“De humani corporis fabrica”, quand le bloc opératoire s’invite sur grand écran
Il n’existe pas d’expérience de cinéma comparable à celle que propose le nouveau film du couple de cinéastes anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Prolongeant le traité d’anatomie humaine d’Andreas Vesalius datant du XVIe siècle,...
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Il n’existe pas d’expérience de cinéma comparable à celle que propose le nouveau film du couple de cinéastes anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Prolongeant le traité d’anatomie humaine d’Andreas Vesalius datant du XVIe siècle, De humani corporis fabrica est constitué d’images tournées dans plusieurs services d’hôpitaux du nord de Paris. Imagerie médicale, opérations et surtout endoscopie se succèdent au son des voix du personnel hospitalier, qui commente l’intervention en cours, ou s’épanche avec humour sur les menus tracas de la vie quotidienne.
Là où leurs deux précédents films distribués en salle, Leviathan (2012) et Caniba (2017), nous plongeaient respectivement dans les entrailles d’un bateau de pêche industrielle et dans l’imaginaire torturé d’un cannibale, leur nouveau long reprend les principes de leur cinéma et en quelque sorte son idéal concret : être au plus près du sujet, en ayant le fantasme d’être à “l’intérieur”, penser que du dégoût peut jaillir le sublime et que, pour que cette opération magique ait lieu, la caméra doit avaler son sujet et vice-versa.
Combattre la mort par tous les moyens possibles
Ce serait mentir de dire que le documentaire se regarde sans souffrance. Il s’adresse à autre chose qu’à nos affects ou à notre rétine, c’est notre corps tout entier qu’il remue. Notre corps, mais aussi le corps de la salle de cinéma. Son visionnage vaut autant pour ce qui se passe à l’écran que pour l’observation du public. Au moment de la projection cannoise, où le film était présenté à la Quinzaine, certaines personnes s’agrippaient de toutes leurs forces à leur voisin·e, d’autres se cachaient les yeux, partaient en claquant leur siège ou grimaçaient à mesure que se déroulaient à l’écran un accouchement, une opération de la verge ou du cerveau.
De humani corporis fabrica réalise une double opération, de désenchantement puis de réenchantement. Il nous met d’abord face à cette vérité crue : nous ne sommes qu’un tas de tissus, une pièce de viande qu’on bidouille et rafistole avec des techniques qui découlent aussi bien de celles du boucher ou du mécano que de celles des plus précis·es des chirurgien·nes. Le but étant pour le corps hospitalier de combattre la mort, par tous les moyens possibles. Mais cette trivialité finit par être transcendée par la puissance visuelle et poétique inouïe des images, qui ressemblent à des chefs-d’œuvre de l’art abstrait, et par le miracle scientifique que réalisent au quotidien les soignant·es.
De humani corporis fabrica de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor (Fr., 2022, 1 h 55). En salle le 11 janvier.