Covid: la tragédie de Manaus n'est pas inéluctable ailleurs

SCIENCE - C’est une tragédie en trois actes qui se joue au nord-ouest du Brésil, avec le coronavirus comme acteur principal. À Manaus, plus grande ville d’Amazonie, les décès quotidiens dépassent la centaine, les hôpitaux sont submergés, l’oxygène...

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Un cimetière à Manaus, en juin 2020, alors que la ville brésilienne était balayée par une première vague épidémique.

SCIENCE - C’est une tragédie en trois actes qui se joue au nord-ouest du Brésil, avec le coronavirus comme acteur principal. À Manaus, plus grande ville d’Amazonie, les décès quotidiens dépassent la centaine, les hôpitaux sont submergés, l’oxygène vient à manquer.

Une situation malheureusement pas si unique. Ce qui donne à Manaus son caractère singulier, et fait craindre au monde entier des mois à venir difficiles, ce sont les deux actes précédents. On a beaucoup parlé de cette ville de deux millions d’habitants au début de la pandémie de Covid-19, touchée par une première vague dévastatrice entre avril et juin. Certains pensaient même qu’elle avait atteint, au prix d’un lourd bilan, l’immunité collective, ce seuil au-delà duquel il n’y a plus assez de personnes pouvant attraper le coronavirus.

Ce qui frappe, ces dernières semaines, c’est l’explosion de cette deuxième vague qui ne devrait pas avoir lieu. Ce qui fait peur, c’est qu’en parallèle de cette résurgence du virus, un nouveau variant inquiétant s’impose à Manaus. Possiblement plus contagieux, il pourrait même échapper à l’immunité induite par une première infection. Voire par les vaccins en cours de déploiement. De quoi faire craindre que, malgré nos efforts vaccinaux, les vagues de coronavirus sont appelées à se succéder.

Mais si la tragédie de Manaus est réelle, ses causes et ses conséquences sur le reste du monde doivent être mises en perspective.

La surmortalité quotidienne à Manaus depuis le mois de mars 2020

Une immunité collective à confirmer

Si l’on parle autant de Manaus, c’est notamment en raison d’une étude estimant que la ville a été si durement touchée qu’elle a atteint un palier, celui de l’immunité collective, que l’on situe en général au-dessus de 66% de personnes contaminées (un chiffre qu’il conviendra de relativiser plus bas).

Ces données divisent les chercheurs et sont à prendre avec des pincettes pour plusieurs raisons, comme le rappelle le mathématicien Wes Pegden. Par exemple, pour arriver à leurs conclusions, les auteurs de l’étude ont détecté la présence d’anticorps dans le sang des habitants de Manaus, via des tests sérologiques. Mais la population testée n’est pas représentative de la démographie réelle de la ville. Ce sont les donneurs de sang qui sont dépistés. On appelle cela un ”échantillonnage de convenance”.

Le problème, c’est que cela peut donner lieu à de multiples biais. Par exemple, on proposait aux donneurs un test de dépistage Covid entièrement gratuit, ou encore une réduction pour un trajet en Uber, rapporteThe Scientist. Cela peut avoir un impact important, par exemple en favorisant les plus défavorisés à participer. De nombreuxtravaux ont montré que les populations les plus pauvres avaient plus de risque d’être contaminées par le coronavirus, pour diverses raisons socio-économiques.

Bruce Walker Nelson, écologue à l’Institut national de recherche en Amazonie, rappelle que depuis le mois d’août, les hospitalisations à Manaus ont augmenté de manière bien plus importante dans les cliniques privées que dans les hôpitaux publics. Ce qui pourrait vouloir dire que les plus riches, moins touchés par la première vague, sont aujourd’hui les principaux concernés.

En clair, il n’est pas impossible que l’immunité collective à Manaus ait été surévaluée, notamment du fait d’une première vague qui a durement frappé les plus pauvres, possiblement surreprésentés dans les études sérologiques. Cette hypothèse est loin d’être une certitude, évidemment.

Une autre étude, se basant cette fois sur les décès et hospitalisations pour tenter de calculer le vrai nombre de personnes contaminées, estime également que la grande majorité de la ville a été contaminée. Mais ici aussi, comme le rappelle le professeur Marm Kilpatrick, des biais rendent difficile une estimation fiable. On peut aussi imaginer que l’immunité acquise en avril-mai diminue doucement, précise l’épidémiologiste Oliver Pybus, interrogé par Science magazine.

Un variant à plusieurs inconnues

Ces précautions prises, admettons maintenant que le seuil théorique de l’immunité collective ait été atteint à Manaus lors de la première vague. Comment alors expliquer cette nouvelle vague? Le 12 janvier, des chercheurs ont repéré un variant inquiétant, appelé P1 ou 501.V3, à Manaus. Il fait partie des trois nouvelles souches de coronavirus les plus surveillées actuellement, car elles pourraient rendre le Sars-Cov2 plus contagieux, voire lui permettre d’échapper en partie à nos défenses immunitaires (voir notre article à ce sujet).

