Daniel Kaluuya : “Hoover a tout fait pour empêcher Fred Hampton de devenir un leader national”

4 décembre 1969, 4 h 30 du matin. Dans l’appartement de Fred Hampton, rue Monroe à Chicago, tout le monde dort depuis plusieurs heures. Tout le monde sauf Mark Clark, chargé de faire le guet, armé, devant la porte. Son camarade Fred, le charismatique...

Daniel Kaluuya : “Hoover a tout fait pour empêcher Fred Hampton de devenir un leader national”

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4 décembre 1969, 4 h 30 du matin. Dans l’appartement de Fred Hampton, rue Monroe à Chicago, tout le monde dort depuis plusieurs heures. Tout le monde sauf Mark Clark, chargé de faire le guet, armé, devant la porte. Son camarade Fred, le charismatique leader du Black Panther Party d’Illinois, se sait en effet en danger.

Epié et harcelé par le FBI, il ne se doute toutefois pas de la violence de l’assaut que lui et sa dizaine d’apôtres s’apprêtent à subir. Il se doute encore moins qu’un des leurs les a trahis (Bill O’Neal), donnant aux assassins assermentés l’adresse et les plans de l’appartement, et s’assurant qu’Hampton dormira profondément (grâce à des barbituriques dans le verre). Soudain, on frappe à la porte. Clark se saisit de son fusil, crie pour prévenir ses compagnons, mais n’a même pas le temps de bouger qu’il est déjà au sol, transpercé par des tirs sans sommation. Puis le groupe d’assaut du Chicago Police Department défonce la porte et vide ses chargeurs. Une centaine de balles traverse l’appartement de toutes parts.

Par miracle, ne sont blessés que quatre Panthers, dont Hampton, qui dort toujours profondément lorsque sa femme Deborah Johnson, enceinte de neuf mois, est extraite manu militari de la chambre. Sans tarder, un flic y pénètre, vérifie l’état de celui qu’on appelle Chairman Fred (président ou secrétaire général) et l’achève, froidement, de plusieurs balles dans la tête. Il avait 21 ans. A Washington D.C., l’indéboulonnable directeur du FBI J. Edgar Hoover célèbre la nouvelle : il vient d’éliminer l’un des plus prometteurs révolutionnaires américains ; celui qu’il surnomme (dans un mémo déclassifié des années plus tard), le Black Messiah, ou messie noir ; celui qui promet de libérer son peuple, aussi bien du racisme que du joug capitaliste.

Un héritage assassiné

C’est cette exécution pure et simple, les événements qui y ont conduit, et la façon dont Hampton s’est fait piéger, que explique Judas and the Black Messiah, le second, et excellent, long métrage de Shaka King, diffusé ces jours-ci sur Canal+ (à défaut de sortir en salle). Cette histoire, si on en connaît les grandes lignes pour peu qu’on s’intéresse au mouvement des droits civiques, n’est pas ou peu enseignée – y compris aux Etats-Unis. De cette épopée des sixties, on a surtout retenu Martin Luther King et Malcolm X, éventuellement Bobby Seale et Huey P. Newton (cofondateurs du Black Panther Party), et Fred Hampton, lui, n’occupe le plus souvent qu’une place marginale. Or, replacées dans leur contexte, son action et sa pensée ont été déterminantes – et auraient pu l’être davantage s’il n’était pas mort prématurément.

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“Ce n’est pas seulement son corps qui a été assassiné cette nuit-là, mais aussi son héritage, affirme Daniel Kaluuya, interprète hyper-investi de Fred Hampton, qui nous répond sur Zoom, devant sa bibliothèque. Hoover a tout fait pour empêcher Chairman Fred de devenir un leader national et plus généralement pour diaboliser le Black Panther Party. Et il faut avouer qu’il a eu un certain succès. Notre film vise entre autres à corriger ce récit mensonger.” 

Encore aujourd’hui, au sein des communautés blanches et conservatrices d’Amérique (et d’ailleurs), le parti au poing levé fait peur. Il reste synonyme de violence, voire de terrorisme, à l’opposé du soi-disant doux et conciliant Dr. King, dont la radicalité a longtemps été obérée des (mauvais) livres d’histoire pour permettre l’émergence d’un récit réconciliateur, dominé par un saint.

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Faire revivre un héros de la cause afro-américaine

Kaluuya lui-même, de son propre aveu, n’avait qu’une connaissance superficielle du personnage avant d’être contacté pour le jouer. Il en avait entendu causer mais, étant anglais, ne s’était jamais penché sur les détails. Ironie du sort, c’est Ryan Coogler qui l’a approché, après l’avoir dirigé dans… Black Panther.

