Emmanuel Macron, la grande tergiversation face à la France qui n'en peut plus

Si l’année dernière à la même période nous rentrions dans le “Grand confinement”, l’époque que nous traversons désormais ressemble davantage à celle de la “grande tergiversation. Depuis quelques semaines le président, au grand dam de la communauté...

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Le président Emmanuel Macron et le ministre de la Santé Olivier Véran s'entretiennent avec le chef du service de réanimation le docteur Jan Hayon et le personnel soignant du service de réanimation de l'hôpital de Poissy Saint-Germain-en-Laye, à Poissy, près de Paris, le 17 mars 2021. (Photo by YOAN VALAT/POOL/AFP via Getty Images)

Si l’année dernière à la même période nous rentrions dans le “Grand confinement”, l’époque que nous traversons désormais ressemble davantage à celle de la “grande tergiversation. Depuis quelques semaines le président, au grand dam de la communauté scientifique, hésite à mettre en place les mesures sanitaires les plus drastiques malgré des indicateurs épidémiologiques qui virent à l’écarlate dans un nombre croissant de régions. C’est en ce sens que peuvent se lire les mesures annoncées par le Premier ministre jeudi soir, laissant, même dans les zones les plus touchées, une liberté de circulation bien plus importante que celle accordée lors des précédents confinements. 

 

C’est bien la prise en compte de l’état de l’opinion publique qui explique la nouvelle stratégie du “freiner sans enfermer”.

 

Mais si les décisions du président et du gouvernement ne sont pas dictées par des motifs purement sanitaires –tant les seuils d’alerte reculent à mesure que l’épidémie progresse–, elles ne sont pas pour autant irrationnelles. Elles tentent surtout de s’adapter à la réalité sociale et politique du pays qui s’est transformée au cours des dernières semaines. C’est bien la prise en compte de l’état de l’opinion publique qui explique la nouvelle stratégie du “freiner sans enfermer” chère au Président. Et à ce niveau, force est de constater que la défiance des Français pose au gouvernement une problématique majeure.  

Le cocktail détonnant de la défiance et de la lassitude 

Souvent laissée de côté en période ordinaire, la question de la confiance des citoyens dans leurs institutions et leurs représentants a refait son apparition depuis le début de l’épidémie. Jusqu’à l’hiver, les pays faisant état de niveaux de confiance institutionnels abyssaux ont misé sur des mesures coercitives pour faire face à l’épidémie. Ces mesures y ont été moins bien respectées que dans les pays à plus haut niveaux de confiance et cela s’est soldé par une mortalité plus importante et, logiquement, par une insatisfaction dans la gestion gouvernementale de la crise[i]. Or, lors des dernières décennies, la confiance des Français dans leurs institutions et représentants politiques n’a cessé de décliner pour atteindre des niveaux aujourd’hui très faibles. À titre d’exemple seulement 16% des Français déclarent aujourd’hui avoir confiance dans les partis politiques et 37% dans l’institution présidentielle[ii]. 

Si les deux premières vagues épidémiques furent donc gérées en France à l’aide de mesures fortement coercitives (confinement strict, couvre-feu, attestation dérogatoire de déplacement…), le gouvernement se trouve désormais confronté à la lassitude manifeste des Français face à ce type de mesures. Dans le dernier baromètre de la confiance politique du Cevipof, le pessimisme ambiant était sans appel: la morosité (34%) et la lassitude (41%) ont bondi en l’espace d’un an, au point de caractériser désormais le mieux l’état d’esprit des Français.  

 

La morosité (34%) et la lassitude (41%) ont bondi en un an, au point de caractériser le mieux l’état d’esprit des Français.

 

Or cette combinaison de la défiance structurelle des Français et de cette lassitude accumulée au fil des semaines crée une situation explosive pour le gouvernement. Alors qu’en octobre dernier 67% des Français se disaient favorables à un confinement pour faire face à la seconde vague, ce chiffre tombe désormais au-dessous des 40%[iii]. Pire, la contestation de ces mesures sanitaires n’a pas seulement connu une augmentation, elle se radicalise également. Ainsi, c’est près d’un tiers des Français qui se disent “tout à fait opposés” à des mesures telles que l’extension au niveau national d’un couvre-feu le week-end ou la mise en place d’un confinement national à l’image de celui de l’automne dernier. Et ceci est vrai même auprès des Français qui vivent dans les zones concernées par le confinement adapté qui deviendra effectif en cette fin de semaine. 

Une question générationnelle et politisée 

L’opposition aux mesures sanitaires, telles qu’un couvre-feu étendu le week-end ou un confinement généralisé fait ressortir deux fractures importantes au sein de la société à l’égard de cet enjeu. Une fracture générationnelle d’une part, les jeunes étant beaucoup moins prêts à accepter ce type de restrictions que leurs aînés, ils sont ainsi 68% à se déclarer opposés à un nouveau confinement. Et, même auprès des plus de 65 ans chez qui le risque du virus est le plus palpable, moins de la moitié souhaitent un durcissement des restrictions en cours. Avec l’avancée de la campagne de vaccination, le risque apparaît sans doute moins fort pour les plus âgés. 

