“Correspondance avec des écrivains 1948-1984” : autoportrait d’un François Truffaut en brillant épistolier

On savait la correspondance de François Truffaut à la fois pléthorique et bien rangée : le cinéaste classait tout avec un soin maniaque, ce qui est évidemment une bénédiction pour les archivistes. Le fonds Truffaut de la Cinémathèque française...

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On savait la correspondance de François Truffaut à la fois pléthorique et bien rangée : le cinéaste classait tout avec un soin maniaque, ce qui est évidemment une bénédiction pour les archivistes. Le fonds Truffaut de la Cinémathèque française représente cent vingt boîtes s’étendant, lit-on, “sur plus de douze mètres de long”… Bigre ! À vrai dire on le savait depuis longtemps, puisqu’une 1ère partie de cette volumineuse correspondance a été publiée en 1988, quatre ans seulement après le décès précoce du cinéaste, dans une édition établie par Gilles Jacob et l’ami et collaborateur Claude de Givray, avec un avant-propos de Jean-Luc Godard. Quatre ans, c’est peu.

Comme si tout de suite il était paru évident qu’elle allait être splendide – ce qu’elle est – cette correspondance, et qu’il fallait la montrer au plus vite aux fans (nombreux·ses) de Truffaut. On le connaît grand lecteur depuis toujours ; ses films sont plein de livres, de lettres, de télégrammes, voire de pneumatiques, et nombre d’entre eux – des Mistons (d’après Maurice Pons, l’un de ses correspondants réguliers) ou Tirez sur le pianiste (d’après David Goodis) à Vivement dimanche ! (de Charles Williams), en passant par les deux récits de Henri-Pierre Roché (Jules et Jim et Deux Anglaises et le continent), sont des adaptations de romans. 

“L’Histoire d’Adèle H.” de François Truffaut (1975)

En 1988, on redécouvrait (puisqu’on connaissait plusieurs de ses papiers critiques pour Arts ou Les Cahiers du cinéma) le style bondissant et direct de Truffaut, adepte malicieux du jeu de mot laid, mais aussi parfois sa manière de prendre son temps, de faire dans le beau style quand il se voulait convaincant et séducteur, quand le jeu en valait la chandelle. 

Cette prémonition se confirme aujourd’hui, avec près de 600 pages de lettres “de plus”, cette fois-ci uniquement adressées à des écrivain·es. 

Une Vilmorin, un Truffaut

Lesquels ? Certain·es sont célèbres, comme Jean Cocteau, Jean Genet, Louise de Vilmorin (notamment l’auteur de Madame de… dont Max Ophüls fera un chef-d’œuvre de cinéma avec Danielle Darrieux), Jacques Audiberti (un peu oublié aujourd’hui, cet écrivain farceur et fin était très connu à l’époque), Ray Bradbury (l’auteur de Fahrenheit 451, bien sûr)… D’autres le sont beaucoup moins, comme le père Jean Mambrino (un ami du grand critique André Bazin) ou le journaliste et écrivain belge Bernard Gheur. Et puis il y a les ami·es fidèles, comme Serge Rezvani.  

On s’amuse des comptes d’apothicaire de Jacques Audiberti (des histoires de piges à tarifs variables…), des petits échanges très utilitaires entre Marguerite Duras et Truffaut (il lui fournit l’adresse de Jeanne Moreau, alors en tournage au Mexique ; elle lui demande du boulot pour son fils, photographe), des marivaudages avec Louise de Vilmorin, des tentatives émouvantes et un peu tristes d’Henri-Pierre Roché de proposer à Truffaut des scénarios qu’il a écrits dans les années 1920… 

Et on ne sait plus s’il faut rire ou pleurer quand Truffaut se faire passer un savon par Genet parce qu’il avait une heure et demie de retard à un rendez-vous et que le pauvre François explique une histoire de médicament pour sa fille malade en bas âge à laquelle on n’est soi-même pas sûr de croire. 

Truffaut est un charmeur poli, têtu et patient, et un ami fidèle. Il tisse, petit à petit, des liens avec ces écrivain·es qu’il admire, qu’il a choisi·es, sans se presser, osant une 1ère blague, puis deux, au fil des échanges de lettres. Avec les années, parfois, on passe au tutoiement.  

La lettre comme bouclier social 

Les lettres peuvent servir de moyen de protection. Pas moins mondain de la part de Truffaut en réalité, qui “classe” (c’est-à-dire n’y répond même pas) des invitations un peu grotesques à des pince-fesses sans intérêt. Écrire à quelqu’un permet aussi de ne pas le voir, se dit-on plus d’une fois. Ses ami·es se plaignent souvent de ses absences, du temps qui passe et des retrouvailles qui ne se font pas toujours. Et quand ils et elles l’invitent, il ne peut justement pas, puisqu’il commence à tourner un nouveau film le lendemain. 

Il y a des moments un peu tendus : avec Pierre Bost (qui demeure par ailleurs très poli), qui reproche à Truffaut de lui avoir emprunté le scénario du Journal d’un curé de campagne, coécrit avec son ami Jean Aurenche, qui servira finalement au réalisateur pour vilipender les deux scénaristes (et la globalité du cinéma français des années 1950) dans sa fameuse charge Une certaine tendance du cinéma français (paru en janvier 1954 dans Les Cahiers du cinéma). Ce n’est pas bien correct, certes, se dit-on, mais Truffaut est jeune, pauvre, ambitieux, son talent est reconnu, il est à la mode. Et surtout, il a raison. 

Les Quatre Cents Coups de François Truffaut (1959)

Car c’est bien ce qui ressort de cette correspondance, comme de celle de 1988 : François Truffaut possède un instinct très sûr en tant que critique (qu’il gardera toute sa vie), et a une idée fixe qui plaît beaucoup aux écrivain·es (surtout de droite, d’ailleurs, mais Truffaut ne se politise vraiment qu’à partir des années 1960) : la “politique des auteurs”, qui veut que les défauts d’un film ne soient rien à côté du génie affirmé d’un cinéaste.  

Qu’on lui soit fidèle ou non aujourd’hui, à cette “politique des auteurs” qui permit l’éclosion de la Nouvelle Vague, il faut bien le dire : le top du top, pour un réalisateur, de nos jours, à tort ou à raison, c’est d’être considéré comme un auteur. Truffaut a gagné. 

Correspondance avec des écrivains 1948-1984 de François Truffaut (Gallimard), établie et commentée par Bernard Bastide, 528 p., 24 €. En librairie.