Don Everly, mort d’un pionnier des harmonies pop

Comment est-il possible qu’une voix associée à la jeunesse éternelle puisse-t-elle s’éteindre de vieillesse ? On a pu croire les interprètes de Bye Bye Love, Wake Up Little Susie ou All I Have to Do Is Dream, quintessence des émois adolescents...

Don Everly, mort d’un pionnier des harmonies pop

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Comment est-il possible qu’une voix associée à la jeunesse éternelle puisse-t-elle s’éteindre de vieillesse ? On a pu croire les interprètes de Bye Bye Love, Wake Up Little Susie ou All I Have to Do Is Dream, quintessence des émois adolescents transformés en chansons pop immarcescibles, figés dans leur vingtaine, comme s’ils buvaient sans cesse l’eau de la Fontaine de jouvence. Mais non, stop au romantisme et à la rêverie, les Everly Brothers ne sont plus et Don Everly, l’aîné, est mort le samedi 21 août, sept ans après son frère, Phil.

Avec lui, c’est une partie de son histoire que l’Amérique enterre, celle d’un croisement miraculeux entre country, pop et rock qui aura ému et influencé des artistes aussi divers que Bob Dylan, Simon & Garfunkel, Billie Joe Armstrong et Norah Jones ou, plus près de nous, les yéyés et Claude François. En 2000, Françoise Hardy et Étienne Daho avaient repris ensemble So Sad sur l’album de la 1ère, Clair-Obscur. Quant à Paul McCartney, il a affirmé : “Quand John (Lennon ndlr) et moi avons commencé à écrire des chansons, j’étais Phil et John était Don”.

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Une histoire de famille

Les Everly Brothers ont longtemps été inséparables et même dans la mémoire collective – ces derniers jours, sur Google une fréquente recherche demandait “Everly Brothers who died”. Cela s’explique par leur ressemblance physique et la manière magique avec laquelle leurs voix chantaient en harmonie. En 2014, à la mort de son petit frère, Don témoignait au Los Angeles Times : “Quand Phil et moi atteignons cet endroit que j’appelle ‘The Everly Brothers’, je ne sais pas où c’est, car ce n’est ni moi ni lui, c’est nous deux ensemble”

Les Everly ont d’abord été une histoire de famille. Ike et Margaret, les parents, ont cherché à changer de vie grâce à la musique. Ike, mineur et fils de mineur, apprend les rudiments du jeu de guitare, compose et décroche un contrat dans des radios de l’Iowa. Il nourrit le fantasme d’imiter la Carter Family et c’est dans le programme tenu par son père que Don réalise ses débuts avec son quart d’heure de gloire, The Little Donnie Show. Les choses prennent un tour plus sérieux une fois les Everly installés à Nashville. Phil s’est aussi mis à chanter et, cornaqués par Ike, les deux frangins se produisent en duo. Leur répertoire prend racine dans la country music – un de leurs futurs albums s’appellera Songs Our Daddy Taught Us  – mais leurs harmonies à deux voix ajoutent un frisson pop, une touche romantique et un peu de sex-appeal qui ne demandent qu’à exploser.

Premiers hits

À Nashville, les Everly rencontrent la gloire locale, le guitariste Chet Atkins, placent quelques compositions et sortent un 1er single vite oublié. Mais c’est Archie Bleyer, patron d’un label de New York, Cadence, qui les convainc d’enregistrer avec Chet Atkins et d’autres musiciens de session réputés sur les compositions d’un couple de songwriters Felice et Boudleaux Bryant.

Avec son texte romantique, le mariage fondant de leurs deux voix – la plus grave est celle de Don – et une nervosité empruntée au rockabilly naissant, Bye Bye Love joue sur tous les tableaux. Sorti en mars 1957, il monte jusqu’à la deuxième place du classement Billboard pop, mais entre aussi dans les charts country et R’n’B.

Suit en août de la même année l’enlevée Wake Up Little Susie, autre chanson de Bryant et deuxième carton. Don et Phil apparaissent en costume, proprets, et n’ont pas le jeu de scène incendiaire d’Elvis Presley ou de Little Richard. Mais, au bon endroit et au bon moment avec les chansons ad hoc, ces beaux gosses jouant aux amoureux éplorés tapent dans l’œil des 1ers promoteurs du rock’n’roll. Ils sont ainsi conviés à participer à la révolution qui électrise le pays, notamment au cours d’une tournée d’onze semaines durant laquelle ils partagent l’affiche avec Chuck Berry, Fats Domino ou Eddie Cochran. 

