Délai légal de l'IVG au Sénat: Laurence Rossignol dénonce "l'hostilité idéologique" de la droite
AVORTEMENT - “Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes.” Le 26 novembre 1974, Simone Veil prononçait un discours historique à l’Assemblée nationale face à un parterre d’hommes. Deux mois plus...
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AVORTEMENT - “Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes.” Le 26 novembre 1974, Simone Veil prononçait un discours historique à l’Assemblée nationale face à un parterre d’hommes. Deux mois plus tard, la loi qui porte son nom et qui légalise l’avortement était promulguée.
46 ans plus tard, les parlementaires débattent toujours de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). À l’automne dernier, la députée UDS (ex-LREM) Albane Gaillot a porté une proposition de loi “visant à renforcer le droit à l’avortement”. “En dépit des nombreuses avancées obtenues depuis l’entrée en vigueur de la loi Veil, le droit à l’avortement doit encore être conforté et son accès, mieux garanti”, peut-on lire dans l’exposé des motifs.
Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en octobre dernier, le texte doit être examiné au Sénat ce mercredi 20 janvier. Laurence Rossignol, sénatrice socialiste, vice-présidente du Sénat et ancienne ministre des Droits des femmes, a tenu à inscrire ce texte dans la “niche” du groupe socialiste, bien que la proposition de loi émane d’un autre groupe parlementaire.
“Une procédure iconoclaste, reconnaît-elle, mais il faut que ce sujet important aboutisse et que la navette parlementaire se fasse”. Ce sujet tient particulièrement à coeur à celle qui fut ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes entre février 2016 et mai 2017. Et qui souhaiterait d’ailleurs que la loi Veil soit renommée Veil-Halimi après le décès de l’avocate et militante féministe le 28 juillet dernier. “Sans elle, il n’y avait pas de loi”, insiste Laurence Rossignol.
Le HuffPost: Vous êtes rapporteure au Sénat de la proposition de loi de la députée Albane Gaillot visant à renforcer le droit à l’avortement. Que contient ce texte?
Laurence Rossignol: Il prévoit d’abord de rallonger le délai légal d’interruption volontaire de grossesse de 12 à 14 semaines, mesure que je défends depuis plusieurs années au Sénat. Il permet aux sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à dix semaines, un point déjà en partie satisfait, car le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit son expérimentation pendant trois ans. Le texte suggère enfin la suppression de la double clause de conscience dont les médecins peuvent se prévaloir pour refuser de pratiquer une IVG (qui s’ajoute à la clause de conscience générale dont dispose déjà le corps médical, NDLR).
Le texte a-t-il des chances d’être adopté au Sénat?
Je ne me fais pas d’illusions. La majorité sénatoriale de droite est hostile aux mesures contenues dans la proposition de loi. Le texte a été rejeté en commission et il le sera également dans l’hémicycle mercredi sans qu’on puisse examiner les articles et les amendements. Mais le fait qu’il soit rejeté lui permet de retourner à l’Assemblée pour poursuivre la navette parlementaire.
Dans une interview à Public Sénat, la sénatrice LR Catherine Deroche craint une augmentation des “complications médicales” si le délai de recours aux IVG est allongé. Que lui répondez-vous?
Ces arguments ne tiennent pas debout. J’ai moi-même auditionné le Collège national et les syndicats de gynécologues et d’obstétriciens, les sages-femmes, etc. Ma conclusion est qu’il n’y a pas de risque supplémentaire lié à l’allongement des délais pour la femme. Cela ne conduira pas non plus à un allongement de la moyenne de recours à l’avortement. Les femmes ne vont pas soudainement se dire: “Oh c’est bon, j’ai 14 semaines, je vais pouvoir partir en vacances avant”. Elles ont recours à l’IVG aussi vite que possible.
La même sénatrice rétorque aussi que cette mesure ne concerne qu’une petite minorité de femmes...
Raison de plus pour le faire. Il y a environ 2000 femmes concernées chaque année. Il est assez hypocrite qu’elles aillent pratiquer ces IVG aux Pays-Bas, en Espagne ou en Grande-Bretagne, là où c’est autorisé, simplement parce que la France refuse de le faire.
Les adversaires n’ont pas renoncéLaurence Rossignol
Comment expliquer l’opposition de la droite sénatoriale sur ces sujets ?
