Élections régionales et départementales: pourquoi les machines à voter posent un problème démocratique

Dimanche, plus d’un million d’électeurs devront, s’ils veulent voter, procéder par l’intermédiaire d’une “machine à voter”. Il s’agit d’une forme de vote électronique: les “machines à voter” sont des ordinateurs qui reçoivent les intentions...

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Un électeur clique sur un bouton pour voter avec une urne électronique, le 22 avril 2012, à Mulhouse, dans l'est de la France, dans le cadre du vote du 1er tour de l'élection présidentielle. (Photo SEBASTIEN BOZON/AFP via Getty Images)

Dimanche, plus d’un million d’électeurs devront, s’ils veulent voter, procéder par l’intermédiaire d’une “machine à voter”. Il s’agit d’une forme de vote électronique: les “machines à voter” sont des ordinateurs qui reçoivent les intentions de vote des électeurs pour, en fin de journée, énoncer des résultats électoraux. Il n’y a plus de décompte public des suffrages, il n’y a plus de scrutateurs.

Un million d’électeurs exposés aux bugs et procédures informatiques incontrôlables lors du vote

Un problème majeur est qu’il est impossible, sans violer le secret du vote, de contrôler si un ordinateur de vote a bien enregistré ce qu’a choisi l’électeur. Comme le respect du secret du vote est un principe fondamental, il n’y a de fait aucune certitude que les résultats énoncés soient justes.

En 2021, rares sont les personnes qui n’interagissent pas quotidiennement avec des ordinateurs, en particulier via des applications sur leur téléphone mobile. La plupart ont été exposés à d’importants bugs, visibles ou non. Les bugs sont malheureusement apparus avec les ordinateurs, bien avant qu’ils soient connectés à Internet. Ils ne sont pas tous dus à internet. Les expertises ne sont pas en mesure de détecter tous les bugs (si c’était le cas, il y a longtemps qu’il n’y en aurait plus).

 

Pour toutes les élections, les écarts mesurés dans les bureaux de vote avec machine à voter sont plus importants que dans les bureaux de vote à l’urne.

 

Il arrive que les médias se fassent l’écho de bugs qui concernent des aspects essentiels de la vie. Chacun se souvient du bug informatique de la semaine dernière qui a empêché l’accès aux numéros d’urgence. Les exemples plus anciens ne manquent pas. C’est ainsi qu’en 2017 tous les pilotes d’American Airlines avaient été mis en congé pour Noël. La vie des particuliers est parfois gravement affectée: en mai dernier, par exemple, un bug a affecté l’attribution des aides au logement de 2300 habitants de la Loire-Atlantique (dossiers bloqués, allocations non versées) parfois déjà en situation de précarité.

Ces situations disparates ont un point commun: des personnes se sont rendu compte que quelque chose ne fonctionnait pas. 

En revanche avec une machine à voter, à moins que les résultats ne soient absurdes (aucun vote enregistré, ou davantage de votes que d’électeurs inscrits, par exemple), il n’existe aucun moyen de se rendre compte d’un éventuel problème. Si, dans une élection, un bug échange le score de deux candidats à 49 et 51%, cela restera indétectable et les électeurs seront sommés d’accepter ce résultat. Il ne peut jamais être exclu qu’un bug ait modifié le sens de certains votes… Et donc changé l’issue de l’élection.

Depuis 2007 d’importants écarts entre votes et émargements sont constatés dans les bureaux de vote électronique

Depuis 2007, après chaque élection, L’Observatoire du vote mène une enquête nationale pour évaluer la précision des bureaux de vote où est pratiqué le vote électronique. Il est certes impossible de vérifier que les suffrages vont bien au candidat qu’a choisi un électeur, mais il est possible de vérifier qu’il y a bien autant de votes que d’émargements car les émargements sont recueillis de manière habituelle, par la signature d’un registre qui, lui, n’a pas été informatisé.

En pratique, dans tous les bureaux de vote, les quantités de votes d’une part et d’émargements d’autre part doivent être identiques. Pourtant des écarts sont observés: parfois il y a une ou deux voix en trop, parfois ce sont au contraire des suffrages qui sont manquants par rapport au nombre des émargements. Ces écarts sont faibles, mais ils sont mesurables.

L’Observatoire du vote déploie ses études en comparant les écarts entre votes et émargements dans les bureaux de vote équipés de machines à voter avec ceux où les électeurs votent en glissant un bulletin dans une urne transparente. À chaque fois l’étude rassemble les données communiquées par plusieurs centaines de communes où ont voté des millions d’électeurs.

Les résultats obtenus sont étonnants: pour toutes les élections, sans exception, les écarts mesurés dans les bureaux de vote avec machine à voter sont plus importants que dans les bureaux de vote à l’urne. Ainsi, pour les dernières élections municipales de 2020, les écarts sont 3,4 fois (1er tour) à 3,9 fois (second tour) plus élevés quand il y a vote électronique par rapport au vote à l’urne. Les études concernant les élections antérieures, librement consultables en ligne, donnent des résultats similaires. Parfois, les membres du bureau de vote signalent qu’un électeur a oublié de signer, ou bien qu’un autre a voté deux fois, mais la grande majorité de ces écarts reste inexpliquée.

Contrairement aux affirmations des maires concernés, des pannes affectent visiblement des machines à voter

En sus, le dépouillement de ces données permet de constater qu’il y a des pannes entraînant parfois des retards d’ouverture des bureaux de vote ou des remplacements de machines.

Avec le temps, le ministère de l’intérieur a progressé dans sa connaissance des difficultés et limites du vote électronique. Ainsi, dans sa circulaire relative à l’usage des machines à voter pour les prochaines élections régionales et départementales, le ministère propose une conduite à tenir en cas de “difficultés mineures” ou “persistantes”. Toutefois la solution proposée (faire intervenir un réparateur d’une société privée) ne permettra pas la correction de données erronées tout en introduisant, par l’intervention d’un tiers, des failles de sécurité supplémentaires. 

 

Dans sa circulaire relative à l’usage des machines à voter pour les régionales et départementales, le ministère propose une conduite à tenir en cas de “difficultés mineures” ou “persistantes”.

 

À l’inverse, on n’imagine pas qu’une urne transparente puisse tomber en panne, ou qu’une société privée intervienne sur l’urne en cours d’élection ou effectue le dépouillement à la place des électeurs et en l’absence de scrutateurs.

L’expérience du vote électronique a maintenant duré près de 15 ans et a permis de constater une précision moindre, une fragilité accrue et une absence totale de transparence empêchant quiconque de vérifier la justesse des résultats.

En Europe, la Hollande a fait utiliser des machines à voter pour 90% de sa population pendant 15 ans avant de revenir complètement au vote à l’urne. La Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a absolument interdit l’usage de tels dispositifs de vote électronique en Allemagne en raison de leur opacité. Après une enquête fouillée, l’Irlande n’a jamais utilisé les milliers de machines à voter qu’elle avait achetées.

La France, elle, n’a toujours pas tiré profit de l’expertise de ces pays très avancés technologiquement et dont les décisions sont conformes à l’état actuel des connaissances scientifiques et de la nécessaire transparence des techniques de vote dans un état garant des libertés et de la démocratie. Mais il faut rappeler que dans notre pays, une science indépendante des lobbies peine à trouver son chemin jusqu’aux élus et aux électeurs.

 

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