En 2021, les enjeux de Cannes sont ceux du cinéma français : l’édito de Jean-Marc Lalanne
L’éclipse n’a duré qu’un an, ne fut pas totale (puisqu’une sélection 2020, sans festival live, fut aménagée), et pourtant, le Festival de Cannes semble se recomposer depuis les limbes. L’édition 2019, celle où triomphait Parasite de Bong Joon-ho,...
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L’éclipse n’a duré qu’un an, ne fut pas totale (puisqu’une sélection 2020, sans festival live, fut aménagée), et pourtant, le Festival de Cannes semble se recomposer depuis les limbes. L’édition 2019, celle où triomphait Parasite de Bong Joon-ho, nous paraît déjà bien lointaine. Comme si de fait, le chaos qui a suivi et privé le printemps 2020 de festival nimbait le souvenir du dernier Cannes d’une nuance d’irréalité. Comme l’image d’un monde perdu qui ne sera jamais conformément retrouvé.
À bien des égards pourtant, cette édition 2021 nous rend celle, évanouie, de 2020. D’abord, ses films les plus attendus, puisque certains d’entre eux avaient déjà été sélectionnés il y a un an et ont préféré attendre en apnée l’année suivante. C’est le cas de Benedetta de Paul Verhoeven, Bergman Island de Mia Hansen-Løve, Memoria d’Apichatpong Weerasethakul et, bien sûr, Annette, le flamboyant opéra pop de Leos Carax et de Sparks, intensément attendu depuis plus d’un an – mais c’est le propre de Carax, 6 longs métrages en 37 ans, de se faire éternellement attendre. Cette année, il ouvre donc le festival.
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Deux mondes disjointsCe sera l’un des paradoxes de cette édition : les films qui y seront présentés ont été conçus à des moments totalement disjoints, certains avant l’épidémie, d’autres après. Certains ont été tournés en 2019, et d’autres début 2021. Certains nous viennent d’un monde où les mots “confinement” et “distanciation” avaient un sens encore tout autre, et d’autres (comme Journal de Tûoa de Miguel Gomes ou Tralala des frères Larrieu) montrent des personnages portant des masques. Cela pourrait créer un asynchronisme, le sentiment que tous les films ne nous causent pas du même monde. Ce serait négliger que c’est le propre du cinéma d’avoir souvent un coup d’avance et d’inclure dans ses films, sur un mode divinatoire, un présent qui n’est pas encore advenu. Pour preuve, le Benedetta de Verhoeven, tourné il y a 2 ans et décrivant une société médiévale, ne cause que de catastrophe sanitaire, de frayeur épidémiologique et de claustration de toute une ville pour se préserver de la contamination. Bien joué. Le court-circuit avec le monde d’après est assez sidérant.
Nous aussi, festivaliers et festivalières, comme certains personnages sur l’écran et comme la plupart des spectateur·trice·s dans des salles ailleurs dans le monde, porterons des masques devant les films. Et ce n’est qu’un point parmi d’autres d’un protocole sanitaire strict qui, du contrôle de la vie nocturne à l’obligation d’un passeport vaccinal ou de tests toutes les 48 heures, donnera à cette édition un tour tout à fait inédit – auquel s’ajoute aussi le glissement calendaire de la manifestation passée de mai à juillet. La faune festivalière, qui jusque-là ne partageait son territoire qu’avec la population cannoise sédentaire (pas forcément tout le temps sous les meilleurs auspices, les seconds étant souvent exaspérés par les 1ers), va se mélanger cette fois avec celle des juillettistes de la Côte d’Azur, ce qui augure d’un peu plus d’engorgements de toutes sortes et de paralysie urbaine pour surpopulation. Ce changement de dates a un autre effet d’embouteillage (médiatique, celui-là) : faire se jouxter les deux manifestations culturelles les plus prestigieuses de France, contraignant les médias généralistes à jongler acrobatiquement avec la couverture de Cannes et celle du Festival d’Avignon (au risque, parfois, de libérer moins d’espace pour l’un ou pour l’autre). Au moins, la France est sortie de l’Euro, et la concurrence avec les retransmissions de matchs sera peut-être un peu moins dure pour les films.
