Devant la caméra de Cédric Kahn, “Le Procès Goldman” ne perd rien de ses ambiguïtés
La récente recrudescence du film de procès au cœur d’un certain cinéma d’auteur français haut de gamme (Saint Omer d’Alice Diop, Anatomie d’une chute de Justine Triet et aujourd’hui Le Procès Goldman) vient un peu plus enterrer ce mythe illusoire...
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La récente recrudescence du film de procès au cœur d’un certain cinéma d’auteur français haut de gamme (Saint Omer d’Alice Diop, Anatomie d’une chute de Justine Triet et aujourd’hui Le Procès Goldman) vient un peu plus enterrer ce mythe illusoire de la justice comme terrain de la vérité. Chez Justine Triet, lorsque l’accusée du meurtre de son mari tente de persuader son avocat de son innocence, celui-ci lui fait remarquer que “ce n’est pas la question”. “Je suis innocent parce que je suis innocent”, voilà comment Pierre Goldman vient à son tour clamer son innocence devant les jurés qui vont décider de son destin lors de son second procès en 1976.
Au-delà de la puissance rhétorique imparable de la formule – telle Antigone devant Créon, qui craint plus l’incohérence et la duplicité que la nature de son sort –, cet aveu de l’activiste de gauche, accusé du meurtre de deux pharmaciennes, exprime à merveille la prédominance de la force d’un récit sur la véracité des faits.
Ici, aucune image ou reconstitution de la scène de crime, ni spécialiste apportant schémas ou croquis
Le film de Cédric Kahn est à l’image de son protagoniste : un grand bloc rugueux, dont le format 1.33 accroît un peu plus la sécheresse angulaire, à l’intérieur duquel se déploie un océan de complexité. Un flux continu d’opacité que le cinéaste entretient et travaille brillamment, en refusant d’utiliser le procès comme source d’éclaircissement sur le crime ou les individus. La mise en scène écarte d’ailleurs toute illustration du meurtre, très souvent privilégiée dans le genre : ici, aucune image ou reconstitution de la scène de crime, ni spécialiste apportant schémas ou croquis pour expliciter sa thèse. Un grand vide d’images qui entraîne petit à petit vers l’abysse.
Un portrait émouvant et complexe de la judéité
Un procès, nous disent Diop, Triet et Kahn, n’est pas le lieu de la vérité mais la caisse de résonance de plusieurs récits, l’un à charge, l’autre à décharge. Au final, ce n’est pas la vérité qui triomphe mais un parti sur un autre. Cinéaste qui, de Trop de bonheur (1994) à Fête de famille (2019), s’est toujours intéressé à la façon dont l’implosion de la parole survient au cœur d’un petit espace, Kahn choisit l’unité du huis clos (excepté quelques scènes d’extérieur) pour filmer les assises comme un court de tennis. À la barre ou sur le banc, on se renvoie la parole comme une balle. Les phrases assénées font figure de smash, passing-shot ou autre amorti, une succession de coups qui représente autant le combat que la collaboration entre Goldman et son avocat Kiejman (interprétés par Arieh Worthalter et Arthur Harari, tous deux merveilleux).
Leur relation ambiguë permet d’établir un portrait aussi émouvant que complexe de la judéité. Le second est un Juif parfaitement assimilé, soucieux de ne pas en faire état, tandis que le 1er est un Juif torturé, qui porte les stigmates des souffrances de son peuple. C’est là la grande force du film de procès, dont Kahn exploite la sève à merveille : sonder la profondeur et les contradictions des individus pour mieux les faire dialoguer avec la piteuse santé des institutions, de 1976 ou d’aujourd’hui.
Le Procès Goldman de Cédric Kahn, avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Jeremy Lewin (Fr., 2023, 1 h 54). En salle le 27 septembre.