Covid-19: le "variant porn", une fascination alarmiste et souvent trompeuse
CORONAVIRUS - Non, le variant indien ne risque pas de transformer l’humanité en zombie. Non, l’expression “double mutant” ne veut pas dire qu’il soit plus mortel. Non, la médecine n’est pas en train de crouler sous les nouvelles transformations...
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CORONAVIRUS - Non, le variant indien ne risque pas de transformer l’humanité en zombie. Non, l’expression “double mutant” ne veut pas dire qu’il soit plus mortel. Non, la médecine n’est pas en train de crouler sous les nouvelles transformations dangereuses du coronavirus.
C’est pourtant l’impression que vous avez pu avoir ces dernières semaines, voire ces derniers mois. Aux États-Unis, on qualifie désormais cette angoisse de “variant porn”.
Si les variants inquiètent, c’est pour une bonne raison, et pour beaucoup de mauvaises. D’abord, rappelons-le, un virus mute régulièrement, c’est normal et la plupart du temps, cela n’a aucune espèce d’importance. Dans le cas du coronavirus, ces mutations apparaissent en moyenne deux fois par mois dans chaque “branche” du virus, chaque branche abritant désormais des centaines de variants. C’est une évolution deux fois moins rapide que pour le virus de la grippe.
Lorsqu’un virus a muté après s’être reproduit dans le corps d’un hôte et qu’il se transmet à un autre individu, il parvient parfois à créer une nouvelle lignée. Il est devenu un variant, une variation du virus d’origine, avec parfois des changements de propriétés qui peuvent en accentuer la gravité: concentration virale plus élevée dans le sang, plus grande stabilité du virus, durée d’infection plus longue...
Une chose est sûre néanmoins, un variant n’acquiert pas de propriétés surnaturelles. Comme l’indiquait avec humour la virologue Angela Ramussen au site Elemental: “le virus ne va pas soudainement acquérir le don de passer à travers les murs”. C’est pourtant ce que la couverture de l’épidémie laisse parfois penser, en allant chercher dans notre penchant pour l’irrationnel...et pour les zombies.
Se faire peur, une envie tellement humaine
“La peur est l’une de nos émotions les plus anciennes”, décode pour Le HuffPost le psychologue clinicien Samuel Dock. “Elle nous permet de nous représenter quelque chose. Les variants sont une représentation de ces peurs”. Pour le dire autrement: derrière le variant, il y a une manière de se représenter la maladie comme un ennemi un mouvement, à la manière d’un zombie.
“On est dans un fantasme de l’apocalypse ou de la figure du zombie, une forme de plaisir à vivre dans une dystopie”, explique le praticien. Dans son livre intitulé Malaise dans la civilisation, le psychologue développait son analyse de notre attirance pour le pire: “J’ai conscience, écrit-il, de la fascination qu’exerce globalement l’apocalypse dans son sens le plus commun, celui de la fin du monde, la fascination pour les imageries qu’elle charrie, des plus folkloriques aux plus réalistes.”
Il y a donc autre chose qu’une envie de représentation: une certaine soif d’en finir avec une période particulièrement morose. “On est tous très aliénés”, continue Samuel Dock. “Le variant, en tant qu’explosion potentielle, a quelque chose de rassurant: tout va exploser, et on va pouvoir reconstruire derrière.” L’avalanche de variants et le discours catastrophiste qui les entoure ne nous tiennent pas seulement en haleine: ils jouent, paradoxalement, avec notre besoin profond de passer à autre chose. Quitte à propager de fausses nouvelles.
Les variants, usine à infox
Ces visions exagérées, partielles ou simplement fausses des périls des mutations du Covid-19 ne font pas que prendre de la place dans notre imaginaire. Elles influent durablement sur la compréhension de la maladie par l’opinion, hystérisant un peu plus la vision d’une pandémie déjà dramatique. Un cas d’école est celui du variant anglais B.1.1.7.
En janvier 2021, alors que ce dernier se répandait outre-Manche, Boris Johnson a donné un avertissement à la population: cette forme du virus pourrait être “plus mortelle” que le coronavirus d’origine. Trois mois et de nombreuses études de cas plus tard, les conclusions d’une équipe britannique sont publiées dans la revue The Lancet: non, le variant B.1.1.7 n’est pas plus mortel chez les malades atteints de la forme grave. Il est plus contagieux, mais n’est pas plus létal.
Durant ce laps de temps pourtant, les informations sur les effets du variant se sont accumulées, souvent en appuyant sur le danger entraîné par ce variant. En réalité, le temps médiatique et politique a pris de l’avance sur le temps scientifique. Quitte parfois à suivre de plus près l’existence de variants que les chercheurs eux-mêmes.
Aux États-Unis, au mois de février, de nombreux médias titraient ainsi sur l’existence d’un redoutable “variant américain”, ou “variant new yorkais”. Vous n’en avez pas entendu causer? C’est normal: le variant britannique l’a totalement submergé. Mais en février 2021, comme le rapportait alors le Washington Post, des experts se sont élevés contre des unes catastrophistes le présentant comme la nouvelle menace, le nouveau danger épidémique.
Le conseiller scientifique du maire de New York Bill de Blasio s’en est même irrité avec un cinglant: “Le porn des pathogènes n’aide pas la santé publique”.
Suivre les variants, une nécessité scientifique
Cela ne signifie pas pour autant que les variants ne doivent pas être suivis près. Bien au contraire. Un code génétique est une chose complexe, très imbriquée, et difficile à lire pour les scientifiques. Ainsi, quand ils identifient des mutations dans des séquences clefs, il n’est pas possible immédiatement pour eux d’indiquer si elles vont changer le fonctionnement général du virus.
Dans le cadre de la pandémie du Covid-19, seules les observations statistiques ont permis de confirmer que la nouvelle souche était plus contagieuse. B117, le variant britannique, est majoritaire au Royaume-Uni. Comme il s’est imposé, c’est le signe qu’il est plus contagieux, d’autant plus que des mutations sont survenues dans des séquences génétiques qui influent sur la transmission du virus.
Une méthode forcément lente, qui explique les énormes zones d’ombre existant encore autour du variant brésilien. Aujourd’hui, les dernières études semblent montrer qu’il ne résiste pas à la plupart des vaccins, et qu’il est aussi contagieux que son cousin britannique. Impossible pourtant d’être définitif, et le mutant de Manaus fait l’objet d’une surveillance très rapprochée tant on l’estime dangereux.
En France, ce type de variant est dénommé “variant d’intérêt”, à la différence du variant britannique, classé lui “variant préoccupant”. Il existe une dernière catégorie, celle de variant ”à haut risque”, mais aucune mutation du Covid-19 n’en fait partie. Ces trois catégories internationalement reconnues relèvent de la surveillance génomique, et là, plus question de “variant porn”. Repérées localement, les mutations du virus sont listées dans une base de données mondiales que les chercheurs peuvent consulter et compléter.
Ces le cas, par exemple, du nouveau variant breton rendu public par les autorités sanitaires à la mi-mars. Aujourd’hui en cours d’études, il est formellement identifié, et ne semble pas plus dangereux, ou plus contagieux, que les autres mutations. Il fera l’objet de tests additionnels. Cela n’exonère pas la France des critiques dont elle fait l’objet quant à sa vigilance sur l’émergence de nouveaux variants, jugée souvent insuffisante. L’Hexagone est accusé d’être à la traîne sur les séquençages de virus, notamment par rapport à son voisin britannique. Mais cet écueil ne change pas la réalité scientifique: pour comprendre un variant, il faut du temps.
À voir également sur Le HuffPost: Les mutations des virus expliquées en 2 minutes