Pour autant, comme le précise le professeur de biologie Carl Bergstrom, le variant a été détecté dans 13 des 31 échantillons analysés à Manaus. “Si Manaus avait atteint l’immunité collective et que P.1 est bien un variant échappant à l’immunité, on s’attendrait à le voir presque exclusivement”, détaille-t-il. Interrogé par Le HuffPost, Björn Meyer, virologue à l’Institut Pasteur, arrive à la même conclusion. “Je pense que nous sous-estimons à quel point le virus peut nous infecter”, explique-t-il. Surtout ces nouveaux variants.

Il y a encore de nombreuses inconnues autour de ces souches récentes. Mais l’élément le plus clair, visible pour 501.V1 (en Angleterre) et 501.V2 (en Afrique du Sud), c’est qu’ils semblent plus contagieux. Or, ce simple élément pourrait expliquer ce qu’il se passe à Manaus. Le fameux seuil d’immunité collective n’est pas fixe. Il dépend de la manière dont le virus se propage, du fameux taux de reproduction R0.

Si ce taux est de 3 (une personne infectée en contamine, en moyenne, trois), alors pour que l’épidémie s’éteigne d’elle-même, il faut que 66% de la population soit immunisée. Mais si ce nouveau variant est plus contagieux, le R0 augmente. “Imaginons qu’il soit de 3.7, dans ce cas, le seuil de l’immunité collective passerait à 74%”, explique Björn Meyer.

Échappement immunitaire

Mais admettons encore une fois que la réelle cause de l’explosion des cas à Manaus soit due à un échappement immunitaire. En clair, que si l’épidémie repart de plus belle dans la ville brésilienne, c’est uniquement parce que ce nouveau variant, via des mutations bien spécifiques, ne peut être ciblé par les anticorps développés par quelqu’un précédemment infecté par le coronavirus.

De plus en plus de travaux vont dans le sens d’une possible adaptation de certains variants face à l’immunité naturelle. Début janvier, une première étude centrée sur le variant sud-africain (proche de celui qui touche Manaus, avec une mutation bien particulière, E484K) concluait que cette nouvelle version du coronavirus était moins facilement ciblée par les anticorps classiques. Lundi 18 janvier, une discussion de scientifiques, diffusée sur YouTube, faisait état d’une autre étude aux conclusions similaires, mais aux travaux non publiés pour le moment.

Auquel cas, le fait que Manaus ait atteint le seuil d’immunité collective ou non ne change rien au fond du problème: un nouveau variant échappant aux anticorps classiques serait une catastrophe. Mais ici aussi, il y a plusieurs choses à préciser. Comme le rappelle le directeur adjoint du Laboratoire européen de biologie moléculaire, Ewan Birney, certains mécanismes du système immunitaire, comme les cellules T, n’ont pas été testés dans ces études.

Des vaccins différents

Surtout, si ces mutations sont clairement de mauvaises nouvelles, il n’est pas possible de dire aujourd’hui si les vaccins sont affectés par cet échappement immunitaire, ni à quel point. Jesse Bloom, l’un des auteurs de la première étude sur E484K, a lui-même précisé quelques jours après la publication de ses travaux que ses conclusions ne pouvaient pour l’instant pas préjugé de l’efficacité des vaccins sur ces nouveaux variants, se disant personnellement optimiste (en tout cas, face à ces souches).

“Il est important maintenant d’évaluer le pouvoir neutralisant des anticorps générés par la vaccination contre les variants du virus et d’étudier la réponse immunitaire des individus infectés par les variants”, a indiqué de son côté à l’AFP le virologue Lawrence Young, de la Warwick Medical School.  “On ne développe pas la même immunité avec un vaccin qu’en attrapant la maladie, qui elle varie beaucoup en fonction de la manière dont la maladie vous a affecté”, précise au HuffPost Morgane Bomsel, spécialiste en virologie à l’Institut Cochin.

Et si le pire se produit? Si ce variant, comme on le soupçonne pour son cousin sud-africain, rend véritablement les vaccins actuels caduques? Ce serait alors effectivement un scénario noir, même s’il ne faut pas oublier que les vaccins aussi sont adaptables. “Il faut se rappeler que les nouveaux vaccins à ARN permettent de changer toute la ligne de production en seulement six semaines, même s’il faudra ensuite vérifier leur innocuité”, rappelle Björn Meyer.

La communauté scientifique devrait apporter rapidement des réponses à ces questions sur les variants. En attendant, ce que la tragédie de Manaus peut nous apprendre, c’est qu’espérer contrôler la pandémie de Covid-19 via l’immunité collective est illusoire. Et que le seul moyen d’empêcher les morts de s’accumuler, en attendant les vaccins, consiste à tenter de limiter au mieux la propagation du virus.

À voir également sur Le HuffPostLes mutations des virus expliquées en 2 minutes