Dans “Bergman Island”, Mia Hansen-Løve invoque l’esprit d’Ingmar

C’est l’un des poncifs de la critique : il n’est de films que de fantômes. Il y a en tout cas toujours eu des fantômes dans le cinéma de Mia Hansen-Løve : un père revenant (Tout est pardonné, 2008), un producteur qui se suicidait (Le Père de...

Dans “Bergman Island”, Mia Hansen-Løve invoque l’esprit d’Ingmar

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

C’est l’un des poncifs de la critique : il n’est de films que de fantômes. Il y a en tout cas toujours eu des fantômes dans le cinéma de Mia Hansen-Løve : un père revenant (Tout est pardonné, 2008), un producteur qui se suicidait (Le Père de mes enfants, 2009), un DJ qui se perdait dans la drogue (Eden, 2014), etc. Et puis il y avait Gabriel dans Maya (2018), un journaliste qui revenait des Enfers – otage en Syrie pendant quelques mois.

Dans Bergman Island, les fantômes qui viennent à notre rencontre sont multiples. Il y a d’abord celui d’Ingmar Bergman, puisque le couple de cinéastes qui vient “en résidence” sur l’île de Farö, au large de la Suède, s’installe dans la demeure du cinéaste suédois (devenue aujourd’hui une fondation), dans les décors naturels de certains de ses chefs-d’œuvre.

L’une des questions du film est à la fois simple, drôle et folle, irrationnelle : peut-on dormir dans le lit des personnages de Scènes de la vie conjugale ? N’est-ce pas dangereux ? “On ne fréquente pas sans s’infecter la couche du divin”, écrivait Saint-John Perse. Les films sont aussi des fantômes.

Fantômes et fantasmes

Et le “safari Bergman” (description à la fois horrifique et comique de la récupération de l’œuvre de Bergman par l’industrie touristique) ne mène à rien, sinon à des bouts de murs ridicules où Max von Sydow se serait penché, etc. Or il n’y a rien à voir, les films n’existent que sur des écrans, ce ne sont que des projections.

Et puis il y a les “fantômes”/fantasmes des deux personnages principaux, incarnés par Tim Roth (dont le jeu se rapproche de plus en plus de celui de Woody Allen) et la merveilleuse Vicky Krieps (révélée dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson – encore un spectre !).

Qui est la personne avec laquelle je vis, que sais-je de lui, au fond ?

Le couple est venu pour écrire, mais leur rapport au cinéma, à l’écriture même, n’est pas le même. Lui, plus âgé, plus affirmé, semble pondre des films (apparemment d’horreur) comme il respire. Pas elle. Sans bruit, sans éclats, sans dramatisation (comme toujours chez Mia Hansen-Løve), on sent qu’un fossé se creuse peu à peu entre eux·elles au contact de la nature de Farö.

Dans l’une des plus belles scènes du film, la jeune femme, Chris, met le nez dans le carnet de notes de son mec et y découvre des dessins érotiques violents. Qui est la personne avec laquelle je vis, que sais-je de lui, au fond ?

Réalité et fiction s’entremêlent

Scénaristiquement, le film tente et réussit alors un coup de force : faire entrer un autre film (celui qu’écrit Chris et qu’elle explique à son compagnon) dans le film. La réalité et la fiction s’entremêlent, se trahissent parfois. Deux autres personnages prennent le pas sur le couple principal.

Interprété·es par les fantastiques Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie, il·elles sont à la fois l’incarnation de l’imagination au travail de Chris et, dans la dernière partie, les acteur·trices qui jouent dans le film que vient de tourner Chris sur Farö. Tout se mélange avec clarté, limpidité, intelligence, trois marqueurs de l’œuvre de Mia Hansen-Løve.

Mia Wasikowska, l’héroïne du film dans le film ©Les Films du Losange

Car la réussite du film repose ici sur la mise en scène. Des 1ers plans, superbes, en cinémascope, aux dernières images magiques du film, on est saisi par la beauté, l’élégance du style de la cinéaste. Il faut sans doute l’écrire noir sur blanc : à 40 ans à peine, Mia Hansen-Løve fait partie des plus grand·es cinéastes vivant·es.

Bergman Island de Mia Hansen-Løve, avec Vicky Krieps, Tim Roth, Mia Wasikowska, Anders Danielsen Lie