Double seuil pour l'inceste et les crimes sexuels: des annonces "inespérées" mais...
POLITIQUE - Rarement la réponse du gouvernement aura été aussi rapide. Du moins en apparence. Dimanche 14 janvier, Éric Dupond-Moretti a annoncé vouloir fixer un seuil de non-consentement à 18 ans pour l’inceste, comme le demandaient plus de...
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POLITIQUE - Rarement la réponse du gouvernement aura été aussi rapide. Du moins en apparence. Dimanche 14 janvier, Éric Dupond-Moretti a annoncé vouloir fixer un seuil de non-consentement à 18 ans pour l’inceste, comme le demandaient plus de 160 personnalités du monde artistique dans une tribune publiée quarante-huit heures auparavant.
“Personne ne pourra dire: si la victime a 17 ans, elle était ou il était d’accord”, résumait ainsi le garde des Sceaux dans l’émission le “Grand jury” sur LCI, RTL et Le Figaro, quelques jours après avoir annoncé une autre décision forte: la création d’un premier seuil d’âge fixé à 15 ans en deçà duquel tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sera considéré comme un viol.
Deux bonnes nouvelles pour les associations en pointe contre l’inceste et les crimes sexuels sur les enfants qui voient, enfin, leurs propositions reprises par les pouvoirs publics. “Le gouvernement se retrouve contraint par l’opinion de modifier en profondeur notre droit car il était totalement insatisfaisant”, se félicite Pascal Cussigh, avocat et secrétaire du Collectif pour l’enfance, en référence à la vague de témoignages rassemblés par le hashtag #metooinceste, lui-même provoqué par l’émoi national autour de la sortie du livre La familia grande de Camille Kouchner.
Le précédent de la loi Schiappa en 2018
Pour ces associations ou collectifs, les annonces du gouvernement sont donc très positives. “C’était inespéré que la décision soit prise aussi vite”, nous dit Françoise Cosson, membre du bureau de l’association REVIS (Rencontres et Échanges pour les Victimes d’Inceste Solidaires). “Surtout pour l’inceste... ce n’était pas gagné, ce n’état pas dans leurs objectifs mais on voit que ça commence à résonner dans leurs oreilles”, renchérit Anne-Marie Lemoigne, la vice-présidente de l’association “le Monde à travers un regard”.
Des applaudissements qui n’empêchent pas la vigilance. Échaudées par de nombreuses déceptions ces dernières années, ces mêmes associations veulent rester attentives, notamment à la transcription de ces promesses dans le droit.
On reste vigilant parce qu'on a déjà connu beaucoup d’annonces avec des modifications ou des réécritures par la suite”Anne-Marie Lemoigne, vice-présidente de l’association “le Monde à travers un regard”
“On reste vigilant parce qu’on a déjà connu beaucoup d’annonces avec des modifications ou des réécritures par la suite”, raconte Anne-Marie Lemoigne au HuffPost. “On avait eu de belles annonces en 2018 sur le fait d’écarter les questions du consentement, mais elles n’ont finalement pas été traduites dans la loi Schiappa”, se souvient, encore amère, Pascal Cussigh, en ajoutant: “on a eu l’impression d’être trahi.”
La ministre en charge de la Citoyenneté, à l’époque secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes, avait proposé d’inscrire dans la loi le principe selon lequel “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur un mineur de 15 ans par un majeur” soit considéré comme un viol, selon la première mouture de son texte. Une volonté politique alors affichée dans le sillage de plusieurs affaires choquantes pour l’opinion publique comme la requalification en “atteinte sexuelle” du viol d’une fillette de 11 ans.
Raté, le projet de loi avait finalement été réécrit sur la base de nombreuses réserves émises par le Conseil d’État, la version finalement votée expurgeant le fameux seuil d’âge. “Ce sont exactement les mêmes débats que nous avions en 2018 au moment de la loi Schiappa”, souffle Pascal Cussigh, désormais “forcément précautionneux par rapport aux nouvelles annonces qui sont faites.”
Et la prescription ?
