Découvrez l’histoire des pionnières de la musique electro

“L’histoire des femmes est une histoire de silence, et de parvenir à percer ce silence.” Ainsi débute Sisters with Transistors, film documentaire de Lisa Rovner narrant l’histoire invisibilisée des pionnières des musiques électroniques. On...

Découvrez l’histoire des pionnières de la musique electro

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

L’histoire des femmes est une histoire de silence, et de parvenir à percer ce silence. Ainsi débute Sisters with Transistors, film documentaire de Lisa Rovner narrant l’histoire invisibilisée des pionnières des musiques électroniques. On ne parle pas ici de DJ mais de chercheuses en sons, d’enquêtrices de la matière sonore.

C’est l’histoire de femmes qui entendaient de la musique dans leur tête”, poursuit la voix off, celle de Laurie Anderson, artiste avant-gardiste qui connut le succès en 1981 avec l’étrange et fabuleux O Superman, signa chez Warner et composa plusieurs bandes originales. Rien d’étonnant donc à ce que cette férue d’expérimentations et de performances conte l’histoire de ses consœurs, celles qui choisirent de rompre le silence écrasant l’existence féminine, tel un bloc de ciment.

And don't call them ‘lady’ composers” (“Et ne les appelez pas des compositrices femmes”), conjure pourtant l’accordéoniste et compositrice Pauline Oliveros, disparue en 2016, dans une tribune du New York Times parue en 1970, luttant pour être considérée pour sa pratique plutôt que systématiquement associée à son genre, de façon infantilisante, comme pour signifier qu’il existe les compositeurs et les compositeurs femmes.

Soudain, un “monde électrifié” mi-effrayant, mi-magique se manifestait

Vaste débat agitant toujours la sphère féministe (et médiatique) quant à l’importance, ou non, de ramener des artistes à leur genre en raison de leur appartenance à une/des minorités politiques afin de les visibiliser. Pauline Oliveros figure donc parmi les pionnières de ce film qui s’interroge sur ce “transistor” que tentent d’apprivoiser ces “sœurs”, formant, sans le vouloir, une sororité, celle de la lutte contre un monde qui ne leur donnait pas immédiatement accès à la composition, encore moins électronique.

Sisters with Transistors prend racine dans les révolutions industrielles, l’arrivée des machines, des usines, des voitures, entraînant l’éclosion de bruits inédits qui s’invitaient dans un monde dominé jusqu’ici par ceux de la nature et des êtres vivants.

>> A lire aussi : On a repéré pour vous les immanquables du festival FAME online

Soudain, une existence tierce se manifestait, mi-effrayante, mi-magique, un “monde électrifié” dont il fallut “capter le son”, comme le dit si bien Laurie Anderson. Il y eut surtout le thérémine, premier instrument de musique électronique consistant en un boîtier relié à deux antennes. Nul besoin de toucher le thérémine pour en tirer un son : la main voltige au-dessus de l’instrument, dirigeant ainsi des oscillateurs électroniques et produisant un étrange grincement, non loin du violon ou de la scie.

SistersWithTransistors_STILL_creditMIllsCollege.jpgPauline Oliveros en 1959 © Mills College/Anna Lena Films

C’est justement une prodige du violon, la Russe Clara Rockmore, qui apprivoisa le mieux l’instrument. Emigrée aux Etats-Unis, Rockmore croise la route de son inventeur, Léon Theremin. Nous sommes dans la première moitié du XXe siècle et le thérémine balbutiant ressemble davantage à un objet farfelu émettant des sons tordus qu’à un instrument de musique.

Clara Rockmore, virtuose du thérémine

C’était sans compter la grâce du geste et l’oreille absolue de Clara Rockmore qui en tombe amoureuse et n’aura de cesse de l’expérimenter, jusqu’à en tirer une musique mélancolique, chavirante, bouleversante de magie. Les images d’archives la montrant en pleine performance introduisent une question qui ne cessera d’habiter le film : où se situe la frontière entre le bruit et la musique ?

Elément de réponse avec une citation de Pierre Schaeffer, père de la musique concrète, reprise par la voix de Jean-Michel Jarre : “Entre le bruit et la musique, il y a la main du musicien.” A quel moment une musique est musique, et une musique est bruit ? Le bruit peut-il être de la musique ? Tout ceci ne relève-t-il que du subjectif ? Y a-t-il des règles, des codes, des structures permettant d’affirmer : ceci est musique ?