Alors qu’il tourne, en 2017, les reshoots de son film de super-héros – sans rapport, si ce n’est par échos lointains, avec le mouvement révolutionnaire –, le cinéaste cause pour la 1ère fois à Kaluuya de l’existence de ce projet qu’il produit pour le compte de son ami Shaka King. Très vite, il leur apparaît que le comédien révélé par Get Out (et, avant ça, par les séries Skins et Black Mirror au Royaume-Uni) est parfait pour le rôle, en dépit de son âge (dix ans de plus que Hampton le jour de sa mort) et de sa nationalité.

Ce dernier aspect n’a pas été sans poser question, puisque, à l’annonce du casting, certains journalistes et activistes ont pris ombrage du fait qu’un Noir britannique ait été choisi pour interpréter un héros de la cause afro-américaine. Une forme particulièrement poussée d’accusation d’appropriation culturelle à laquelle le comédien, lauréat d’un Golden Globe et favori pour l’Oscar du meilleur second rôle (étrange pour quelqu’un qui occupe plus de la moitié des plans), oppose sa disponibilité et sa compréhension du personnage : “Je ne le prends pas personnellement car je sais que ces réactions sont enracinées dans des années et des années d’effacement. Moi, tout ce que je peux faire, c’est aider à créer un espace pour que soient entendus les Afro-Américains, et faire au mieux résonner la voix de Chairman Fred”, promet-il, investi d’une gravité soudaine.

Chairman Fred : à la simple évocation de ce nom, une certaine déférence se fait jour. Même son fils, Fred Hampton Jr., joint par téléphone à Chicago, l’appelle ainsi. “Chairman Fred était surveillé par le FBI dès ses 14 ans, vous vous rendez compte ? Il était très précoce et avait des qualités d’orateur et d’organisateur hors du commun qui le rendaient dangereux pour le système. Celui-ci nous étudie. Il sait si on a du potentiel avant même que nous le sachions”, explique l’homme de 51 ans qui a suivi les traces de son père et milite lui aussi au sein du Black Panther Party, perpétuant par exemple les opérations caritatives qu’avait conçues Fred Sr. dans les quartiers défavorisés. Il confesse que “c’était à la fois une bénédiction et un fardeau d’être son fils”.

“C’est encourageant d’avoir un climat où un tel film est possible »

Sur le film, Fred Hampton Jr. a travaillé comme consultant, aux côtés de sa mère, Deborah Johnson, qui a changé de nom pour Akua Njeri après le massacre de la rue Monroe. Ensemble, il·elles ont veillé à ce que soit respectée la complexité du personnage historique et ont donné des conseils aux comédiens et au réalisateur. Kaluuya explique s’être attablé huit heures avec eux·elles, pour s’imprégner au maximum de leurs souvenirs et les rassurer sur sa démarche.

“J’ai lu tous les livres que je pouvais trouver sur le Black Panther, je me suis imprégné des discours de Chairman Fred, j’ai fait mon éducation politique. Je me suis même mis à écouter des discours de Martin Luther King et Malcolm X tous les matins, parce que j’ai entendu dire que Hampton le faisait.” Quant à Shaka King, il n’était pas le 1er à vouloir expliquer cette histoire, mais a convaincu ses héritier·ières de lui donner le feu vert en leur promettant de ne pas édulcorer la parole incandescente du militant, de ne pas noyer son message, radical, dans les trémolos du grand spectacle hollywoodien.

La promesse n’est pas complètement tenue dans la mesure où les combats idéologiques d’Hampton, tout en étant présents, ne sont pas au centre du film mais sur ses bords, cédant leur temps d’écran à des considérations plus classiques, d’ordre moral (toute la partie qui suit le traître Bill O’Neal, joué par LaKeith Stanfield), ou sentimental (l’intrigue amoureuse). Pour autant, Shaka King ne cache pas que son héros était un communiste, qui cherchait à renverser le pouvoir et qui fut assassiné pour cette raison. Fred Jr. reconnaît ainsi que “c’est encourageant d’avoir un climat où un tel film est possible, sur une organisation parmi les plus révolutionnaires qu’ait comptées ce pays, et parmi les plus diabolisées par le pouvoir”.

“On observe un changement actuellement à Hollywood, note de son côté Kaluuya, je sens une ouverture, une volonté de expliquer des histoires sans compromis, capables de changer la nature de la conversation.” Sans être un brûlot – mais s’attendait-on vraiment à ce que la Warner produise un nouveau One + One de Godard ? –, Judas and the Black Messiah demeure ainsi relativement honnête avec son sujet. On le sait, les films historiques renseignent toujours plus sur l’époque qui les produit que sur celle qu’ils abordent. Et, d’une certaine manière, Fred Hampton est ici un messie de notre ère plus que de la sienne — une icône Black Lives Matter plutôt que Black Panther, à laquelle Daniel Kaluuya, décidément de tous les bons coups, donne corps à la perfection.

Judas and the Black Messiah de Shaka King, avec Daniel Kaluuya, LaKeith Stanfield, Jesse Plemons (E.-U., 2020, 2h06). Sur Canal+ le 24 avril