[Dans le rétro] Ziggy Stardust, Stevie Wonder, “La Nuit américaine”, scandales à Cannes… Un été 1973

L’été 1973, je suis enfant et mes parents ont loué une petite maison à Pontaillac, un quartier réputé chic – je viens de le découvrir en faisant une petite recherche – de Royan, en Charente-Maritime. La maison est louée à une dénommée Mme Maurin,...

[Dans le rétro] Ziggy Stardust, Stevie Wonder, “La Nuit américaine”, scandales à Cannes… Un été 1973

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L’été 1973, je suis enfant et mes parents ont loué une petite maison à Pontaillac, un quartier réputé chic – je viens de le découvrir en faisant une petite recherche – de Royan, en Charente-Maritime. La maison est louée à une dénommée Mme Maurin, ce qui m’amuse beaucoup : “Des Morain chez les Maurin”…

Mme Maurin est Mado Maurin, comédienne et mère de six enfants alors adolescents ou jeunes gens, que je vois souvent chahuter et fumer des cigarettes dans le jardin de la maison principale. La plus connue d’entre eux est alors Marie-Véronique Maurin, qui a joué trois ans plus tôt Alice dans l’adaptation télévisuelle du livre de Lewis Carroll par Jean-Christophe Averty, le réalisateur vidéaste mal embouché et pataphysicien de l’ORTF, qui a remporté un grand succès. Elle n’avait que dix ans. Dominique Maurin, son frère, je l’ai vu dans La Maison des bois, la série de Maurice Pialat produite et diffusée en 1971 par l’ORTF, où il jouait le rôle du petit facteur qui meurt à la guerre de 14. Je ne connais pas encore celui qui va devenir le plus célèbre de la fratrie, Patrick Dewaere. Était-il seulement là, l’été 1973 à Pontaillac ?

Luttes et désillusions

1973, c’est l’année où le coureur cycliste espagnol Luis Ocaña va remporter le Tour de France, haut la jambe devant Bernard Thévenet. Je me souviens encore qu’il est tombé dans une descente, un jour, et qu’il s’est cassé le nez. Je revois la photo de son visage ensanglanté. De Poulidor, passons à Pompidou, président de la République pour encore quelques mois, même si tout le monde a bien remarqué qu’il avait enflé du visage, notamment…

Nous sommes seulement cinq ans après Mai-68. Celles et ceux qui ont voulu continuer le mouvement ont dû entrer dans la clandestinité, parfois dans la lutte armée. Le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, les pourchasse sans pitié, avec un acharnement proche des représailles vengeresses. C’est une période glauque, la fin d’un règne qui commence (le gaullisme sans de Gaulle, avec ses DS noires sinistres), que l’écrivain Jean-Didier Wolfromm, des années plus tard, saura bien décrire dans son dernier roman, La Leçon inaugurale (1990). Les féministes luttent pour la légalisation de l’avortement. Les jeunes ont les cheveux longs, et l’un de mes cousins, qui a dix ans de plus que moi, porte une veste en peau de mouton retournée et a mauvaise réputation dans la famille parce qu’il fume des cigarettes qui sentent autre chose que le tabac.

Pourtant, il s’en passe, des choses, dans le monde de la musique et du cinéma, en 1973. En mai, La Grande Bouffe de Marco Ferreri (trop de scatologie et de sexe) et La Maman et la Putain de Jean Eustache (trop de sexe et d’alcool) font scandale au Festival de Cannes. Deux chefs-d’œuvre : l’un est un virulent pamphlet contre la société de consommation (avec de célèbres acteurs : Mastroianni, Piccoli, Tognazzi, Noiret), l’autre montre la désillusion de la jeunesse post-soixante-huitarde dandy (avec Jean-Pierre Léaud, Françoise Lebrun et Bernadette Lafont).

