Disparition de Charlie Watts : les Rolling Stones ont perdu leur roc
“J’adore jouer de la batterie et j’adore jouer avec Mick, Keith et Ronnie, je ne sais rien à propos du reste. Ça ne me contrarierait pas si les Rolling Stones disaient : ça suffit.” Il y a trois ans, lors d’une entrevue donnée au Guardian avec,...
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“J’adore jouer de la batterie et j’adore jouer avec Mick, Keith et Ronnie, je ne sais rien à propos du reste. Ça ne me contrarierait pas si les Rolling Stones disaient : ça suffit.” Il y a trois ans, lors d’une entrevue donnée au Guardian avec, comme à chaque fois, une économie de mots, il envisageait sereinement la fin du groupe mythique dont il était le pilier discret, celui qui tenait la baraque.
Après avoir échappé à un cancer de la gorge en 2004, Charlie Watts avait stupéfait les autres par sa capacité à assurer les concerts suivants. Professionnel passionné, il n’a jamais cherché la célébrité. Il n’aspirait qu’à vivre tranquille avec son épouse Shirley dans le domaine du Devon – où elle dirige une écurie de chevaux de course – ou dans leur maison près d’Alès. Celui qui incarnait la force tranquille au sein des Stones n’aura pas connu cette fin qui l’aurait sans doute soulagé, lui que le rock’n’roll circus laissait de marbre.
Le groupe continuera sans lui, ce qu’il avait envisagé dès le début du mois d’août. Toujours élégant, il avait indiqué dans un communiqué daté du 5 août : “Pour une fois, mon timing est à contretemps. Je travaille dur pour être en forme, mais j’ai accepté aujourd’hui, sur les conseils d’experts, que ça prendra du temps. Après ce que les fans ont enduré à cause du Covid, je ne veux pas que tous ceux qui détiennent des billets pour la tournée soient déçus par un nouveau report ou une annulation. J’ai donc demandé à mon grand ami Steve Jordan de me remplacer.” Personne ne se doutait alors, même dans l’entourage des Stones, que ses ennuis de santé provoqueraient cette brusque disparition, survenue hier dans un hôpital londonien, entouré des siens, alors qu’il avait fêté le 2 juin dernier ses 80 printemps.
Son dernier concert avec Jagger, Richards et Wood restera pour l’éternité celui donné au Hard Rock Stadium de Miami le 30 août 2019 lors de la tournée No Filter bien bousculée l’année suivante par la pandémie.
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Assurer le tempo
Charlie Watts n’avait pas la fantaisie d’un Ringo Starr, le jeu frénétique d’un Keith Moon ou la puissance autodestructrice d’un John Bonham. Mais lui possédait le groove et un toucher subtil qui faisait de lui davantage un collègue d’Elvin Jones, de Tony Williams ou de Philly Joe Jones, les grands batteurs du jazz. Normal, il avait appris la batterie, seul, en écoutant les disques de Charlie Parker ou Duke Ellington qu’il adorait. Jeune, il ne rêvait pas de devenir une rock star et, selon ses dires, quand il avait 19 ans, il détestait même le rock’n’roll. Pourtant, à l’été 1962, il s’est laissé convaincre par les Stones tout juste formés – le 1er concert officiel, avec Jagger, Brian Jones, Keith Richards, le pianiste Ian Stewart, le bassiste Dick Taylor et le batteur Mick Avory date de juin de la même année – de les rejoindre.
Jusqu’alors, la musique n’était encore qu’une passion et un passe-temps pour Watts qui gagne sa vie dans le graphisme et la publicité. Avec son ami David Green, il donne des concerts de jazz puis intègre la formation rhythm and blues d’Alexis Korner, Blues Incorporated, qui se produit au Marquee Club. Fans de blues au moment où c’est loin d’être à la mode, Brian Jones, Mick Jagger et Keith Richards sont forcément dans la salle, c’est même à un concert de Blues Incorporated que les deux 1ers rencontrent le troisième. Quand les Stones débutants se mettent en quête d’un batteur à la hauteur de leurs rêves bluesy, c’est à Watts qu’ils pensent. Charlie est capable de finesse tout en maintenant un tempo implacable. Il a appris les bases en observant les groupes qui se produisaient sur la scène des night-clubs puis en jouant dans des mariages ou des bar-mitsvas.
“Si vous arrivez à décrocher deux concerts sérieux par semaine, je suis partant”
Se rappelant ses années fondatrices, il avait ainsi défini lors d’une entrevue à Paris Match datant de 2009 ce qu’était un bon batteur : “Celui qui assure le tempo et vous fait danser.” Ce sont justement ces qualités qui sautent aux yeux de Jagger, Richards et Jones quand ils voient Charlie jouer du r&b avec Alexis Korner. Ils le sentent tellement sûr de lui et de son jeu qu’ils ont peur de se faire jeter. C’est ainsi le pianiste Ian Stewart, bientôt poussé en dehors de la photo officielle par le manager Andrew Oldham, qui tâte le terrain et demande à Charlie s’il accepterait de rejoindre les Stones. Pragmatique, le batteur répond positivement à l’invitation tout en indiquant avoir besoin d’argent pour transporter ses fûts dans le métro. “Si vous arrivez à décrocher deux concerts sérieux par semaine, je suis partant”, répond-il. Selon la légende, les autres sont tellement motivés à l’idée qu’ils se privent de manger ou volent à l’étalage pour qu’ils soient des leurs.