Une forte pressionÀ l’image du monde dans lequel nous sommes entré·e·s depuis la pandémie, Cannes aura donc cette année quelque chose d’inconnu et instable. Et pourtant, en dépit de cette fragilité, l’enjeu stratégique est peut-être plus essentiel que jamais. La pression mise sur le festival est vraiment très forte. Et malgré les plutôt bons scores de la fête du cinéma, la fréquentation a connu quelques signes de faiblesse entre ces deux pôles de l’industrie. Le cinéma français mise tout sur les jours à venir. Côté marché de masse, Black Widow, avec Scarlett Johansson, devrait dès le 7 juillet ramener vers les multiplexes un grand public amateur de blockbusters stupéfiants éparpillé sur les plateformes. Côté cinéma d’auteur, une dizaine de films a pris le pari de sortir durant une période réputée peu favorable à l’art et essai (juillet) en comptant sur la caisse de résonance cannoise.
Cette semaine, c’est donc Annette de Leos Carax et Benedetta de Paul Verohoeven, deux films incarnant par leur profil de production (gros budgets, castings de stars, réalisateurs de légende) le potentiel public maximal du cinéma d’auteur, qui entrent dans l’arène. On ne peut qu’espérer qu’ils initieront une dynamique profitable dont pourront profiter par la suite Bergman Island de Mia Hansen-Løve, Titane de Julia Ducournau (l’autrice de Grave, dont le second long métrage est annoncé comme l’un des films chocs du festival), Journal de Tûoa de Miguel Gomes ou Onoda d’Arthur Harari.
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Il faut dire que la sélection officielle a mis tous les atouts de son côté pour être l’événement de cinéma quasi exclusif de l’année. En multipliant les sections, l’équipe dirigée par Thierry Frémaux semble n’avoir voulu laisser personne dehors. La compétition, catégorie la plus exposée médiatiquement, comprend légèrement plus de films que les années précédentes (24 contre 21 en 2019 et 2018). Et elle est entourée de plus de catégories de complément que jamais : des séances hors compétition ratissant assez large du côté de la production grand public (Bac Nord, le polar de Cédric Jimenez ; Aline, le biopic de Céline Dion réalisé par Valérie Lemercier, le nouveau OSS signé Nicolas Bedos…) ; des séances de minuit où se côtoient la comédie musicale des frères Larrieu et Suprêmes, le biopic sur NTM ; et surtout, une nouvelle section intitulée Cannes 1ère, comprenant pas moins de 13 films signés par des cinéastes pour la plupart déjà sélectionné·e·s en compétition (Arnaud Desplechin, Hong Sang-Soo, Gaspard Noé, Mathieu Amalric, Kornél Mundruczo…), dont l’existence semble vraiment motivée par un désir de totale exhaustivité sur la production de cinéma d’auteur de l’année. La présence de ces noms prestigieux dans cette catégorie B dit assez fortement la puissance d’attraction du label Cannes face aux autres festivals.
Dernière case de la sélection officielle, Un certain regard (20 films) joue en revanche à fond la carte du défrichage et de la jeunesse. Tout comme les deux sections hors sélection officielle : la Semaine de la critique et la Quinzaine des réalisateurs. C’est la vocation de la Semaine de ne présenter que des 1ers ou deuxièmes films. Cette édition, la dernière de son directeur Charles Tesson (après un double mandat de 10 ans), est néanmoins pourvue de films fortement attendus (de cinéastes très remarqué·e·s par leurs courts, comme Charline Bourgeois-Tacquet ou Emmanuel Marre, ou associé·e·s à des figures populaires, comme le 1er long réalisé par Sandrine Kiberlain ou le film d’ouverture, Robuste de Constance Meyer, porté par Gérard Depardieu). Moins tenue de ne privilégier que les découvertes, la Quinzaine des réalisateurs a fait aussi le choix fort d’une programmation tournée vers la prospection – à l’exception des films d’Emmanuel Carrère, Jean-Gabriel Périot et Miguel Gomes. Une décision dont il faudra juger de la pertinence sur place et dont on espère qu’elle nous réserve des emballements de taille.
Pour l’heure, c’est donc Annette de Leos Carax qui concentre toutes les attentions et lance le festival. Un film à la fois très sombre dans son propos, mais extrêmement stupéfiant dans sa forme lyrique exacerbée. Le prologue du film montre littéralement tous les protagonistes du film entrer en scène, avec un allant et un enthousiasme communicatifs. Une belle façon de figurer ce retour au cinéma, cette reconquête des puissances du spectacle trop longtemps confisquées et dont Cannes promet d’être cette année plus que jamais le temple enfiévré.