De La Soul : pourquoi leur arrivée sur les plateformes de streaming répare enfin une injustice

Même si le contexte sera moins festif que prévu, la date du vendredi 3 mars 2023 restera comme une date importante pour la culture américaine. Pour la 1ère fois, l’intégralité du catalogue de De La Soul, un des groupes fondateurs du hip-hop...

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Même si le contexte sera moins festif que prévu, la date du vendredi 3 mars 2023 restera comme une date importante pour la culture américaine. Pour la 1ère fois, l’intégralité du catalogue de De La Soul, un des groupes fondateurs du hip-hop des années 1980-1990, va enfin, après quantité de faux départs et d’annonces restées en suspens, être disponible sur les plateformes de streaming. À commencer par le chef-d’œuvre du trio, 3 Feet High and Rising, qui fêtera ainsi ses 34 ans en grande pompe.

Sorti à la même date en 1989, désigné en 2010 par la bibliothèque du Congrès des États-Unis comme une part du patrimoine américain à préserver, cet album inaugural du trio d’Amityville – dans la banlieue de New York – avait jusque-là raté, pour des raisons juridiques, le virage du numérique. Pourtant, en août 2021, De La Soul annonçait sur Instagram que l’arrivée sur les plateformes était imminente. En décembre de la même année, The Magic Number, un des extraits ultra-symboliques de 3 Feet…, facétieux et mélodique, servait même de générique final au dernier Spider-Man: No Way Home.

Greetings from Amityville

Il aura fallu encore près d’une quinzaine de mois pour que cet album célébré soit – comme les cinq suivants – écoutable en un clic et légalement sur les plateformes. La fin d’une situation injuste pour un groupe qui a tant œuvré pour apporter sa propre couleur à la palette du hip-hop. Hélas, un tiers du groupe, Dave Jolicoeur alias Trugoy, n’aura pas la satisfaction de voir De La Soul haut dans les top streaming. Souffrant depuis des années de problèmes cardiaques, il est mort le 12 février 2023, laissant ses deux compères Posdnuos et Maseo éplorés. Sans doute que sa disparition à l’âge de 54 ans va transformer le 3 mars en une date spéciale, une occasion pour les stars du rap d’aujourd’hui de rendre hommage à Trugoy et à un groupe abonné à la déveine.

L’histoire de De La Soul a commencé de manière bien plus joyeuse. Juste après le lycée, trois enfants de la classe moyenne afro-américaine bricolent leur 1er morceau, Plug Tunin’, en concevant des boucles artisanales, et se trouvent un mentor, Prince Paul, qui leur permet de sonner plus professionnels et de décrocher un contrat avec la maison de disques Tommy Boy. En studio, Prince Paul exhorte Posdnuos, Trugoy et Maseo (le DJ du trio) à tenter toutes les folies.

Désinhibée, la bande s’amuse à imaginer des collages funky et pop en piochant dans les collections de ses parents, les tubes récents ou des disques qui lui sont chers. De La Soul nourrit ainsi son groove de perles soul-funk mais pioche aussi dans le rayon de la pop blanche – Steely Dan, Hall & Oates – et des disques plus décalés. Ainsi, neuf samples, allant de James Brown à Johnny Cash en passant par un morceau du jazzman Bob Dorough autour de la table de multiplication de 3 (Multiplication Rock), se télescopent dans The Magic Number.

Un sample à 1,7 million de dollars

Quand sort 3 Feet High and Rising, nommé d’après Five Feet High and Rising de Johnny Cash, ce 1er album, avec ses interludes rigolards – une nouveauté –, son faux quiz en guise de fil rouge et sa pochette aux couleurs acidulées, ne passe pas inaperçu. Boosté par le single Me, Myself & I construit autour d’un gros sample de Funkadelic, il entre au classement des meilleures ventes du Billboard.

La rançon du succès ? Howard Kaylan et Mark Volman du groupe californien The Turtles découvrent que dix secondes de clavier figurant sur un de leurs morceaux – en l’espèce une reprise du You Showed Me des Byrds – ont été samplées pour l’interlude Transmitting Live From Mars. Comme ils se considèrent spoliés, leur avocat réclame 2,5 millions de dollars au groupe et à Tommy Boy.

La maison de disques n’a en effet pas tout verrouillé et a établi une hiérarchie entre les artistes samplés – d’un côté les célèbres auxquels il faut faire attention, de l’autre les obscurs, moins importants. Au final, les ex-Turtles obtiennent 1,7 million de dollars et De La Soul, après s’être fait taper les doigts, perd son innocence – d’où un deuxième album plus sombre au titre morbide, De La Soul Is Dead (1991). Créé pendant la zone grise du sampling, 3 Feet High and Rising traînera comme un boulet, voire une malédiction, ses emprunts non régularisés.

Réparer une injustice

En 2009, le chef-d’œuvre doit être réédité, augmenté de collaborations avec certains des artistes samplés. Une tournée commémorative est aussi annoncée. Finalement, rien ne se passe. En 2014, comme ces six 1ers très bons albums – 3 Feet…, De La Soul is dead, Buhloone Mindstate, Stakes Is High et les deux volets d’Art Official Intelligence – brillent par leur absence sur iTunes, Spotify ou Deezer, le groupe les offre en téléchargement gratuit pendant quelques jours.

Son objectif : alerter sur l’injustice de sa situation. Comment expliquer que sa musique, louée par Questlove des Roots, Chris Rock ou Nas, reste indisponible aux jeunes générations et condamnée à circuler via des vieilles éditions physiques vendues à bon prix ou des partages sur YouTube de mauvaise qualité ? Et pourquoi d’autres albums datant de la même époque, également bourrés de samples comme Fear of a Black Planet de Public Enemy ou Paul’s Boutique de Beastie Boys, n’ont pas rencontré les mêmes problèmes ?

Un dossier qui traînait depuis trop longtemps

Il y a quatre ans, De La Soul a cru voir le bout du tunnel. Mais la maison de disques Tommy Boy annonce au groupe que seuls 10 % des revenus dégagés lui reviendront en raison d’une dette de 2 millions de dollars non réglée. De La Soul déplore publiquement la situation et lance le “Tommy Boycott”, aussitôt repris par les rappeurs américains les plus influents. Tommy Boy finit par rétropédaler, condamnant De La Soul à devenir en partie un fantôme numérique. Heureusement, en juin 2021, la société Reservoir acquiert le catalogue Tommy Boy et communique sur son désir de rendre disponible le plus vite possible le catalogue de De La Soul.

Experte en matière de clearance de sample, Deborah Mannis-Gardner a confié au site Okayplayer s’être consacrée pendant un an à la régularisation contractuelle des centaines de samples contenus dans 3 Feet High and Rising et ses successeurs. Par exemple, Eye Know est désormais crédité au groupe mais aussi à Otis Redding, parce que l’on entend plusieurs fois la mélodie sifflée de Sitting on the Dock of The Bay.

On sait aussi que des ayants droit ont refusé d’autoriser des samples et que le groupe, avec l’aide de Prince Paul, a eu recours à des interpolations, soit la réinterprétation en studio. Qu’importe, De La Soul accède enfin à sa nouvelle vie numérique. Hélas, cela arrive alors que le groupe, depuis la disparition de Trugoy, n’existe plus.