Danger Mouse et Black Thought : “Une grande chanson a un aspect contagieux”
Brian Burton, alias Danger Mouse, alimente depuis plus de 20 ans une discographie de producteur où se croisent Gorillaz, Karen O, The Black Keys ou Adele. Son esthétique, rendue célèbre en tant que moitié de Gnarls Barkley, puis du projet DANGERDOOM...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Brian Burton, alias Danger Mouse, alimente depuis plus de 20 ans une discographie de producteur où se croisent Gorillaz, Karen O, The Black Keys ou Adele. Son esthétique, rendue célèbre en tant que moitié de Gnarls Barkley, puis du projet DANGERDOOM avec MF DOOM, très mélodique, est fondue dans les techniques de compositions hip-hop et de ses 1ères amours rock. Elle croise aujourd’hui le chemin du rappeur Tariq Luqmaan Trotter, alias Black Thought, l’un des deux emcees de The Roots, pour un album commun nommé Cheat Codes. Une réunion au sommet qui dévoile deux artistes introvertis, mais libérés par leur pratique de la musique. Rencontre exclusive.
Ça n’est pas la 1ère fois que l’on entend causer d’une collaboration entre Danger Mouse et Black Thought, le projet remonte même à 2008, c’est bien ça ?
Danger Mouse — On s’est même rencontrés avant, vers 2006, et on a tout de suite travaillé ensemble. On essayait des choses sans forcément avoir d’idée derrière la tête. Puis nos emplois du temps se sont remplis séparément, nous n’étions plus dans la même ville au même moment… Le projet commun s’est dissipé. Pour cet album, il nous fallait repartir de zéro sans utiliser notre matériel commun préexistant. C’est donc un projet tout neuf.
On y retrouve Conway the Machine, Michael Kiwanuka, le regretté MF DOOM ou encore Russ, soit des musiciens d’origines très diverses. Néanmoins, le disque sonne très new-yorkais. Aviez-vous la volonté d’ancrer cet album dans le son de cette ville, dont Black Thought est originaire ?
DM — Certaines personnes auront sûrement envie de causer de rap East Coast en entendant cet album, mais ça n’est pas comme cela que je pense la musique. Je ne sais pas… Tariq, qu’en penses-tu ?
Black Thought — Je crois que, parce que nous avons majoritairement enregistré cet album à New York, on y sent l’énergie de New York, la ville est présente dans l’ADN du projet. Mais je ne suis pas sûr qu’il y ait un son new-yorkais définitif ici. Il y a presque un côté universel.
Votre musique s’adapte-t-elle à son environnement, selon que vous travailliez à Los Angeles, Londres ou encore New York ?
DM — Dans mon cas, non. Je ne pense pas avoir les capacités pour refléter l’ambiance d’une ville dans ma musique. J’essaie d’abord de faire en sorte que ça sonne bien, sans me soucier de l’environnement. C’est déjà du boulot.
BT — Si je suis sur un autre continent, si je suis en train de voyager, si je suis dans un avion, ma façon de penser et ma façon d’écrire sont différentes. Il y a quelques années, je sortais beaucoup à Los Angeles, notamment quand j’écrivais des textes pour les albums de The Roots. Quand j’ai finalement emménagé là-bas, ma musique s’est transformée. Je crois que ça a un rapport avec l’étendue de la ville, avec sa configuration. Il faut toujours une vingtaine de minutes de voiture pour aller quelque part, minimum. Ça te permet de t’imprégner, d’écouter une démo, de t’inspirer de l’environnement. À New York, il y a la galère, les potes, l’énergie communicative… Ça n’est pas la même chose.
“Certaines personnes auront sûrement envie de causer de rap East Coast en entendant cet album, mais ça n’est pas comme cela que je pense la musique”
Votre nouvel album s’appelle donc Cheat Codes. Est-ce l’expression de ce dont un Américain noir a besoin pour sortir du ghetto ? C’est ce que semble expliquer le morceau éponyme.
BT — Oui, mais c’est aussi ce dont nous avons tous besoin pour survivre. Il faut être informé, avoir la possibilité de voyager, de voir le monde, de s’ouvrir d’une manière ou d’une autre. La majorité d’entre nous est née contre le destin. Mais la façon dont tu te meus dans le monde va tout changer. Cheat Codes, c’est exploiter le maximum de tes capacités.
Brian, quelle a été l’importance de The Roots dans ton parcours musical ?
DM — J’étais un grand fan, notamment à l’époque du lycée, dans les nineties. Je vivais à Atlanta, The Roots n’était pas populaire dans mes cercles d’amis et, dans cette ville, j’essayais toujours de les faire écouter au plus grand nombre. Mais quand leur album Illadelph Halflife (1996) est sorti, tout a changé. Je les ai toujours considérés comme des modèles, que ce soit au niveau des paroles ou de la production, j’avais toujours leur musique en tête.
