Dans “Les Amours d’Anaïs”, Charline Bourgeois-Tacquet rebat parfaitement les carte du triangle amoureux

Anaïs est une pile électrique. Elle ne tient pas en place. C’est sa chance et son charme de ne jamais vouloir prendre racine nulle part ; sa névrose aussi (elle est claustrophobe et boycotte les ascenseurs) et sa malédiction, puisque toute...

Dans “Les Amours d’Anaïs”, Charline Bourgeois-Tacquet  rebat parfaitement les carte du triangle amoureux

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Anaïs est une pile électrique. Elle ne tient pas en place. C’est sa chance et son charme de ne jamais vouloir prendre racine nulle part ; sa névrose aussi (elle est claustrophobe et boycotte les ascenseurs) et sa malédiction, puisque toute forme d’engagement lui est impossible à la fac (une thèse sur l’écriture de la passion au XVIIe siècle sérieusement embourbée) comme en amour (l’ex-boyfriend excédé par son côté “locomotive”). Ce n’est pas simplement qu’Anaïs fuit les responsabilités, c’est aussi, finira-t-elle par avouer à sa mère malade, qu’elle “a peur du malheur et cela [la] rend égoïste”.

Fuir la tristesse et les bonheurs convenus, mais pour aller où ? Droit dans les bras d’un éditeur sexagénaire mollasson (Denis Podalydès), en couple avec Émilie, romancière à l’âme qu’on devine complexe, à laquelle Valeria Bruni Tedeschi prête le bleu spleenétique de ses yeux.

C’est alors que le récit bifurque de manière inattendue : à la faveur d’une partie de campagne (un festival littéraire), le mari trompeur est évacué de la fiction, tandis qu’il revient à l’amante et à la femme d’entraîner ce vaudeville vers une idylle saphique, chaste et chuchotée et plus tard charnelle, sur une plage.

Anaïs Demoustier virevoltante

D’un ADN furieusement littéraire, ce 1er long métrage, qui a fait tourner les têtes en juillet dernier à la Semaine de la critique, grappille toutes les références possibles d’une ancienne étudiante en lettres avide d’éclairer par les livres ce que le réel lui a rendu obscur – Barthes, Duras, Sévigné, ces marabouts des sentiments compliqués –, mais en les passant au tamis de sa propre sensibilité. Si l’amour est une science, la talentueuse Charline Bourgeois-Tacquet met au point une formule originale qui bouscule et régénère, à sa manière joyeusement impure, le cinéma des éducations intellectuelles et sentimentales.

Il faut dire combien aussi le film doit à son interprète principale, la virevoltante Anaïs Demoustier. De La Fille au bracelet à Alice et le Maire, l’actrice investit chaque rôle avec la même et radieuse croyance, tantôt électron libre et volontiers burlesque, tantôt belle amoureuse primesautière.

Au bout de cette liaison qui pourrait n’être au fond qu’un fantasme de jeune rêveuse, de Paris aux échappées verdoyantes d’une comédie pastorale, la possibilité d’une rupture se dessine dans une scène où, de manière un peu miraculeuse, personne ne perd et tout le monde gagne : Anaïs, le bonheur de freiner sa course ; Émilie, la chance de remettre sa vie en mouvement. Vertiges des contretemps de l’amour.

Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet, avec Anaïs Demoustier, Valeria Bruni Tedeschi, Denis Podalydès (Fr., 2021, 1 h 38). En salle le 15 septembre