En Afghanistan, le retour des talibans au pouvoir semble inéluctable
MOYEN-ORIENT - La question n’est plus tellement “si”, mais plutôt quand. En Afghanistan, l’offensive des insurgés talibans, lancée en mai à la faveur du début du retrait final des troupes de la coalition menée par les États-Unis, s’est accélérée...
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MOYEN-ORIENT - La question n’est plus tellement “si”, mais plutôt quand. En Afghanistan, l’offensive des insurgés talibans, lancée en mai à la faveur du début du retrait final des troupes de la coalition menée par les États-Unis, s’est accélérée depuis plusieurs semaines, accumulant les victoires.
Les talibans contrôlent désormais neuf des 34 capitales provinciales de l’Afghanistan, toutes tombées comme des dominos. Sept sont d’ailleurs situées dans le nord au pays, une région qui leur avait pourtant toujours résisté jusqu’ici.
“Oui”, acquiesce auprès du HuffPost, Sébastien Boussois, la chute de l’Afghanistan aux moins des talibans est désormais inéluctable. Pour le chercheur en sciences politiques associé à l’Université Libre de Bruxelles et auteur de Daesh la suite, c’est un scénario qui était largement anticipable par la communauté internationale. “Les talibans préparent cela depuis des années, leur principal objectif a toujours été la reconquête de l’Afghanistan, contrairement à Daech qui souhaitait mettre en place un califat puis travailler à son extension”, détaille-t-il. Les insurgés souhaitent comme à la fin des années 90 réinstaurer un régime islamique et la charia.
Les talibans contrôlent 60% de l’Afghanistan
Aujourd’hui, le mouvement, plutôt protéiforme, et qui compte de 30 à 60.000 combattants “a profité de son emprise forte dans les campagnes pour gagner peu à peu les villes, note Sébastien Boussois.
Tactiquement, il a aussi modifié sa stratégie par rapport à sa conquête du pouvoir en 1996, relève de son côté pour franceinfo, Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Cette fois les talibans, qui ont leurs soutiens historiques dans le Sud pachtoune, ont commencé leur insurrection par le nord de l’Afghanistan, une zone dans laquelle ils avaient rencontré des résistances à la fin des années 90.
Ils maitrisent désormais plus de 60% du territoire, les importants postes-frontière, et surtout la riche région du Hemland (autour de Lashkar Gah), où se trouve la majeure partie de la production d’opium en Afghanistan, 1er État narcotrafiquant au monde. De quoi générer d’importants revenus, mais aussi se constituer des leviers d’influence.
Ascendant psychologique des talibans
Le peu que les talibans ont encore à conquérir est par ailleurs globalement acquis à leur cause, de quoi conserver l’ascendant psychologique. Si bien que les soldats de l’armée régulière, environ 300.000 personnes, n’hésitent pas à se rendre facilement et à livrer à l’ennemi le matériel et les armes dont ils disposent. “Il y a une forme de galvanisation pour les talibans. Le retrait des États-Unis, outre être une opportunité stratégique, est un formidable argument pour recruter. Le métarécit qui se joue ici c’est que les talibans ont gagné face aux Occidentaux qui sont repartis et vont gagner la reconquête. En face, l’armée afghane ne peut rien faire face à ceux qui sont prêts à mourir sur le terrain. Elle se retrouve aussi sans leadership fort du pouvoir, alors que les élites apparaissent rongées par la corruption”.
Impossible non plus pour l’armée afghane de se reposer complètement sur l’héritage américain et sur le support aérien que les Etats-Unis continuent de fournir. Quant à la formation reçue, elle ne permet pas complètement de répondre aux nouveaux modes de guérillas, pointe Sébastien Boussois. Les États-Unis ont bien laissé des hélicoptères Black Hawks, mais impossible pour les forces afghanes d’en assurer la maintenance à long terme. Un exemple parmi d’autres.
Ce mercredi 11 août, alors que des “centaines” de membres des forces de sécurité, qui s’étaient retirés près de l’aéroport de Kunduz, se sont rendus aux talibans, le président afghan, Ashraf Ghani, est arrivé à Mazar-i-Sharif. La grande ville du nord de l’Afghanistan est assiégée par les talibans et sa chute serait un coup sans précédent. Objectif du chef de l’Etat: tenter de coordonner la riposte face aux insurgés mais aussi remotiver les troupes. Visiblement peu optimiste lui-même, le chef de l’État a également récemment rencontré d’anciens Seigneurs de la guerre (qui avaient joué un rôle important dans le déclenchement de la guerre civile en 1992) pour demander un appui militaire.
