“Don’t Worry Darling” : une fable SF féministe et revigorante

Quelques semaines après sa projection surmédiatisée à la Mostra de Venise, on est tenté de faire le lien entre Don’t Worry Darling, le film, et son image sur les réseaux sociaux, minée par les rumeurs de mauvaise entente entre les acteur⸱trices....

“Don’t Worry Darling” : une fable SF féministe et revigorante

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Quelques semaines après sa projection surmédiatisée à la Mostra de Venise, on est tenté de faire le lien entre Don’t Worry Darling, le film, et son image sur les réseaux sociaux, minée par les rumeurs de mauvaise entente entre les acteur⸱trices. L’absence à la conférence de presse de Florence Pugh, l’interprète principale du film, semblait surligner les mauvais traitements qu’elle y subit dans le rôle d’épouse manipulée (on entend qu’elle aurait mal vécu sa collaboration avec la cinéaste). Et il est presque trop facile d’imaginer un rapport entre le crachat de la superstar Harry Styles, en pleine standing ovation, sur l’un de ses partenaires de jeu, et le fait qu’il campe dans le film un mari machiavélique. Mais si on perçoit un jeu de perméabilité entre le réel et le régime de la fiction, c’est plutôt dans l’étrange électricité qui s’y joue, les torsions folles d’une fable filmée comme un nid de guêpes, comme si les acteur·trices elleux-mêmes avaient été contaminé·es par un poison versé dans une version impure de grand rêve américain.

Car dans l’Amérique que nous servent les 1ères images du deuxième long métrage d’Olivia Wilde (actrice et réalisatrice d’un 1er grand petit film, comédie adolescente féministe, libre et déjantée, où les geekettes sont reines, intitulée Booksmart), les décors rose bonbon ont immédiatement un goût frelaté, dans la lumière écœurante d’une petite banlieue pavillonnaire proprette évoquant les images d’Épinal de l’american way of life des années 1950. Il n’y a pas de véritable séduction dans ses plans (malgré la palette très colorée de Matthew Libatique, chef op de Black Swan et Mother! de Darren Aronofsky), pas même le suspense d’une illusion pimpante, mais déjà ce cauchemar dégoulinant de vies sous contrôle.

Rapidement, l’utopie s’enraye

Principalement celles des épouses. En jolies nuisettes, elles embrassent de concert leurs maris censément parfaits chaque matin, employés modèles d’une mystérieuse firme dont le programme majeur est cette cité idéale qu’iels habitent, baptisée Liberty. Après vingt minutes d’un rêve qui brûle les yeux, l’utopie s’enraye et l’héroïne découvre peu à peu les rouages de ce qui n’est en fait qu’une vaste machination destinée à assujettir les femmes à un ordre masculin et patriarcal.

L’idée platonicienne d’un monde factice et fabriqué, à l’intérieur duquel des êtres évolueraient plus ou moins consciemment n’est évidemment pas neuve. Elle innerve tout un pan du cinéma SF, de Matrix à The Truman show. La réalisatrice ne cherche d’ailleurs pas à se démarquer par son originalité en adaptant le roman d’Ira Levin (également autrice de Rosemary’s baby), The Stepford Wives, déjà porté à l’écran deux fois. Mais elle revisite le concept avec poigne en l’armant à la thématique féministe, soit la prise de conscience d’une femme piégée dans un monde-prison régi par les maris et dont elle ne peut s’échapper.

Fini les desperate housewives

Dans Fétichisme et curiosité, Laura Mulvey évoque le mythe de Pandore, stéréotype de la curiosité féminine, qui va conduire ici l’héroïne à démasquer l’infâme passé matriciel que recouvrent les apparences. Toute la belle vibration du film – trop flashy, trop fort, trop “tout”, comme si l’aliénation féminine devait se payer en retour par une certaine idée du mauvais goût – tient à cette folie curieuse qui pousse le personnage de Florence Pugh (parfaite), héritière des héroïnes gothiques classiques, à forcer les portes qu’elle n’auraient jamais dû franchir, sur le même modèle que les épouses d’abord dociles de Barbe bleue et du Secret derrière la porte, en passant par Jane Eyre ou Rebecca.

C’est ce travail de fouille et d’investigation furieuse qui va casser la composition en spirale de Don’t Worry Darling – manière de dénoncer ces vies conditionnées de desperate housewives tournant en rond. Olivia Wilde redessine l’espace américain fondé sur l’absence de frontière et l’horizon infini, un espace typiquement masculin basé sur la conquête, en une mise en scène circulaire et angoissante, définie par la forme de la ville encerclée de montagnes, puis reprise par le motif récurrent de l’œil – métaphore d’une société sous surveillance – ou encore par les danseuses synchrones et kaléidoscopiques du chorégraphe des années 1930 Busby Berkeley. Briser ce mouvement routinier aliénant par la diagonale fracassante d’une course-poursuite en voiture à travers le désert est loin d’être la seule très belle vision de ce film, certes imparfait, mais magnétique et stimulant.

Don’t Worry Darling, d’Olivia Wilde. En salle le 21 septembre 2022.