Écrire de manière plus égalitaire sans l'écriture inclusive, c'est possible!
“L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on ne le croit, à l’omission du féminin dans le Code civil. L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. N’est-ce pas à force de prononcer certains mots qu’on finit...
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“L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on ne le croit, à l’omission du féminin dans le Code civil. L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. N’est-ce pas à force de prononcer certains mots qu’on finit par accepter le sens qui tout d’abord heurtait?” À la fin du XIXe siècle, Hubertine Auclert, féministe, pionnière du vote des femmes en France, posait déjà les termes d’un débat récurrent, toujours aussi vivant que la langue française elle-même.
Aujourd’hui, le féminin s’est invité dans le dictionnaire, n’en déplaise à l’Académie française qui s’entête (“on dira, une femme auteur, avocat, docteur, peintre, professeur”) et à ses représentants qui, même décédés, continuent de hanter le débat –l’article de Jean-François Revel sur la féminisation des noms fleurissant à intervalle régulier sur les réseaux sociaux, au gré des polémiques irriguant, pourtant bien pauvrement, le débat.
Ce débat est encore, ces derniers jours, de retour dans les médias, suite à une demande du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, de cesser d’utiliser le point médian à l’école. Le point médian, c’est ce signe typographique qu’on peut ajouter, à l’écrit, pour marquer l’usage conjoint du féminin et du masculin pour un mot, incluant donc le féminin et réfutant le côté “neutre” du masculin. C’est le “che.res collègues” de début de courriel, à moins que l’on ne s’adresse à des “acteur.ices” ou à des “professionnel.les”.
Ce tout petit point soulève beaucoup d’émotions, de part et d’autre des réseaux, révélant des prises de positions radicales, autant qu’une grande confusion sur ce dont il est question. À entendre certains défenseurs du point médian, toute personne qui y serait opposée serait tiède par rapport à l’égalité femmes-hommes et à droite, voire à l’extrême-droite, poussée, en tout cas, par un traditionalisme aveugle aux évolutions de l’époque. Pour ces délateurs, le point médian serait un symptôme d’une volonté d’appauvrir la langue tout en la rendant incompréhensible, volonté, pour quelques-uns, d’effacer les différences “naturelles” entre hommes et femmes se révélant dans la langue. Il faudrait donc garder la langue pure, telle qu’elle l’aurait toujours été.
À défaut de point, on peut malgré tout choisir de suivre une ligne médiane, et défendre avec pugnacité l’égalité femmes-hommes, même dans la langue, sans avoir recours à lui.
Avant la création de l'Académie française, la féminisation des fonctions semblait bien moins effrayante, tout comme certains usages comme l’accord de proximité, visant à accorder, en genre et en nombre, l’adjectif avec le nom le plus proche.
La langue inclusive, qu’on appelle également épicène (c’est-à-dire qui sert à désigner l’espèce non sexuée, et par extension, un mot qui s’utilise aussi bien au féminin qu’au masculin) a pour but de faire participer le langage à la lutte contre les inégalités, contre les stéréotypes et les discriminations, à la fois en rendant visible, par les mots, la présence des femmes, et en proposant une langue moins binaire et plus universelle. Bien entendu, tout cela ne tient pas uniquement dans un point. L’usage du point médian n’est qu’une méthode parmi d’autres pour tendre à une langue épicène.
Dans un document très complet, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes donne dix recommandations pour un langage inclusif. Parmi elles, on retrouve l’idée “d’user du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous et toutes”, la féminisation des noms de métiers, de fonctions, titres et grades ou encore l’usage de l’ordre alphabétique dans les énumérations. On est loin d’une révolution mortifère de la langue, et on peut tout à fait suivre ces conseils sans utiliser le point médian de manière systématique.
Les voix que l’on entend s’exprimer contre l’écriture inclusive vont en général mettre en exergue le point médian, comme repoussoir aux évolutions. Ce sont les mêmes qui pendant longtemps, et encore maintenant, bien que le combat semble être d’arrière-garde, se sont opposés à la féminisation des noms. Hélène Carrère d’Encausse enjoignait les ministres à ne pas utiliser ce qu’elle considérait être un “contre-sens grammatical”. D’autres craignaient une dévalorisation des fonctions ou métiers si on les féminisait. On trouvait ainsi des femmes tenant à être “sénateur”, “président” ou “directeur”, comme si le titre était ainsi plus prestigieux, et les protégeait du jugement. Cela va, bien entendu, contre le bon sens et, assez spontanément, on accorde le genre de la personne et son titre, ne lui en déplaise.
L’argument ultime, en la matière, est donc de se cacher derrière la pureté de la langue, conservée intacte par les bons soins de l’Académie française. C’est oublier la grande richesse du féminin, avant que l’Académie, créée en 1634, ne canalise la langue, sectionnant les pans qui ne convenaient pas à la quarantaine d’hommes y siégeant. La féminisation des fonctions, alors, semblait bien moins effrayante, tout comme certains usages grammaticaux très libres, dont on pourrait s’inspirer aujourd’hui, comme l’accord de proximité, visant à accorder, en genre et en nombre, l’adjectif avec le nom le plus proche. La langue est une matière vivante, peu encline à être totalement canalisée et qui reflète les époques. Il est évident que nous ne parlons ni n’écrivons plus comme au XVIIe siècle, ce qui est finalement un atout, dans notre république, pour favoriser les échanges et assurer la bonne compréhension entre tous. La langue française est suffisamment solide pour poursuivre son évolution, tant qu’elle reste compréhensible et fluide pour tous.
Peut-être faut-il ici en appeler au bon sens. Pour que la langue inclusive joue utilement son rôle en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, il faut qu’elle soit utilisée par le plus grand nombre, et soit donc facile d’accès. Elle doit être compréhensible et permettre une équivalence entre l’oral et l’écrit. Nous l’avons vu, la langue épicène est loin de s’en tenir au point médian, dont l’usage est compliqué et la lecture peu fluide, même si l’intention est louable. La féminisation des métiers, grâce aux médias, grâce aux femmes qui ont assumé de féminiser leurs fonctions, grâce aux lois interdisant la discrimination dans les embauches, aussi, est en bonne voie d’aboutir. C’est un progrès majeur. Le mot n’est plus un frein pour se projeter sur un métier.
On peut encore progresser sur bien des sujets. Ainsi, l’usage de l’ordre alphabétique –rien de révolutionnaire!– peut être remis au goût du jour pour lutter contre un principe de supériorité du masculin sur le féminin. On causera par exemple de Marie et Pierre Curie, et d’égalité femmes-hommes, tout simplement parce qu’on fait primer la froide logique alphabétique. On peut aussi choisir les mots que l’on emploie, piochant dans la richesse de la langue française des mots moins genrés. Les “droits humains” n’en sont pas moins puissants si on dépasse le terme “d’homme”, mais ils sont plus fédérateurs. Enfin, on pourrait aussi privilégier les formes longues, allant à l’encontre d’un soi-disant gain de temps tenant de l’écriture texto, en accolant masculin et féminin dans la phrase, et non dans le mot: “les acteurs et actrices, chers et chères collègues”… Cela ne coûte pas grand-chose, et c’est juste une question d’habitude.
Bien sûr, on peut y voir une révolution à petits pas. Mais l’acceptation sociale est à ce prix et elle est aussi importante, et sans doute de plus longue portée, que la liberté, pour celles et ceux qui le souhaitent, d’utiliser le point médian.
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