Covid-19: à Bobigny, des consultations psy pour faire face aux deuils

PSYCHOLOGIE - C’est le département au taux d’incidence le plus élevé de France, la Seine-Saint-Denis subit de plein fouet la troisième vague de Covid-19. Des centaines de milliers de personnes font face à des deuils parfois insurmontables....

Covid-19: à Bobigny, des consultations psy pour faire face aux deuils

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Photo d'illustration prise au Père Lachaise à Paris, le 7 juin 2020.

PSYCHOLOGIE - C’est le département au taux d’incidence le plus élevé de France, la Seine-Saint-Denis subit de plein fouet la troisième vague de Covid-19. Des centaines de milliers de personnes font face à des deuils parfois insurmontables. Pour eux, une consultation psychologique a été créée par l’hôpital de Bobigny.

Emilie Pierre a perdu son père âgé de 68 ans en novembre dernier, après trois semaines en réanimation. Trois semaines d’angoisse où elle a “arrêté de respirer”. Depuis, cette commerciale de 37 ans surnage dans la dépression, noyée dans un sentiment mêlé d’injustice, d’incompréhension et d’abandon. “Mon papa a été mis dans un sac. On n’a pas eu le droit de l’habiller, s’émeut-elle. Et le cercueil a été scellé sans qu’on soit prévenues”.

La jeune femme pointe du doigt les soignants, “sous l’eau, mais parfois déshumanisés”, et “le manque d’accompagnement des pompes funèbres”. “Derrière les 400 morts par jour, c’est 400 familles brisées. À quel moment on est pris en charge, soutenus?”, s’interroge-t-elle. 

En cherchant de l’aide sur internet, Emilie Pierre est tombée sur le numéro de téléphone de la consultation gratuite, “unique en France”, créée en mai 2020 par le service de psychiatrie de l’hôpital Avicenne (AP-HP) pour soutenir les “endeuillés” de la Seine-Saint-Denis, département qui a enregistré la plus forte surmortalité pendant la 1ère vague de l’épidémie. 

Familles endeuillées, les oubliées de la pandémie

Visites interdites dans les hôpitaux, corps des défunts invisibles et intouchables, rites funéraires proscrits... “On s’est rendu compte très vite que les familles vivaient des situations infernales”, se souvient le chef de ce service, Thierry Baubet. Afin de faire connaître cette ligne de soutien psychologique (téléphone, visioconférence et rendez-vous physiques), le psychiatre a fait diffuser des flyers dans les hôpitaux, les morgues ou encore les pompes funèbres. En 10 mois, près de 300 “endeuillés” franciliens ont été accompagnés.

“La grande majorité des gens se débrouillent du deuil, mais, là, les circonstances et l’isolement ont généré beaucoup de deuils pathologiques”, constate le professeur Baubet, qui co-dirige le CN2R (Centre national de ressources et de résilience). 

Pendant la 1ère vague, soignants et proches des victimes avaient dénoncé des situations inhumaines. Ils ont été entendus: les droits de visite ont été assouplis dans les hôpitaux et, le 21 janvier, le Conseil d’État a pris un décret autorisant finalement la présentation des corps des défunts et les toilettes mortuaires.

Vers un “hommage aux morts”? 

Victoria Lotz, la psychologue responsable de cette consultation explique:“Pour certains, trois ou quatre séances suffisent à se réinscrire dans une trajectoire de deuil normal. Pour d’autres, c’est beaucoup plus compliqué”. Le deuil des patients est, dans beaucoup de cas, empêché par le “caractère irréel” de la mort de leur proche, dont ils n’ont pas pu voir le corps, et “qu’ils n’ont pas pu honorer comme ils l’auraient voulu”. 

Il est aussi entravé par un grand sentiment de culpabilité - “d’avoir dû laisser la personne mourir seule, de lui avoir peut être transmis le virus”-, de colère -“envers les institutions, le virus meurtrier et invisible”- et d’injustice - “pourquoi c’est tombé sur moi alors que j’ai fait tout ce qu’on me disait?”-, égrène la psychologue. 

“En plus, le virus n’offre aucun répit: il est partout, dehors, à la télévision. Et il reste impossible de prendre un ami dans ses bras, ou d’aller au cinéma pour se changer les idées”, ajoute celle qui essaye de réparer ces processus de deuil en écoutant et en proposant des rituels (écrire des lettres, réunir des proches en visio...).

“On s’est rendu compte après la 1ère vague, où les autorités sanitaires avaient été très brutales, que le rapport au corps est fondamental pour que la communauté des morts et celle des vivants puissent cohabiter”, analyse Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue et psychologue clinicienne.

“Il y a eu une demande sociale car trop de fins de vie ont été scandaleuses. Nous ne sommes pas des robots, nous avons besoin d’accompagner nos morts, sans cela, il n’y pas plus de sens à rien. Tout s’effondre, socialement et psychiquement”, dit-elle.

Pour le professeur Baubet, “il faudra s’interroger afin de savoir s’il ne faudrait pas envisager un hommage national, une journée où on marquerait le soutien de la Nation”. “Il y a aujourd’hui entre 500.000 et 1 million d’endeuillés dans le pays, estime-t-il. C’est énorme”.

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