D’autre part, la question du confinement semble s’être plus fortement politisée à mesure que la crise perdure. Cette fracture politique est manifeste tant les mesures sanitaires les plus fermes sont mieux perçues du côté des proches du parti présidentiel. Néanmoins, même dans ces derniers bastions, Emmanuel Macron souffre largement de la combinaison de la lassitude et du manque de confiance face à la stratégie sanitaire choisie. Désormais, une majorité des proches de La République En Marche s’oppose également aux mesures de confinement! 

Le souvenir des gilets jaunes dans un coin de la tête  

Un an après son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron avait été confronté avec les “gilets jaunes” à une des crises sociales les plus marquantes de la Cinquième République. Plus qu’une contestation d’une simple taxe sur les carburants, ce mouvement avait montré que la défiance envers les institutions et les élites politiques pouvait s’exercer in concreto et de manière extrêmement virulente.  

 

En période de crise, la situation des gouvernements confrontés à des niveaux de défiance extrêmes est intenable, tant ce qui est souhaitable d’un point de vue scientifique et ce qui est possible d’un point de vue politique diffèrent.

 

La crise sanitaire n’a certes pas entraîné en France de contestations vigoureuses: les mouvements “anti-masques” ou contre les mesures sanitaires sont restés sporadiques dans notre pays, contrairement à ce que l’on a pu constater en Allemagne ou aux Pays-Bas, des pays à la tradition libérale plus enracinée. Pourtant le président de la République sait bien que le terrain contestataire est beaucoup plus fertile en France qu’il ne l’est chez ces deux voisins européens. Dans ces conditions, l’exécutif se doit de composer en permanence avec la masse de “défiants”, multipliant les gages de bonne foi aux sympathisants des “anti-vax”, quitte à mener une campagne de vaccination particulièrement lente, puis à suspendre temporairement le vaccin AstraZeneca ce qui a contribué à endommager un peu plus la confiance déjà fragile dans ce vaccin. Au-delà, en usant de tous les stratagèmes pour éviter un nouveau confinement, quitte à susciter l’ire de tous les professionnels de santé... L’exécutif a ainsi bien saisi que le mélange de la défiance et de la lassitude dans la population constituait une poudrière et craint que chaque nouvelle décision ne soit l’allumette qui vienne enflammer la plaine.  

Démocratie et épidémie : un pari centriste? 

En période de crise, la situation des gouvernements confrontés à des niveaux de défiance extrêmes est intenable, tant ce qui est souhaitable d’un point de vue scientifique et ce qui est possible d’un point de vue politique diffèrent à mesure que les semaines de crise s’écoulent. La crise du Covid-19 touche aux limites de notre système démocratique, et le gouvernement qui tient toute sa légitimité des citoyens ne peut faire autrement que de prendre en compte cette demande populaire vers plus de souplesse, tout en évitant la catastrophe sanitaire. C’est en ce sens que doit se comprendre la stratégie du “fermer sans enfermer”, qu’ont présenté jeudi soir Jean Castex et Olivier Véran, et qui tente, à l’image du macronisme, de tenir une ligne médiane entre les grandes alternatives possibles. Mais un pari centriste est-il suffisant ou même souhaitable pour vaincre une épidémie qui a terrassé près de 100.000 de nos concitoyens? 

À force de ne pas prendre aux sérieux dans les périodes ordinaires les problèmes structuraux qui touchent notre démocratie française, notamment la faible représentativité des équilibres politiques au sein des institutions, le peu de mécanismes de contrôles directs des citoyens sur la conduite des affaires nationales, etc., ces maux surgissent avec d’autant plus de virulence dans les périodes de crise. Il est ainsi impératif que les gouvernements mettent toute leur force à recréer un lien de confiance entre les gouvernants et les gouvernés, en répondant notamment à l’exigence de contrôle et de représentation qui grandit chez la plupart des Français. Sans cela, la désobéissance tant redoutée deviendrait réelle. Jeudi en France le hashtag #jenemeconfineraipas figurait dans les tendances les plus populaires sur Twitter.

 

[i] Toutes ces analyses sont développées dans Antoine Bristielle, À qui se fier ?, Éditions de l’Aube, 2021.

[ii] Baromètre de la confiance 2021, Cevipof & Fondation Jean-Jaurès

[iii] Sondage Elabe pour BFMTV, Mars 2021

 

A voir également sur Le HuffPost: L’intégralité de la conférence de presse Covid de Jean Castex du 18 mars 2021