On ne peut s’empêcher de repenser aux expérimentations hyperpop de la productrice écossaise transgenre SOPHIE, décédée le 30 janvier dernier, qui, elle aussi, naviguait habilement entre le bruit et la musique, tordant les sons jusqu’à en extraire des productions inédites à l’oreille d’auditeur·trices ronronnant dans le vaste bain d’une musique homogène, déversée par une industrie musicale avide d’efficacité et de recettes.

Les bruits environnants sont quasiment à la naissance de toutes les vocations. Pauline Oliveros évoque le ronronnement du moteur de la voiture familiale qui se mêlait aux voix lointaines de ses parents, qu’elle percevait depuis le siège arrière. “J’étais fascinée par le son qui existe entre deux stations de radio.” Eliane Radigue, pionnière de la musique électronique en France dès les années 1950, se remémore le bruit des avions qui décollaient de l’aéroport de Nice près duquel elle vivait.

Eliane Radigue, Pierre Schaeffer et Pierre Henry

“Je voulais construire de la musique à l’intérieur de ça”, avance-t-elle poétiquement. Une photo relativement célèbre la montre jeune femme tenant un strombe collé à son oreille pour, suppose-t-on, y entendre le bruit de la mer. Dans une interview à Libération publiée en septembre 2020, Eliane Radigue, désormais âgée de 89 ans, raconte...

En ce moment, trois fois par semaine, j'ai droit à une musique qui vient du nettoyage des rues, les deux véhicules qui se suivent, avec l'effet de fade in qui vient d'un bout, jusqu'au mezzo forte en bas de l'immeuble et repart en fade out – des fondements de mon travail – et des reprises quand ils reviennent dans l'autre sens. J'ai plaisir à ça. Très tôt, j'ai aimé écouter le monde, l'eau qui s'écoulait dans un conduit… On a tous des sons aimés.

Assistante de Pierre Schaeffer puis de Pierre Henry, Eliane Radigue ne découvre le synthétiseur qu’à son arrivée aux Etats-Unis dans les années 1970, avant d’avoir “un coup de foudre” pour l’ARP 2500, un synthétiseur aux allures de tableau de bord de vaisseau spatial, dont elle salue la qualité “de la voix”. Il faut du temps, de la concentration et un certain abandon pour se plonger dans la musique d’Eliane Radigue qui, longtemps, se sentit bien seule dans sa quête de sons. “Il y avait des jours où je me disais que j’étais complètement folle”, assure-t-elle.

Folle, ou hystérique, parce que différente des attentes de la société des années 1960-1970, décennies pourtant bouillonnantes de questionnements des normes et de renversement des carcans. Mais si l'on retient les noms de Schaeffer et de Henry, celui de Radigue passe un peu plus à la trappe, même si sa présence au Festival international de l’Ircam, ManiFeste-2020, a remis en lumière son travail. “Je suis née dans un univers de macho, ce que je voulais moi c’était apprendre”, dit celle qui entendait fréquemment en studio : Ce qu’il y a d’agréable à avoir Eliane dans les studios, c’est que ça sent bon.”

Une histoire de la détermination

Le sous-texte de ce documentaire pourrait être la difficile accession des femmes au savoir. Rangées dans la catégorie des muses et/ou des interprètes, les artistes femmes ont des difficultés à accéder aux pratiques de composition, d’autant plus lorsqu’il s’agit de machines inconnues, qui effraient déjà un auditoire habitué aux instruments “classiques”.

C’est une histoire de la détermination que narre Laurie Anderson. Nous n’avions aucun modèle”, rappelle Laurie Spiegel, autre compositrice américaine, pilier du film. Tous les compositeurs étaient de vieux mecs blancs décédés. Je n’avais donc jamais pensé faire ça.” Spiegel le fera pourtant, créant notamment le sublime morceau Appalachian Grove, qui dit à lui tout seul l’univers, les trous noirs, le big bang, la matière en fusion et le biotope.

Mais voilà, avec les musiques expérimentales, l’auditoire est souvent aussi important que l’émettrice. Peu habituée aux contorsions, l’oreille se montre réfractaire, timide, fuyante face aux sons atypiques, voire dérangeants. La façon dont une communauté écoute, c’est sa façon de créer sa culture”, martelait pourtant Spiegel.

Loin d’une démarche élitiste, c’est bien plutôt un élan aventureux que proposent ces pionnières. A l’image de Daphne Oram, première héroïne de la musique concrète en Angleterre et fondatrice du BBC Radiophonic Workshop… en 1958. Une belle ode à l’esprit du DIY, encourageant à faire les choses par soi-même avec les éléments à sa disposition, sans attendre davantage de moyens.

Sisters with Transistors de Lisa Rovner (E.-U., 2020, 1 h 26)

FAME en ligne sur la plateforme mk2 Curiosity du 18 au 25 février