019, ajoute cette même source. Les associations représentant les personnes intersexes seront-elles conviées? Après consultation minutieuse, le plan ne fait en tout cas pas directement mention des personnes intersexes.
“Toutes formes de mutilations sexuelles sont une atteinte portée à la dignité humaine, elles doivent être condamnées et punies par la loi, rappelle enfin l’entourage d’Élisabeth Moreno. D’autant plus qu’elles sont le plus souvent réalisées sur des enfants, ces derniers n’étant alors pas en mesure de se protéger de telles agressions”.
Le sujet a également été débattu pendant plusieurs heures, et pour la première fois, lors des discussions relatives au projet de loi bioéthique. Si les amendements visant à interdire ces mutilations ont été rejetés, un autre, porté par Raphaël Gérard, a été adopté en seconde lecture du texte à l’Assemblée en août dernier.
Il propose la remise d’un rapport au Parlement sur l’activité des centres de référence, afin notamment de quantifier les interventions médicales; la recherche systématique du consentement du mineur et surtout une prise en charge des personnes intersexes après concertation d’une équipe pluridisciplinaire dans un centre de référence spécialisé, qui envisage les options thérapeutiques, dont l’abstention.
“C’est exactement ce qu’on fait depuis quasiment 20 ans”, rétorque le Dr Alaa el-Ghoneimi, admettant toutefois que certaines décisions sont prises “dans les premiers jours de vie” sans passer par une Réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) nationale. “Mais il y a toujours concertation.”
...ou un recul ?
Censé être une avancée, ce texte du mois d’août est pourtant très critiqué par les associations concernées. Pour Benjamin Moron-Puech, il représente même un recul, contribuant à “médicaliser” les personnes intersexes. “Le principe posé dans ce texte est celui d’une prise en charge des enfants intersexués, remarque-t-il. La démarche est inversée puisque ce qu’imposent les droits humains, c’est au contraire que par principe il n’y ait pas de prise en charge.”
“On est en train d’inscrire dans la loi des pratiques qui n’y existaient pas, assène Marie-Xavière Catto. Cela va limiter le potentiel d’interprétation qui existait auparavant.”
“Faux”, rétorque Raphaël Gérard. “La volonté du législateur a été de poser les premières bases d’un grand mouvement de dépathologisation des personnes intersexes. Nous avons ainsi consacré la possibilité d’une absence de traitement et promu une prise en charge dépathologisée.
Et d’ajouter: “Nous ne sommes qu’au début du combat culturel pour que la société change de regard sur les variations”.
*Liste des co-signataires de l’amendement: Stéphanie Atger, Anne-France Brunet, Annie Chapelier, Stela Dupont, Véronique Hammerer, Yannick Kerlogot, Sonia Krimi, Gaël Le Bohec, Brigitte Liso, Alexandra Louis, Sandra Marsaud, Monica Michel, Bénédicte Pételle, Maud Petit, Valérie Petit, Cathy Racon-Bouzon, Cécile Rilhac, Jean-Louis Touraine, Laurence Vanceunebrock, Patrick Vignal.
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