Décryptage : cinéma français, retour sur un an de crise XXL
25 février : Des César 2022 pacifiés Le calme avant la tempête. Paradoxalement, le cinéma français affiche un visage particulièrement apaisé durant cette 47e édition des César. En rupture avec les deux éditions précédentes, particulièrement...
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25 février : Des César 2022 pacifiés
Le calme avant la tempête. Paradoxalement, le cinéma français affiche un visage particulièrement apaisé durant cette 47e édition des César. En rupture avec les deux éditions précédentes, particulièrement houleuses, la cérémonie se déroule sans heurts ni surprises et sacre l’ultra-favori Illusions perdues de Xavier Giannoli. Il faut dire que les motifs de croire à un retour à la “normale” existent. Outre l’instauration fin 2021 de la nouvelle version du décret SMAD qui oblige désormais Netflix, Disney+, Amazon et consorts à investir un petit pourcentage de leur chiffre d’affaires dans des productions françaises, la levée du port du masque obligatoire a été annoncée pour le 28 février et elle sera suivie de celle du pass vaccinal quinze jours plus tard.
Il y a donc de quoi espérer une embellie du côté du box-office. Amputée presque de moitié, l’année 2021 a été, au regard du contexte, plutôt satisfaisante. Avec 92,6 millions d’entrées, le recul se limite à 23,2 % par rapport à la même période de 2019, qui était la deuxième meilleure année en termes de fréquentation depuis 1966. Cette dynamique de reprise s’est même accentuée en décembre avec 20,43 millions d’entrées, soit une fréquentation proche de la normale (22,68 millions en 2019, 21,5 millions en 2018).
Portée par des blockbusters américains (Spider-Man: No Way Home, Mourir peut attendre, Dune) et de grosses productions françaises (Kaamelott, Les Tuche 4, Bac Nord), l’année 2021 compte au final vingt-quatre films “millionnaires” en termes d’entrées, dont une dizaine de productions hexagonales. Le moral est donc au beau fixe. Personne ne peut imaginer que huit mois plus tard, ce total de films millionnaires sera exactement le même en 2022, et ce, malgré cinq mois d’exploitation de plus.
Cependant, les signes de la crise à venir se font sentir. Sur scène, le cinéaste Arthur Harari, récompensé du prix du scénario pour son second film Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, prend la parole pour interpeller les “décideurs” du cinéma français qu’il juge trop peureux : “Ce qui manque peut-être le plus à ce milieu, c’est le courage de faire autre chose que du consommable et du contenu […], on est pris dans un combat déloyal, c’est une illusion de croire que le cinéma pourra exister sur les plateformes […], on ne va pas au supermarché pour avoir une émotion.”
17 mai : Une tribune dans Le Monde
Alors que le Festival de Cannes vient de débuter, 185 professionnel·les (notamment les producteur·trices Saïd Ben Saïd et Judith Lou Lévy, les cinéastes Olivier Assayas, Arnaud Desplechin, Mati Diop et Catherine Corsini) signent dans Le Monde une tribune dans laquelle ils et elles dénoncent un glissement idéologique à l’œuvre au sein du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), personnifié par son directeur Dominique Boutonnat, auteur en 2018 d’un rapport controversé sur le manque de rentabilité du cinéma français et proche du président Macron. Accusé d’agression sexuelle par son filleul (affaire en cours de jugement), il a pourtant été reconduit à la tête du CNC pour un nouveau mandat de trois ans.
Dans cette tribune, la profession s’inquiète d’un “glissement sémantique” dû à l’avènement des plateformes. Ainsi, on ne cause plus d’œuvre mais de contenu ou de produit culturel. À terme, ce changement de cap aboutirait, selon les signataires, à une marginalisation du cinéma d’art et d’essai au profit de l’audiovisuel.
Si ce changement de vocabulaire est si inquiétant, c’est qu’il trahit un retournement de politique culturelle, désormais davantage au service du marché que rempart contre ses injustices. Il s’accompagne de microsignes qui ne trompent pas : infiltration des commissions par des personnages n’ayant rien à voir avec le milieu du cinéma et léger changement de modalités d’attribution des aides qui favorise l’audiovisuel plutôt que le cinéma indépendant. Cette 1ère tentative de faire pression sur le CNC s’accompagne d’un appel à des états généraux du cinéma, qui aura lieu à la rentrée.