D’autant que les associations ont déjà identifié une brèche: l’introduction d’une exception au seuil de 15 ans, dans le cas où les deux protagonistes ont un écart d’âge de cinq ans. En clair, “le jeune homme de 17 ans et demi qui a une relation avec une jeune fille de 14 ans et demi ne peut pas devenir un criminel quand il a 18 ans et un jour”, selon les mot d’Éric Dupond-Moretti le mardi 9 février dernier.
“Ça laisse un flou”, regrette Françoise Cosson de l’association REVIS. Pascal Cussigh du Collectif pour l’enfance, craint de son côté une sorte de “vide juridique” pour les adolescents âgés de 13 à 15 ans. “Le seuil de 15 ans qui était censé poser un interdit fort et claire, serait plutôt fixé de facto à 13 ans car il n’y a qu’à ce stade que la protection existe dans tous les cas de figure”, redoute l’avocat.
Reste également la question de l’imprescriptibilité, consistant à supprimer le délai au-delà duquel on ne peut plus juger les faits- portée par de nombreuses associations au même titre que ce “double-seuil” pour le consentement. Mais sur ce point, le ministre de la Justice souligne une absence de consensus. “Certaines victimes ont besoin de la date butoir au-delà de laquelle plus rien n’est possible pour se décider. (...) D’autres victimes disent, moi je souhaite me libérer mais je ne veux pas de procès et j’attends que la prescription soit acquise”, expliquait Éric Dupond-Moretti dimanche au “Grand Jury.”
Si la victime se retrouve avec un beau texte de loi, mais pas de magistrat pour le faire appliquer, on ne sera pas plus avancé."Pascal Cussigh, avocat et secrétaire du Collectif pour l’enfance
Pour les associations contactées par Le HuffPost, la fin de la prescription irait “dans le bon sens”, même si aujourd’hui, les seuls faits concernés sont les crimes contre l’Humanité. “Les crimes contre l’enfant, ce sont les crimes contre l’Humanité de demain”, nous dit Pascal Cussigh, pour qui l’imprescriptibilité est “défendable” en la matière.
Les assos veulent plus de moyens
Mais au-delà de ces débats juridiques, toutes les associations plaident pour des crédits supplémentaires alloués à la formation, au recrutement de psychologues ou de juristes, un des meilleurs moyens de combattre le fléau des violences sexuelles commises sur les enfants. “Il faut maintenant penser à la façon dont ces changements vont être appliqués devant les tribunaux”, avance le secrétaire du Collectif pour l’enfance, ajoutant: “si la victime se retrouve avec un beau texte de loi, mais pas de magistrat pour le faire appliquer, on ne sera pas plus avancé.”
Anne-Marie Lemoigne de l’association “le Monde à travers un regard” pointe, comme l’avocat, un manque de moyen matériel et humain dédié à la cause, avec l’exemple éloquent d’une victime ayant porté plainte en novembre 2012 et dont l’instruction est toujours en cours. “Le tribunal de Pontoise est débordé”, nous dit-elle, désabusée par cette lenteur judiciaire qui “réactive les traumatismes.
”Maintenant le gouvernement doit vraiment appuyer pour faire des formations, améliorer celle des médecins, infirmiers et psychologues”, plaide de son côté Françoise Cosson de l’association REVIS, martelant l’importance d’“une prise en charge spécifique en terme de soin pour les victimes d’inceste”, qu’ils soient enfant ou adulte. “Souvent les conséquences sont terribles pour les adultes. Ils se retrouvent dans une position de précarité complète, et n’ont pas les moyens financiers pour suivre une thérapie. Et nous on sait que sans thérapie on ne s’en sort pas”, explique-t-elle.
La route apparaît ainsi encore très longue, derrière la satisfaction de voir le politique prendre ces sujets à bras le corps. Mais le temps presse face à ce que Pascal Cussigh qualifie de “crime de masse.” Selon le décompte du Collectif pour l’enfance un viol ou une tentative de viol est commis, en France, toutes les heures sur un mineur.
À voir également sur Le HuffPost: #Metooinceste: elle témoigne après avoir accusé son ancien directeur de centre aéré à Paris