Parce que les adversaires n’ont pas renoncé. Quand la loi sur l’avortement a été votée, Simone Veil a dû faire face à une très forte hostilité idéologique à l’IVG et au droit des femmes à disposer de leur corps. Cette hostilité est depuis devenue marginale dans l’opinion, mais elle persiste dans un certain nombre de milieux, comme la droite sénatoriale. Ces adversaires ont compris qu’ils n’obtiendront pas l’abrogation de ce texte, alors toutes les mesures qui participent à simplifier l’accès à l’avortement sont des mesures qu’ils combattent systématiquement, par principe.
Quel est l’intérêt de permettre aux sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à la dixième semaine de grossesse ?
Commençons par dire qu’elles le feront en convention avec les centres d’orthogénie, au sein d’une équipe médicale, sur la base du volontariat et après avoir été formées. Ceci étant dit, c’est une mesure importante pour pallier la défaillance du système de santé. Croyez-moi, aujourd’hui il vaut mieux ne pas avoir recours à l’IVG en plein été dans certaines régions de France, quand les médecins partent en vacances et qu’il n’y a personne pour les remplacer. À la fin des trois ans d’expérimentation (prévus dans le projet de loi sur la réforme de la sécurité sociale, NDLR) on constatera que l’expérimentation a bien fonctionné et on la pérennisera. C’est aussi une mesure qui participe à normaliser cet acte médical.
L’IVG est-elle encore considérée comme un acte médical anormal ?
Oui, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on veut supprimer la double clause de conscience. C’est elle qui continue de faire de l’IVG un acte médical anormal, justement. Elle continue d’identifier l’IVG comme étant, du point de vue des soignants qui la pratiquent, un acte qui peut être inacceptable. La double clause de conscience dit aux femmes que c’est un acte extraordinaire, qu’elles ont recours à quelque chose qui n’est pas normal. La clause de conscience générale permet déjà à tout soignant de ne pas pratiquer un acte. Un médecin qui ne souhaite pas pratiquer d’IVG a déjà tout dans le code de déontologie pour ne pas en faire. Sa suppression est symbolique, mais le symbole est essentiel.
On assiste dans certains pays européens, comme l’Italie, à des reculs sur l’avortement. L’accès à l’IVG est-il en danger en France ?
Tous les sondages montrent que notre pays est très attaché au droit à l’IVG. Mais son accès n’est pas garanti. Pourquoi ? Tout d’abord en raison de la pratique en elle-même, victime du désintérêt. Rares sont les médecins qui ont obtenu leur notoriété en pratiquant des IVG. Je souhaite donc que l’on revoie la cotation de ces actes pour que les praticiens soient mieux rémunérés. Ensuite, parce qu’on a éloigné géographiquement cette activité d’un nombre important de femmes. Ces quinze dernières années, 22% des centres d’IVG ont fermé leurs portes. Certaines femmes doivent désormais faire plus de 100km pour pratiquer une IVG instrumentale.
Aujourd’hui, le niveau d’information sur ces sujets dépend trop de la volonté des familles. Si la parole n’est pas libre à la maison, l’école doit pallier.Laurence Rossignol
Est-ce que cela veut dire que plus de femmes qu’auparavant ont recours aux IVG médicamenteuses ?
Oui, et c’est une atteinte supplémentaire aux droits dans l’accès à l’IVG. Les femmes ont aussi le droit de choisir la méthode d’avortement qu’elles souhaitent (médicamenteuse ou chirurgicale, NDLR). Mais en raison de la désertification médicale, entre autres, l’IVG médicamenteuse est en train de devenir la norme. Or, elles doivent pouvoir choisir.
Que proposez-vous ?
Toutes les mesures de la proposition de loi sont des avancées, mais aucune ne réglera la question de base des difficultés de l’accès à l’IVG. Je propose la mise en place d’un Institut national de la santé sexuelle et reproductive qui soit capable de prendre en charge l’organisation de la santé sexuelle et reproductive. Il faut faire de ce sujet une priorité de politique publique, à l’image de ce qui existe pour l’Institut national du cancer.
La santé sexuelle et reproductive est un enjeu de société crucial. C’est en l’améliorant que nous pourrons mieux accompagner le recours à l’IVG et faire en sorte que ce parcours ne soit pas synonyme de culpabilisation pour les patientes, comme c’est souvent le cas. Rappelons qu’une femme sur trois aura recours à l’IVG dans sa vie. Il faut également mieux informer les jeunes en s’assurant que les cours d’éducation affective et sexuelle existent et que ces sujets y soient abordés. Aujourd’hui, le niveau d’information sur ces sujets dépend trop de la volonté des familles. Si la parole n’est pas libre à la maison, l’école doit pallier.
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