Le même jour et dans le même journal, Dominique Boutonnat déclare que “la complémentarité des écrans n’est pas une menace mais une chance pour le cinéma” en vantant un modèle de synergie entre la salle et les plateformes. Le désaccord est là. Les rapports entre le CNC et une partie de la profession se tendent de plus en plus.
30 septembre : Couverture du Film français
Alors que le box-office des films du mois de septembre est catastrophique (-34,3 % par rapport à septembre 2019, -33,6 % par rapport à la moyenne 2017-2019 et plus bas niveau enregistré pour un mois de septembre depuis 1980, année d’instauration des statistiques mensuelles), Le Film français, magazine de référence de la profession, se fend d’une couverture qui crée la polémique. Sous le titre “Objectif : Reconquête !”, on y voit le patron de Pathé et milliardaire Jérôme Seydoux entouré d’un boys band constitué des acteurs de films produits et/ou distribués par son studio : Pio Marmaï, François Civil pour Les Trois Mousquetaires, Guillaume Canet et Vincent Cassel pour Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, Dany Boon pour Une belle course et Pierre Niney pour Mascarade.
Outre l’impensé de la similitude du titre avec le nom du parti d’extrême droite créé par Éric Zemmour, ce qui choque est la vision ultra-masculiniste que cette couverture donne du cinéma français. Alors qu’Alice Diop vient de remporter le Lion d’argent à la Mostra, Claire Denis l’Ours d’argent à Berlin en début d’année et tandis que l’année précédente Audrey Diwan et Julia Ducournau ont triomphé à Venise et à Cannes, le message de cette une du Film français est clair : le cinéma français va mal et ses sauveteurs sont une bande de mecs blancs à l’affiche des plus grosses productions à venir.
Si certains de ces acteurs se sont depuis publiquement désolidarisés de ce choix de couverture, Jérôme Seydoux a quant à lui enfoncé le clou, sur France Inter le 12 octobre, en déclarant que les films français étaient “faibles” et “chiants”, entendant par là qu’un bon film est celui qui rapporte beaucoup d’argent, et de préférence un film Pathé. Il finit par tacler à demi-mot l’appel aux états généraux du cinéma en accusant une partie de la profession d’attendre des pouvoirs publics qu’ils jouent le rôle du “Père Noël”.
Si le rapport de force, hier encore pacifié, entre cinéma commercial et cinéma d’auteur se tend lui aussi, c’est que l’enveloppe qu’ils se partagent a bien minci. Et au lieu de jouer la carte de la solidarité, Seydoux s’attaque à plus petit que lui en termes de poids financier. Tandis que l’Arche du cinéma français est prise dans une tempête sans précédent et que les garde-côtes du CNC ne bronchent pas, Seydoux, tel un papa sanglier avec sa portée de marcassins, quitte le navire sur un canot doré. Avec un équipage blanc et mâle, il part accoster sur les rivages ensoleillés de ses superproductions futures.
6 octobre : Appel aux états généraux du cinéma
En contrechamp de la une du Film français, celle de Libération du 5 octobre, soit la veille de l’appel aux états généraux du cinéma, use d’une autre métaphore en titrant : “Cinéma français : la maison brûle et nous regardons Netflix” sur une photo où figurent les productrices Judith Lou Lévy et Carole Scotta, l’actrice Maud Wyler et le cinéaste Jacques Audiard. Derrière cette diabolisation de la célèbre plateforme (également renforcée par la parution un mois plus tôt de l’essai de Romain Blondeau Netflix, l’aliénation en série, au Seuil), les revendications sont peu ou prou les mêmes que celles de la tribune de mai.
S’ajoutent deux nouvelles inquiétudes. La 1ère est liée à la suppression de la redevance audiovisuelle qui fragilise les investissements des chaînes dans la création, tandis que la seconde est liée à la pénurie de main-d’œuvre et de matériel que subit le cinéma d’auteur, toutes les ressources étant désormais captées par les tournages commandés par la télévision et les plateformes, mieux rémunératrices pour les technicien·nes.
