Crack Cloud à La Maroquinerie : catharsis punk et joyeuse
La musique a souvent à voir avec la guérison. Crack Cloud, justement, qualifie la sienne de “vehicle for recovery”. Soit un moyen de continuer à avancer sur le chemin tortueux et épineux de la sobriété : jouer pour échapper à l’épée de Damoclès...
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La musique a souvent à voir avec la guérison. Crack Cloud, justement, qualifie la sienne de “vehicle for recovery”. Soit un moyen de continuer à avancer sur le chemin tortueux et épineux de la sobriété : jouer pour échapper à l’épée de Damoclès des addictions, remodeler son propre quotidien, rompre définitivement avec le cercle vicieux (et mortifère) du cocktail alcool-speed-kétamine-opioïde. Car céder aux sirènes de tel ou tel psychotrope serait risquer le retour en arrière, voire l’entaille fatale.
Heureusement pour les membres du collectif, la recette a marché. Ils et elles le chantent d’ailleurs dans Blue Kite, morceau extrait de Red Mile, leur dernier album sorti cet été : “Sticking balance over years of push-and-pull / Absolved of bedbugs and that dirty fentanyl (that dirty fentanyl) / Road to recovery, an early talking point.”
On s’est donc rendu·es à La Maroquinerie comme on rendrait visite à de vieux potes, taraudé·es par l’idée que l’on allait peut-être se prendre la claque du siècle (ou de l’année, allez). Au sortir du concert, on a pu confirmer que le véhicule de Crack Cloud roule désormais d’un moteur quasi infaillible. Non seulement ce disque est une réussite absolue, mais leur jeu sur scène témoigne à lui seul de la fin de toute aliénation. On est reparti·es de là ébahi·es par la qualité de ce qu’on venait d’écouter (et enduit·es de sueur, rapport à la jauge à saturation et à quelques pogos impétueux).
Dialogue musical millimétré
C’est avec Crack of Life – l’un de leurs nouveaux titres – que le collectif canadien a ouvert les hostilités, avant d’enchaîner sur une poignée de titres de Red Mile. Une entrée en matière qui a donné le ton pour la suite de la soirée, échauffant les foules à l’aide des superbes Epitaph – morceau où résonne la voix d’Emma Acs, sublime – et Lack of Lack, serpenté d’une guitare électrique aux feintes allures de violon.
Ce qui frappe d’emblée, quand on observe les six membres présent·es ce soir-là (le collectif s’avère tentaculaire et comporte dans ses rangs une flopée d’autres artistes, qui jouent ponctuellement, réalisent leurs clips, designent leurs affiches…), c’est l’authenticité dont ils et elles font montre. Jamais dans la mise en scène de soi, les membres de Crack Cloud se réalisent l’un·e après l’autre, dans un dialogue musical millimétré et étourdissant de maîtrise.
Leur leader, Zach Choy, n’y est sans doute pas pour rien. On est resté·es pantois·es face à un tel talent : investissant le centre de la scène, assis derrière sa batterie, le musicien s’est adonné à de complexes parties rythmiques, tout en assurant le chant la majeure partie du temps – avec cette diction hachée et enfiévrée ramenant à celle de Joe Strummer des Clash. Jamais mégalo, encore moins fanfaron, il ne manquait pas de chercher du regard ses compères – créant cette harmonie complice forcément salutaire.
Joyeux bordel
Plutôt contemplative en 1er lieu, la foule a fini par se réveiller sur Graph Desire, laissant alors place au tumulte et joyeux bordel habituel d’un concert de Crack Cloud – non sans rappeler son dernier passage au Trabendo, il y a deux ans. Un élan en parti dû à l’enchaînement des morceaux de son 1er album homonyme, bien plus punk et frénétique que ne l’est Red Mile, mais aussi grâce à Nat Phillips – saxophoniste membre du collectif depuis 2022 –, qui, sur Empty Cell, a balancé des solos à couper le souffle (autant le nôtre que le sien).
Ensuite, c’est avec Lost on the Red Mile que le groupe a fait une halte vers des sonorités davantage rock progressif. De quoi laisser Aleem Khan déployer son jeu et accorder à sa basse toute la résonance qu’elle mérite. Juste le temps de reprendre son souffle pour un énième pogo sur l’incontournable Drab Mesure, et récolter les remerciements des musicien·nes au passage.
Mais La Maroquinerie en voulait plus. “J’ai pas payé 25 balles pour qu’ils se barrent comme ça”, a lancé un type quelques rangées devant, l’air goguenard. C’est finalement sous les acclamations que Crack Cloud a concédé un rappel (sur)puissant, jouant Costly Engineered Illusion. Un titre qui mit tout le monde d’accord (même les exigeant·es du 1er rang) et dont les paroles eurent de quoi résonner avec l’instant, ironiquement : “Your spirits shattered but the price is low / It’s the trade you made for your dominium / Yeah nothing matter unless it costs.”