Après s’être reposés sur le savoir-faire des Bryant, les Everly bro’s se mettent aussi à pondre des tubes comme Cathy’s Clown écrit par Don, qui sera le single le plus vendu de leur carrière. Ça tombe bien, il est temps de s’émanciper : après des disputes au sujet de royalties, ils quittent Cadence Records pour Warner. Comme Elvis, ils ambitionnent de réussir au cinéma et prennent des cours de comédie, mais sans résultat.

Si elle est rentable – entre 1957 et 1961, ils ont tous les quatre mois une chanson dans le top 10 des ventes ! – leur cadence de travail devient infernale. À force de tourner, Don a besoin d’un remontant et son docteur lui prescrit, comme au président John Fitzgerald Kennedy, un régime de cheval à base d’amphétamines et de vitamines. L’aîné des Everly dort de moins en moins et devient paranoïaque. Les six mois que son frère et lui passent chez les Marines – ils s’engagent en tant que réservistes pour éviter la conscription – lui font du bien mais, une fois libéré, il retombe dans son cercle vicieux de consommation effrénée. Deux tentatives de suicide successives, terminées en overdose, lui font frôler la mort alors qu’il n’a que 25 ans mais, déjà, une longue carrière derrière lui. Un sévère traitement d’électrochocs puis une thérapie l’aident à combattre sa dépendance. Mais le mal est fait.

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Retour à la musique country et clap de fin

Débordés par la nouvelle génération américaine, plus extravertie et ouverte sur la sexualité, la politique et la spiritualité, les Everly Brothers, même s’ils servent de modèles à Simon & Garfunkel, se sentent has been. Alors, ils se réfugient vers ce qu’ils connaissent le mieux, la country. En 1968, ils enregistrent une superbe collection de reprises (Merle Haggard, Jimmie Rodgers et même Randy Newman). Trop décalé, ni sexy ni hippie, Roots pave cependant la voie au courant country-rock de Gram Parsons. Don copine un temps avec Jimi Hendrix ou Joni Mitchell mais l’avenir des Everly semble bouché ou se confondre avec son glorieux passé. Les relations entre Phil et lui s’en ressentent. En 1973, l’orage éclate.

Don, fatigué d’être un Everly Brothers, signifie à Phil que les concerts du 14 juillet, prévus dans un parc d’attraction californien, Knott’s Berry Farm, seront les derniers. Le jour même, Don est ivre mort – “J’ai bu de la tequila, j’ai bu du champagne (…) c’était vraiment un enterrement”, avouera-t-il au magazine Rolling Stone – au point que le manager du duo interrompt le deuxième concert. Ulcéré, Phil casse sa guitare backstage et se barre. Don assure le troisième set seul. Quand un spectateur lui demande où est parti son frère, il répond, désabusé : “Les Everly Brothers sont morts il y a dix ans”. Don regrettera pendant longtemps ses paroles et ce moment – “ça reste le jour le plus triste de ma vie”, affirmera-t-il en 1986 -, mais aussi l’attention médiatique suscitée par l’incident. Poursuivant entre temps des carrières solo qui n’éclipseront jamais leur parcours commun, les deux frères mettront dix ans à se réconcilier.

Initiée par le guitariste britannique Albert Lee, leur réunion a lieu en septembre 1983, à Londres, au Royal Albert Hall, pour deux concerts événementiels et filmés. Dans la foulée, le duo enregistre avec l’aide du Gallois Dave Edmunds EB 84, un album plaisant pour lequel un fan prestigieux, Paul McCartney, offre l’entêtante On a Wings of a Nightingale. En 1986, les Everly font partie de la 1ère salve d’artistes à entrer au Rock & Roll Fame et entament une série de tournées seulement interrompue par la mort de Phil en 2014.

Depuis samedi, Don l’a rejoint au paradis des harmonies, mais l’importance du duo dans l’histoire de la musique reste indéniable. En 2013, Billie Joe Armstrong et Norah Jones avaient d’ailleurs repris à l’identique les chansons de Songs Our Daddy Taught Us dans Feverly, un album hommage conçu comme passage de témoin.