Élections régionales: le fief de Mitterrand prêt à tomber aux mains du RN

POLITIQUE - On la distingue à peine, la route d’origine sous les plâtras de bitume, cache-misère. C’est la D978, elle relie Nevers, dans la Nièvre, à sa sous-préfecture Château-Chinon. De longues lignes droites, baignées d’un soleil généreux,...

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Dépité, le fief de Mitterrand prêt à tomber aux mains du RN Photo prise sur les hauteurs de Château-Chinon en 2014

POLITIQUE - On la distingue à peine, la route d’origine sous les plâtras de bitume, cache-misère. C’est la D978, elle relie Nevers, dans la Nièvre, à sa sous-préfecture Château-Chinon. De longues lignes droites, baignées d’un soleil généreux, qui fendent champs et forêts aussi vastes que vertes. Comme partout ailleurs dans le coin, une ombre plane dans l’air: François Mitterrand, l’ancien président de la République dont la départementale esquintée emprunte le nom. 

“C’est ça aussi son héritage. Il ne voulait pas que le Morvan soit trop accessible”, s’amuse Dominique Boulenger, patron de l’un des trois bars de la commune aux deux mille âmes, plus enclin à s’épancher sur le charme de son pays que sur les élections régionales des 20 et 27 juin prochains, quand on l’interrompt dans sa journée de travail de 15 heures. Comme sur l’ensemble du territoire, le fief historique de l’ancien président de la République redoute une démobilisation générale à l’heure où le Rassemblement national fait de la Bourgogne-Franche-Comté l’une de ses cibles.

“Ah oui, mais c’est dans dix jours!”, s’étonne une femme d’un certain âge, retraitée, en discutant avec une amie devant les affiches des différents candidats placardées sur des panneaux en bois le long de la rue principale de “Château”. Elles n’ont pas prévu de se rendre jusqu’aux urnes. 

Sur la région, les gens ne croient plus en grand-choseChantal-Marie Malus, maire de Château-Chinon

“Pour quoi faire?”, répondent-elles en chœur et en écho à ce jeune homme, juste majeur, qui ne se déplacera pas non plus. “On s’en fout des élections”, lance-t-il, rigolard, ses lunettes de soleil remontés sur le crâne, au moment de régler son addition, joyeux comme un étudiant au mois de juin, quand on tente une question sur le scrutin au patron du “Montana.”

Les affiches électorales placardées dans la rue principale de Château-Chinon

D’autres joueront bien sûr le jeu, comme à chaque élection, sans hésitation, ni espoir non plus. Un point semble commun aux discussions: une forme d’indifférence au mieux, d’aigreur, au pire, à l’égard de la classe politique actuelle locale comme nationale.

Preuve de cette forme de désamour, la nouvelle édile de Château-Chinon s’est présentée sans étiquette en 2020 face au maire-adjoint sortant pour rompre avec plus de soixante ans de gestion estampillée socialiste. “Sur la région, les gens ne croient plus en grand-chose”, nous dit Chantal-Marie Malus depuis son petit bureau aux rideaux partiellement tirés pour éviter que le soleil plombant ne surchauffe davantage la pièce. “Il y a une forme de désespérance ici, à tel point que la mobilisation des gilets jaunes n’a pas pris dans le département en 2018, même si beaucoup de gens sont désormais anti-politique”, explique l’édile de 62 ans, venue de la société civile.

Il faut dire que les griefs sont multiples quand on s’enfonce dans le cœur du Morvan. Plus au Nord, à une trentaine de kilomètres de la sous-préfecture, dans le village de Gouloux, 180 habitants, presque autant de lacets pour y accéder. Gaëlle Cuchet dessine un portrait nuancé de son pays: riche, généreux, mais abandonné. La mère de famille travaille depuis trente ans dans la “saboterie Marchand”, fierté locale fondée par un intime de Mitterrand en 1947. Et si elle compte bien voter le 20 juin prochain, elle ne sait pas encore pour qui. Une chose est sûre: “la région mérite mieux que les élus actuels, ou alors il faut qu’ils se bougent!” 

Nos représentants doivent prendre conscience qu’on a encore des endroits sans internet, je ne cause même pas des routes abîmées, les jeunes sont inquiets pour leur avenir...Gaëlle Cuchet, une habitante du Morvan

“Nos représentants doivent prendre conscience qu’on a encore des endroits sans internet, je ne cause même pas des routes abîmées, les jeunes sont inquiets pour leur avenir, je ne sais pas où envoyer les gens manger au lac des Settons...”, énumère-t-elle, désespérée de voir les restaurants fermer tour à tour sur les rives de ce joyau touristique pour pêcheurs ou promeneurs.

Comme un peu partout ailleurs, le souvenir de François Mitterrand s'affiche au fond de la saboterie Marchand, à Gouloux, dans la Nièvre quelques jours avant le 1er tour des régionales.

D’autant que les craintes et sujets de ressentiment vont au-delà de ces questions sociales ou économiques. Elles s’expriment bien souvent à mot couvert, anonymement, sur les routes ou dans les bistrots du Morvan. Ici, on nous cause du vol de 26 agneaux dans un pré. Là, c’est la disparition d’une antenne météo onéreuse qui courrouce un exploitant agricole, comme un écho aux thèmes qui rythment l’agenda politique national. Chantal-Marie Malus cause, elle, d’une nouvelle “forme d’incivilité” dans la région: le ramassage scolaire est souvent à l’arrêt à cause du comportement de certains usagers, des “enfants mal-élevés, agressifs vis à vis les chauffeurs, qui n’hésitent pas à monter dans les bus avec bières et cigarettes.”

“Ces jeunes, on les compte sur les doigts des deux mains”, coupe court Dominique Boulenger du “Montana”, trop heureux de voir sa terrasse garnie d’étudiants en goguette, juste sortis de leurs journées de cours, et de motards venus profiter des routes ensoleillées du massif. 

Mais quand bien même, cette quiétude apparente n’empêche pas la montée en puissance de l’extrême droite dans la région. “Il y a beaucoup de petites communes dans le cœur du Morvan qui tournent Front national”, constate, amer, l’ancien propriétaire du Vieux Morvan, cet hôtel devenu mythique à Château-Chinon pour avoir accueilli François Mitterrand le soir de ses victoires électorales, de 1959 au 10 mai 1981.

Ils étaient des villages martyrs de la guerre et maintenant ça vote Front national...? C'est incompréhensible.Bernard Menuel, ancien propriétaire du Vieux Morvan à Château-Chinon

“En plus de ça, ce sont des villages qui ont le plus souffert pendant la Seconde guerre mondiale. Moux-en-Morvan, Dun-les-Places: des villages martyrs! Et maintenant, ça vote Front national...? C’est incompréhensible”, s’agace encore Bernard Menuel, avec colère et déception, entre deux cuillères de glace.

“D’une terre rose, voire rouge, les gens sont en train de passer au bleu marine”, confirme Chantal-Marie Malus, désabusée, à l’heure où Julien Odoul, le candidat du Rassemblement national, est donné seulement trois points derrière la présidente de région sortante, Marie-Guite Dufay (PS), au second tour en Bourgogne-Franche-Comté, selon un récent sondage  Ipsos Sopra Steria.

Pendant ce temps, le buste de “Tonton” trône toujours sur les hauteurs de Château-Chinon, comme s’il veillait sur son écrin émeraude. La route du Morvan, et ses charmes, s’échappe au loin, sans que l’on sache comment, François Mitterrand, depuis les forces de l’esprit, vivrait ce possible basculement. 

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