Le titre Identical Death, présent sur ce nouvel album, convoque le jazz-soul des années 1970, notamment via ce vibraphone. Cela peut rappeler la musique de Bobby Hutcherson ou de Roy Ayers, avec qui The Roots a d’ailleurs travaillé dès 1994…
BT — La musique de Roy Ayers a été extrêmement importante dans ma vie. C’est ce que ma mère écoutait à la maison, comme Stevie Wonder, comme la funk-soul et le jazz éclectique de cette époque. Avec The Roots, nous avons eu l’opportunité de travailler avec Roy Ayers sur le projet Stolen Moments: Red Hot + Cool, où nous avons fait un titre ensemble, Proceed II. On a enregistré avec lui à Londres, nous vivions là-bas à l’époque. Je me souviens du clip : nous l’avions tourné sur un toit à New York, avec une vue imprenable sur les gratte-ciel. Roy Ayers apparaissait en train de jouer du vibraphone sur les immeubles. C’était une manière de rendre hommage au géant qu’il est.
DM — J’ai réellement découvert sa musique via le hip-hop, via le sampling. Je me souviens de ce single avec The Roots. Il marque ma découverte de Roy Ayers.
BT — C’est fou, mec ! Ça ne m’est jamais venu à l’esprit que des gens aient pu le découvrir de cette façon.
DM — Je me souviens très bien de la pochette du single, blanche avec cette écriture orange et un macaron bleu. Il comportait aussi un remix par Da Beatminerz. C’était vraiment un de mes disques préférés, je crois que je t’en ai déjà parlé pendant l’enregistrement de l’album.
BT — Ah oui, tu as raison…
DM — Il y avait, bien sûr, votre version avec Roy Ayers, mais je crois que je préférais celle de Da Beatminerz. On aurait dit que Roy Ayers jouait aussi dessus, je pense qu’ils ont samplé sa partie, le piano également. A Tribe Called Quest l’ont aussi beaucoup samplé, ça m’a ouvert à sa discographie.
BT — Il est tellement sous-estimé… C’est l’un des artistes que je préfère observer sur scène, encore aujourd’hui. Qu’il soit en festival, en club, j’ai toujours l’impression qu’il est en train de jouer pour moi, qu’il est là, dans ma chambre. La finesse de son jeu, cette impression qu’il n’est jamais dans l’effort, c’est quelque chose qui m’inspire profondément.
“Je vivais à Atlanta, The Roots n’était pas populaire dans mes cercles d’amis et dans cette ville, j’essayais toujours de les faire écouter au plus grand nombre. Mais quand leur album Illadelph Halflife (1996) est sorti, tout a changé”
Parenthèse, Lamont Dozier [membre du trio de compositeurs Holland-Dozier-Holland, qui a notamment sévit au sein de la Motown dans les années 1960] est décédé aujourd’hui, étiez-vous au courant ?
DM — Oh non !
BT — Je ne savais pas ! Holland-Dozier-Holland représente une extension du son soul américain, l’une des plus grandes équipes de songwriters de l’histoire, au même titre que Gamble & Huff à Philadelphie. Ils étaient des auteurs et producteurs superbement efficaces.
On entend beaucoup d’influences différentes sur ce nouvel album, aviez-vous la volonté de travailler dans une forme de tradition sonore ?
DM — J’ai commencé à faire des beats hip-hop vers la fin des années 1990. J’étais forcément rompu à cette esthétique, même si je n’étais pas reconnu pour cela. Cheat Codes est influencé par cette période qui m’est si chère et dont Black Thought fait partie intégrante. C’était très formateur en termes de production. Quand je travaille sur un projet hip-hop, c’est vers ces références que je me tourne en 1er lieu.
Ton approche du hip-hop semble pourtant assez différente de celle que tu avais sur le projet DANGERDOOM, en duo avec MF DOOM, notamment sur votre album The Mouse And The Mask, paru en 2006.
DM — Je crois que c’est assez similaire, au contraire. Le travail avec DOOM était simple. J’ai d’ailleurs passé beaucoup plus de temps en studio avec Tariq qu’avec DOOM à l’époque. C’est juste que l’un des projets est sorti il y a quinze ans, ils ne peuvent donc pas être exactement les mêmes.
Il est vrai que sur le titre Strangers, l’influence de MF DOOM se fait ressentir, notamment au niveau de la production…
DM — Avec DOOM, nous parlions surtout des types d’instru qu’il aimait ou qu’il n’aimait pas. Mais ça n’a pas affecté la musique que je compose en général, ça a affecté ce que je lui ai présenté et proposé. DOOM m’a appris qu’il faut toujours chercher l’unique, l’inédit, prendre son temps pour y parvenir. Il avait cette mentalité, ça se sentait dans sa musique.
