[Dans le rétro] Été 2010, de Katy Perry à Apichatpong Weerasethakul
“You make me feel like I’m livin’ a teenage dream”, pour beaucoup le tube de l’été 2010 encapsule le rêve d’une jeunesse infinie et ardente. Lorsque j’écoute ce titre de Katy Perry pour la 1ère fois, je suis au seuil de ma vie d’adulte. Il...
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“You make me feel like I’m livin’ a teenage dream”, pour beaucoup le tube de l’été 2010 encapsule le rêve d’une jeunesse infinie et ardente. Lorsque j’écoute ce titre de Katy Perry pour la 1ère fois, je suis au seuil de ma vie d’adulte. Il résonne en moi avec une force inouïe. Mon bac en poche, je passerai l’été à mettre des sous de côté en bossant comme déménageur avant de faire mes propres cartons pour débarquer d’une petite ville de province à Strasbourg, où je vais commencer une licence de cinéma.
Année charnière entre la 1ère décennie des années 2000 et la seconde, 2010 est pour moi l’année de tous les possibles. Mais ces promesses infinies passent par une métamorphose. Je me suis changé en éponge et elle baigne dans les pages de la presse culturelle. Dans ma chambre s’entassent les numéros des Inrocks, de Chronicart, de Snatch, de Transfuge, de Magic, de Technikart et des Cahiers du cinéma, dont la couverture de juin illustre un rêve tout aussi prometteur que celui de Katy Perry, celui de voir la dernière Palme d’or, Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul.
En me retournant sur cet été-là, j’ai un sentiment vertigineux, l’impression d’être au bord d’un précipice dans lequel je vais me jeter comme on se glisse dans un rêve dont on ne souhaite jamais se réveiller. J’ai le sentiment que cette sensation d’inconnu est partagée à un niveau plus collectif. L’euphorie du passage au XXIe siècle est depuis longtemps retombée sans qu’on sache tout à fait de quoi sera fait l’avenir.
Face au temps
À l’époque je n’allais pas encore au théâtre et j’étais trop occupé à rattraper mes classiques en littérature pour m’intéresser à l’actualité (je suis par exemple passé à côté de La Carte et le Territoire de Houellebecq, futur prix Goncourt). Mais en me retournant sur la musique que j’écoutais et les films que je voyais cet été-là, prédomine le questionnement de l’implacable marche du temps et de la façon dont on se positionne face à elle. Quatre postures émergent du fatras constitué par les œuvres.
Il y a d’abord la tentation d’une éternelle régression vers l’adolescence qui accouchera du néologisme “adulescent”, et dont Teenage Dream est la parfaite métonymie. En cette année 2010, d’autres œuvres épousent le même rêve, l’album Teen Dream de Beach House ou le nouveau film des studios Ghibli, Arrietty : Le petit monde des chapardeurs, dans lequel ce fantasme de régression passe littéralement par une humanité rapetissée. Mais un film sorti le 14 juillet dévoile à quel point ce songe est caduc. Dans Toy Story 3, Woody et sa bande ont le choix entre la garderie ou la décharge, en gros l’infantilisation ou l’obsolescence. À leur image, des objets sont déjà en train de passer à la trappe ; le Blackberry a amorcé sa chute, tout comme le DVD ou le téléphone fixe, sans causer des iPod et autres lecteurs MP3.
Et face à cette obsolescence à laquelle on est tous·tes destiné·es, aucun sentiment de révolte punk n’apparaît. En citant Thurston Moore (membre de Sonic Youth) en ouverture de Clinging To a Scheme : “When youth culture becomes monopolised by big business, what are the youth to do? Do you, do you have any idea? I think we should destroy the bogus capitalist process that is destroying youth culture”, Radio Dept. pose la nécessité d’une révolution mais le ton résolument doux et résigné du titre indique plutôt son impossibilité et un constat cinglant “Heaven’s on fire”.
Contre cette course folle, la tentation de la stase constitue une autre voie. Et si l’histoire ne faisait qu’indéfiniment se répéter comme un disque rayé ? De fait, la récupération dans la matière du passé s’est amorcée et accélérée. Après le revival années 1960, la mode a passé en revue les années 1970, 1980 et 1990 avant que la décennie qui s’amorce ne recycle l’esthétique des années 2000 et ne popularise le sociotype du hipster. La fin de l’histoire prophétisée par Francis Fukuyama – et renforcée par le retrait des forces américaines en Irak à la fin de l’été – aboutirait dans le champ de l’art à un constant recommencement, une boucle infinie, une stase apaisée qui trouvent sa traduction dans certains titres écoutés courant juillet-août : Circling de Four Tet ou Round and Round d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti. Même dans le champ du sport, le moment est à la stase ultime, celle des joueurs de l’équipe de France en grève lors de la Coupe du monde de football ou du duel entre les tennismen Nicolas Mahut et John Isner à Wimbledon, qui ne purent se départager qu’au bout de trois jours dans un match de plus d’onze heures.