Ingrédient secretLes 1ères semaines sont cependant un peu laborieuses. Novice en matière de rock’n’roll, Watts reste un transfuge venu du jazz. Il aura comme professeur Keith Richards et, à l’oreille, se met à potasser les disques de blues de Jimmy Reed et surtout le jeu de son batteur, Earl Philip. Au fil des concerts, Richards assiste en direct à la métamorphose et à l’entente avec le bassiste Bill Wyman. Il comprend que les Stones ont décroché le gros lot. Vantant sa décontraction, son dépouillement et sa capacité à suspendre le tempo, le guitariste écrit dans son autobiographie Life (aux éditions Robert Laffont, 2010) : “Pour moi, Charlie Watts a été l’ingrédient secret de tout ce truc. (…) Il a toujours été le socle sur lequel je m’appuie musicalement parlant.”
Au fil des années 1960, l’entente ne se dément pas, de (I Can’t Get No) Satisfaction à Paint It Black en passant par les funky Sympathy for the Devil, Honky Tonk Women ou Gimme Shelter. Et la magie se poursuit durant la décennie suivante, le batteur continue de briller dans l’ombre et de se mettre au service de l’inspiration de la paire Jagger-Richards comme sur l’album Some Girls (1978) où il donne le beat endiablé du tube disco Miss You et caresse ses futs avec swing sur Beast of Burden.
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“Ne m’appelle plus jamais ton batteur !”Indispensable aux autres Stones, Charlie joue le jeu mais n’épouse pas leurs mœurs destroy et débridées. Dans une entrevue filmée en noir et blanc dans les sixties, il surprend le journaliste qui l’interroge en déclarant : “Je suis heureux à la maison.” Le journaliste réplique, interloqué : “Mais tu as une maison ? – Oui, c’est ce qui me rend différent des autres. (…) Je suis le plus heureux quand je suis à la maison.” D’ailleurs, en tournée, pour ne pas perdre le fil du temps, il avait pris l’habitude d’immortaliser chaque chambre d’hôtel par un croquis. Homme sans frasques, Charlie Watts n’aura qu’une seule femme, Shirley Shepherd, avec qui il se marie en 1964 – et une fille, Seraphina.
En revanche, il y a des domaines dans lesquels il surclassait les autres. Le 1er est certainement l’élégance et la sophistication : lui portait des costumes taillés à Savile Row. Il avait aussi une impressionnante collection de voitures vintage qu’il ne conduisait jamais – il n’avait pas le permis. Sa seule concession au style de vie chaotique du rock’n’roll aura lieu durant les années 1980, une décennie de toute façon compliquée pour les Stones. Lui aussi connaît alors les excès et tombe dans l’alcool et l’héroïne. “Je pense que c’était une crise de la quarantaine. Tout ce que je sais, c’est que je suis devenu totalement une autre personne vers 1983 et que j’en suis sorti vers 1986”, révèlera-t-il. C’est durant la même période qu’il signe un coup d’éclat montrant que, s’il aimait la discrétion, il n’était pas effacé. Alors que les Stones se réunissent à Amsterdam en 1984, Jagger l’appelle à cinq heures du matin, ivre mort : “Où est mon batteur ?” Selon Keith Richards qui assiste à la scène, aussi médusé qu’amusé, Charlie arrive dans la chambre d’hôtel où les deux autres s’arsouillent. En costard, impeccable, il se dirige droit vers Jagger qu’il prend par le col avant de vociférer : “Ne m’appelle plus jamais ton batteur !” Un crochet du droit mettra un point final à l’échange et Jagger au tapis.
Charlie Watts était réservé, mais n’était pas un faire-valoir. Seule la musique l’intéressait et lui qui a eu loisir d’observer sa prestance et ses pas de danse reconnaissait à Jagger son extraordinaire sens de la performance. En 1992, invité dans le Dennis Miller Show, il s’en amusait. “Je suis très chanceux de les avoir devant moi, car je ne sais pas faire ça (…) sauter partout. Le concert commence et tout d’un coup Mick fait “boing” – il mime alors le mouvement d’un ressort – il devient fou.” Lui préférait rester à sa place, derrière sa batterie.
Même quand il est devenu leader de formations de jazz à son nom – The Charlie Watts Quintet puis The Charlie Watts and the Tentet – il s’effaçait derrière les autres. Le trou qu’il va laisser au fond de la scène pendant les prochains concerts des Stones – sera-ce la dernière tournée ? – risque cependant d’être béant.