Partagiez-vous aussi un goût certain pour la discrétion ? Je crois savoir que tu n’aimes pas trop les entrevues…
DM — Presque tous les artistes souffrent de cela. La plupart n’aiment pas les entrevues, mais certains le cachent mieux que d’autres (rires). C’est drôle parce que généralement, au début, ça te plaît, tu as envie de causer musique. Ensuite, il devient difficile d’être concret, d’avoir du recul sur ta démarche parce que la musique cause déjà d’elle-même.
Est-ce que vous êtes à l’aise avec la célébrité ?
BT — Pas vraiment. Pas du tout en fait (rires). J’aime faire de la musique, j’aime le processus créatif et j’aime partager cela avec le public. Mais tout le reste, la popularité, la célébrité, la notoriété… J’ai toujours été à l’opposé de cela. Je suis quelqu’un de très introverti. À part mes proches, seuls les artistes comprennent qui je suis vraiment parce qu’on peut s’identifier les uns aux autres.
Mais quand tu montes sur scène, tu dois forcément faire face à la célébrité…
BT — Oui, c’est très bizarre, parfois ça n’a plus aucun sens. Avoir un plan de carrière, communiquer, ça n’est pas naturel. Il est très rare que j’interagisse personnellement avec les gens. Je le fais, mais je ne suis pas du genre à sortir et à connecter avec beaucoup de personnes. Quand je suis sur scène, je suis bien, je suis dans mon élément. Je suis beaucoup plus à l’aise devant 100 000 adultes que devant dix enfants.
Brian, tu as expliqué par le passé que les Beatles étaient un modèle pour toi, est-ce toujours le cas ?
DM — Les Beatles ne sont pas un modèle musical pour moi. Ce sont leurs choix qui me frappent. Ce qu’ils décidaient d’enregistrer à tel ou tel moment de leur carrière, la façon dont ils abordaient la musique à un instant T m’a influencée. J’adore les Beatles, mais c’est cette approche et leur innovation qui m’ont marqué. Ils ne suivaient pas vraiment l’argent, ils créaient une musique qui était inattendue pour un groupe de leur envergure.
BT — La plus grande influence des Beatles sur moi ou sur The Roots est leur éthique de travail. Leurs performances sur scène, leur dévouement, la maîtrise de ce qu’ils créaient… Avec The Roots, nous avons essayé de mettre cela en pratique. À certains moments de nos vies, de notre carrière commune, les Beatles ont résonné en nous, surtout lorsque nous vivions à Londres. À nos débuts, nous jouions dans la rue. Il nous fallait avoir cette éthique de travail, cette éthique artistique pour survivre.
“La plus grande influence des Beatles sur moi ou sur The Roots est leur éthique de travail. Leurs performances sur scène, leur dévouement, la maîtrise de ce qu’ils créaient… Avec The Roots, nous avons essayé de mettre cela en pratique”
En écoutant Crazy (2006) de Gnarls Barkley, que tu as composée et produite, on sent un effort de composition pure. On n’a pas l’impression d’entendre une production, plutôt une chanson composée, comme les Beatles pouvaient le faire, par exemple.
DM — J’ai l’impression que mon travail avec Broken Bells [en duo avec le chanteur de The Shins, James Mercer] serait un meilleur exemple. Ça n’est pas du niveau des Beatles, bien entendu, mais le processus est similaire. Crazy se rapproche bien plus de ce que je fais en ce moment avec Tariq. Et puis, la voix et l’interprétation de CeeLo Green sont des éléments primordiaux de cette chanson. Ce qu’il a livré en termes d’écriture et de mélodie est magnifique.
Est-il vrai qu’il a enregistré la voix en une seule prise ?
DM — Oui, il a tout fait d’un coup. Il est sorti dans la cabine d’enregistrement, est revenu avec moi derrière la console en me demandant : “Qu’est-ce que tu en penses ?” Je lui ai dit qu’on pouvait laisser comme ça, que c’était pas mal. Mais on ne pensait absolument pas en faire un hit.
Alors, qu’est-ce qui définit une grande chanson ?
BT — Chaque grande chanson a un aspect contagieux, mais pour des raisons différentes. Je crois que ce que tu ne peux pas oublier, ce qui ravive les souvenirs d’une mélodie, d’un arrangement, ce qui passe l’épreuve du temps fait une grande chanson. Le storytelling également… Qu’en dis-tu, Brian ?
DM — C’est une question difficile… Je ne sais pas, il y a beaucoup de chansons que j’adore et qui ne sont pourtant pas de grandes chansons (rires). Je recherche toujours une forme de ressenti. Comme le dit Black Thought, c’est ce qui donne cet aspect contagieux à un morceau. C’est le début de tout.
Propos recueillis par Brice Miclet