Au cinéma, le Coréen Hong Sang-soo est celui qui explore avec le plus d’acuité ces mondes à l’arrêt. Dans le sublime Hahaha, présenté à Cannes en mai, il dépouille encore le langage inventé par Éric Rohmer en racontant un malicieux jeu de surplace où amours et amitiés se mêlent autour de quelques verres de soju. Mais le risque de l’arrêt est qu’il finisse par produire une nécrose. Le film français événement de la rentrée, Des Hommes et des Dieux, fait de ce devenir mortifère de la stase une évidence. Reste à prendre de la hauteur et à faire comme les avatars grunge du groupe Gorillaz qui émettent dans On melancholy Hill la possibilité d’un autre rêve (“we’re looking out of the day of another dream”).
Ni le passé, ni l’arrêt, reste le futur. Durant cet été 2010 prédomine d’abord l’envie d’en découdre avec ce qui va venir. Je suis comme les Canadiens d’Arcade Fire dans Ready to Start, tiré de The Suburbs sorti début août. D’autres titres me gonflent les voiles : Desire Lines de Deerhunter, White Sky de Vampire Weekend, Desire Be, Desire Go de Tame Impala ou At my Heels de Twin Shadow. Je m’immerge complètement dans l’indie pop – que je télécharge avidement et illégalement grâce au logiciel pirate eMule, tout en tendant une oreille à des objets non identifiés, comme l’aussi inclassable que génial album de GonjaSufi, A Sufi and a Killer.
Le succès d’Avatar de James Cameron, sorti fin 2009 mais devenu le plus gros succès de tous les temps à la faveur du printemps, semble ouvrir un nouvel âge digital pour le cinéma. Tandis qu’une autre révolution se produit sur le petit écran, matérialisée par la couverture de juillet-août des Cahiers. L’ère de la Peak TV connaît un 1er âge d’or avec les sorties ces dernières années de Mad Men, de Breaking Bad, de Friday Night Lights et de The Wire (et Carlos en France), avant le tsunami GoT l’année suivante. Mais à l’autre bout du spectre de la production, c’est Film Socialisme de JLG qui m’impressionne le plus par sa radicalité et sa capacité à proposer un langage pour l’époque, à la fois synthèse du passé et prophétisant l’avenir. Il faudra attendre 2013 et le Random Access Memories des Daft Punk pour qu’en musique se produise un geste d’une telle ampleur, qui d’un coup ringardise tout ce qui se faisait jusque-là.
Des révolutions médiatiques à venir
L’autre révolution de cet été-là est médiatique. Les révélations quasi simultanées de Wikileaks sur la guerre en Irak et de Mediapart sur l’affaire Woerth-Bettencourt inaugurent une nouvelle ère pour le journalisme d’investigation et mettent sur la touche les canaux de la presse traditionnelle. Du côté des réseaux sociaux, Facebook et Twitter dominent le paysage tandis que MySpace et Skyblog se meurent (la fermeture définitive étant d’ailleurs programmée le 23 août 2023). Une autre révolution couve cependant avec la sortie d’Instagram en octobre. Enfin, si TikTok résonne dans toutes les têtes durant cet été 2010, c’est à cause de la chanteuse Kesha et non de l’application qui ne fera son apparition qu’en 2016.
Reste une dernière solution face à l’écoulement du temps, s’en évader par la rêverie, plonger comme Alice dans le terrier du lapin (dont la version de Tim Burton est sortie au printemps). C’est ce que propose le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul dans Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, couronné à Cannes et qui sortira en salles à la fin de l’été, le 1er septembre. En multipliant les couches de temps, les esthétiques et les différents degrés de réalité, le cinéaste invente une nouvelle forme d’expérience cinématographique, à la frontière du trip mystique et sensoriel. D’autres œuvres vues à cette période invitent à embrasser des mondes régis par la pure fantasmagorie. À commencer par Inception de Christopher Nolan, nouveau mille-feuilles temporel se repliant sur lui-même dans un plan inouï des rues de Paris. Autre déflagration chimérique : celle de Kaboom de Gregg Araki et surtout des Amours imaginaires de Xavier Dolan, découvert par hasard un soir de désœuvrement et qui me bouleverse durablement. En musique, on retrouve cette même aspiration à des mondes fantasmés dans le génial album concept de Janelle Monae, The ArchAndroid, qui tire sa structure du Metropolis de Fritz Lang, ou dans le sous-estimé Heartland d’Owen Pallett, fabuleuse orchestration pop inspirée du jeu vidéo “Final FantasyA.
À la fin de l’été et tandis que je lis le dernier numéro des Cahiers du cinéma titré “Nouvelles utopies du cinéma français”, où il est notamment question de Homme au bain de Christophe Honoré que j’aimerai bientôt, j’apprends le décès de Claude Chabrol, dont je n’ai encore vu aucun film. L’ampleur de mon retard culturel me paralyse. J’ai le sentiment que mon éponge est trop petite, pas assez absorbante. Je me réfugie dans deux gestes dada et réconfortants, Des Bisoux de Philippe Katerine et Congratulations de MGMT, titre où le groupe américain semble se poser et se contenter du chemin déjà parcouru jusque-là.