Lors de cette journée du 6 octobre, une partie de la profession s’est donc réunie à l’Institut du monde arabe pour un après-midi où les prises de parole se sont enchaînées – les représentant·es du CNC n’ont pas fait le déplacement. Afin d’éviter de livrer un combat d’arrière-garde où la nostalgie du “c’était mieux avant” prédomine et de trouver de vraies solutions, la profession devra faire de cette 1ère journée le point de départ d’une profonde réflexion sur la politique culturelle à mener. On imagine aussi qu’elle formulera, à terme, des revendications aux pouvoirs publics, avec cette exigence d’équilibriste : elles devront être à la fois conservatrices du point de vue de la diversité du cinéma français et progressistes quant à l’intégration de nouveaux acteurs du secteur.
14 décembre : Sortie d’Avatar : La voie de l’eau
Paradoxalement, c’est dans ce contexte mondial en berne (partout, la fréquentation des salles a baissé depuis le Covid) que sortira dans deux semaines le second volet du plus gros succès de l’histoire du cinéma. En 2009, le film de James Cameron avait rassemblé presque 15 millions de personnes en France, soit quasi un quart de la population. La ressortie de ce 1er volet mi-septembre a déjà rassemblé plus d’un demi-million de spectateur·trices.
Associée aux très bons résultats de films français récents – Novembre (1,8 million d’entrées), Simone, le voyage du siècle (1,2), L’Innocent (500 000), au bon démarrage de Mascarade et à la sortie de Black Panther: Wakanda Forever, Avatar : La voie de l’eau pourrait permettre à la fréquentation de 2022 de ne pas être si catastrophique et d’atteindre, pourquoi pas, les 150 millions de tickets vendus. Cela limiterait ainsi la chute de la fréquentation en dessous des 30 % par rapport à l’excellente année 2019. Déjà en octobre, on a pu observer une légère embellie. Meilleur mois de l’année 2022 avec presque 15 millions de tickets vendus (+129,9 % par rapport à septembre et -24 % par rapport à la période 2017‑2019), il laisse présager d’une fin d’année plus enthousiasmante du point de vue des entrées.
Vers 2023 et au-delà
2023 devrait redémarrer en fanfare puisque les deux mastodontes de Pathé (Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu et Les Trois Mousquetaires constituent, avec respectivement 65 et 72 millions d’euros, les neuvième et cinquième plus gros budgets de l’histoire du cinéma français) sortiront le 1er février pour la paire gauloise et début avril pour l’adaptation de Dumas. On comprend mieux pourquoi Jérôme Seydoux est à ce point aux abois quand il voit les entrées de septembre.
Mais le succès public de ces films résoudra-t-il tous les problèmes du cinéma français ? À ce stade, il faut décorréler la reprise de la fréquentation et le changement de cap de notre politique culturelle. Ce n’est pas pour ces machines à entrées, certes locomotives du système de financement français, qu’il faut s’inquiéter, mais bien pour le cinéma courageux dont parlait Harari. Ce serait faire le jeu de Seydoux de voir dans les superproductions le seul salut du cinéma français.
“Même si la fréquentation retrouvait son niveau de 2019, le problème resterait le même : le CNC ne semble plus vouloir remplir son rôle de rempart contre le marché. Au lieu de chercher des pistes pour taxer plus fortement les plateformes et garantir la liberté des cinéastes et la diversité des œuvres, il n’a pour l’instant apporté aux récents changements de paradigme qu’une réponse industrielle avec le projet France 2030 – La grande fabrique de l’image. Il consiste essentiellement en un large plan de modernisation des grands studios afin de pouvoir accueillir, comme au Royaume-Uni, les coûteux tournages de plus grosses productions audiovisuelles”, nous disait juste avant l’appel aux états généraux Grégory Gajos, directeur des ventes chez le distributeur Ad Vitam.
Attiré par ce qui brille, ce CNC version start-up nation tourne jusque-là le dos à ce qui fait la vraie force du cinéma français, multirécompensé dans les plus grands festivals mondiaux : l’audace, l’originalité et la liberté.