Une puissance populaire en ascension
La progression rapide des insurgés s’explique aussi par la raisonnante de leur dans la population, et ce, en dépit d’un bilan civil au moins 183 civils tués en un mois à Lashkar Gah et Kandahar (sud), Hérat (ouest) et Kunduz, selon l’ONU. “Il y a une lassitude la population afghane, éreintée et humiliée par une présence étrangère de 20 ans. Aujourd’hui, face à la corruption des élites, il y a une envie de croire que ce mouvement islamiste sera plus propre et remettra de l’ordre dans l’organisation du pouvoir”, pointe Sébastien Boussois.
Une brèche ouverte aussi en partie par l’opération des alliés occidentaux, ajoute sur le site de Science-Po, Gilles Dorronsoro, spécialiste de la région: “La cause principale de la défaite occidentale est d’avoir laissé aux talibans l’idée de l’État en construisant par exemple un système judiciaire plus fiable que celui du gouvernement”.
Les insurgées n’hésitent évidemment pas à jouer de cette image. Dans une tribune publiée dans le New York Times, le numéro deux du mouvement, promettait de construire un système plus égalitaire, avec doit à l’éducation et au travail pour les femmes notamment. Ce qui n’empêche pas ses combattants de détruire école et hôpitaux.
À cela s’ajoutent des moyens de communication dont ne disposait pas le mouvement il y a 20 ans et auxquels il s’est adapté. Le mouvement partage régulièrement sur les réseaux sociaux des images de soldats en train de déserter, ou des photos d’insurgés.
Une légitimité à l’internationale?
Des messages qui ne s’adressent pas seulement aux Afghans, mais aussi à la communauté internationale, comme l’illustre d’une certaine manière le choix du New York Times. À cet égard, les réactions des pays voisins laissent peu de doute sur leur vision de la suite. Le ministre chinois des Affaires étrangères a reçu fin juillet une délégation de neuf talibans. “La Chine veut s’assurer un avenir avec le prochain régime fort en Afghanistan, l’objectif évident c’est de déployer encore un peu plus les nouvelles routes de la soie”, abonde Sébastien Boussois.
Du côté de l’Iran note Bayram Balci, chercheur à Sciences Po, dans Le Figaro, les digues cèdent aussi: “Aujourd’hui, les Iraniens préfèrent composer avec les talibans (...) La situation n’est plus la même qu’il y a vingt ans, le contexte et les personnes ont changé”, détaille-t-il. Quant au Pakistan, dont les frontières afghanes sont désormais sous contrôle taliban et qui est régulièrement soupçonné d’apporter un appui militaire, “il veut éviter qu’un régime favorable à l’Inde ne prenne pied à Kaboul car le Pakistan craint d’être pris en tenaille”, précise Jean-Luc Racine, spécialiste de la région au CNRS, dans Le Figaro.
Même en Europe, le ministre de la Défense britannique, Ben Wallace, s’est dit prêt à discuter avec les talibans s’ils entraient au gouvernement. Des signaux qui comme le souligne Sébastien Boussois montrent aussi une volonté de pousser le prochain gouvernement afghan et a priori taliban, vers la tempérance et la normalisation.
Les États-Unis ont par la voix de Joe Biden dit ne rien regretter de leur retrait. Washington s’est néanmoins entretenu ce mercredi avec Moscou, Pékin et Islamabad afin de préparer une rencontre prochaine avec les représentants des talibans et du gouvernement afghans. Il s’agira alors de pousser vers un cessez-le-feu auquel se refusent les insurgés.
“La question qui reste, c’est de savoir comment se fera la prise de Kaboul. Est-ce que cela sera un siège? Est-ce qu’il y aura des négociations, ou est-ce que ce sera une attaque frontale?”, interroge Sébastien Boussois. Dans le Washigtnon Post, une source militaire américaines prévoit une chute de Kaboul dans une période de 90 jours. De nombreux observateurs pointent également du doigt la date symbolique du 11 septembre, 20 ans après l’attentat du World Trade Center.
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