Mythe et renouveau

Mais je suis loin de tout cela. Comme je ne sais pas que, quelques semaines avant ces vacances, le 3 juillet, David Bowie a annoncé à l’Hammersmith Odeon de Londres la mort officielle de Ziggy Stardust, le personnage qu’il avait créé un an plus tôt. Certain·es craignent qu’il n’abandonne la musique. Que nenni ! Il se réincarne en Aladdin Sane (comprendre “a lad insane”). On est en pleine époque glam rock (Bowie mais aussi Roxy Music !), ce mouvement précurseur du punk qui veut retourner aux sources du rock et s’éloigner de ses “dérives” jazzistiques et fusion. Alexandre (Léaud) s’en plaint dans La Maman et la Putain : “La musique pop est devenue religieuse. Je n’aime que la chanson populaire.”

Depuis le début de 1973, sortent Catch a Fire puis Burnin’, deux albums majeurs de Bob Marley sous le nom de groupe The Wailers. Stevie Wonder, proche de Marley (il est allé enregistré en Jamaïque), sort l’un de ses chefs-d’œuvre, Innervisions (placé par le magazine Rolling Stone à la 23e place de sa liste des 500 meilleurs albums de tous les temps), avec des titres comme Big Brother, Living for the City, Superstition, et rien moins que You Are the Sunshine of My Life. Tom Waits chante Martha, Christophe Les Paradis perdus, The Temptations Masterpiece, Marvin Gaye Let’s Get It On… 1973 est une année d’effervescence, de Berlin de Lou Reed à Message personnel de Françoise Hardy ou The Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Sans oublier Angie des Rolling Stones et Gimme Danger d’Iggy Pop and the Stooges.

Gloire et rupture

Côté cinéma, Paul Verhoeven dévoile Turkish Délices, son deuxième film (hollandais) en novembre. Plus tôt, en mars, sort Le Privé de Robert Altman (aujourd’hui l’un de mes films préférés), une adaptation géniale de The Long Goodbye de Raymond Chandler avec Elliott Gould dans le rôle de Philip Marlowe. En avril, Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman, une analyse au scalpel du couple moderne dont on explique que le visionnage aurait provoqué de nombreux divorces en Suède, apparaît sur tous les écrans dans sa version courte (le film était d’abord une série).

Le cinéma porno, légalisé en 1974 par Giscard d’Estaing, le successeur de Pompidou, projettera The Devil in Mrs. Jones de Gerard Damiano, sorti fin mars aux États-Unis. En mai apparaît aussi La Nuit américaine, un beau film de François Truffaut qui se déroule sur le tournage d’un film, avec notamment Jean-Pierre Léaud, Jacqueline Bisset, Truffaut lui-même, Nathalie Baye et Bernard Menez. Il lui vaudra un Oscar du meilleur film étranger et des critiques acerbes de la part de Godard, parti s’installer à Grenoble pour découvrir la vidéo et travailler à la création d’une caméra révolutionnaire et ultra légère, la “paluche”, avec l’ingénieur Jean-Pierre Beauviala. Truffaut lui répond très violemment. C’est la rupture définitive entre les deux amis de la Nouvelle Vague.

Quand vient la fin de l’été

Toujours en mai, on peut voir Bob Dylan dans Pat Garrett et Billy le Kid de Sam Peckinpah, dont il signe aussi la musique. En juin, Brigitte Bardot, notre star internationale, annonce sa retraite, son retrait définitif du cinéma. Picasso est mort en avril. Bruce Lee, à Hollywood, meurt d’une crise cardiaque inattendue. Jean-Pierre Melville le suit début août, et le vieux John Ford à la fin du mois. C’est la rentrée scolaire, me voici en CE2. Le 11 septembre, au Chili, le général Pinochet renverse le gouvernement du président socialiste Salvador Allende, qui meurt pendant le putsch. L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune de Jacques Demy sort le 20 septembre, à la fin de l’été.

Et puis l’été part. La grande actrice italienne Anna Magnani meurt le 26 septembre 1973. Après la guerre du Kippour, qui commence le 6 octobre, le 1er choc pétrolier va nous arriver en pleine figure. J’ai huit ans et je ne comprends déjà pas tout.

Retrouvez chaque semaine un épisode de notre série Dans le rétroLa semaine prochaine : notre journaliste Jean-Marc Lalanne s’arrêtera en 1981.