En Birmanie, comment la jeunesse utilise les codes d'Internet pour manifester
BIRMANIE - Il ne suffit plus de défiler dans la rue pour se faire entendre, et les Birmans l’ont bien compris. Dans ce pays très jeune, les contestataires brandissent désormais des pancartes en anglais et organisent des sit-in (rassemblements...
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BIRMANIE - Il ne suffit plus de défiler dans la rue pour se faire entendre, et les Birmans l’ont bien compris. Dans ce pays très jeune, les contestataires brandissent désormais des pancartes en anglais et organisent des sit-in (rassemblements assis) ou des événements ponctuels comme des concerts ou des défilés en robe de soirée, comme vous pouvez le voir dans la vidéo en tête de cet article.
Contactée par Le HuffPost, Chloé Baills, doctorante en sociologie politique à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), confirme qu’en Birmanie, l’essentiel des communications pour organiser le mouvement de désobéissance civile passe par Internet et les réseaux sociaux, depuis le 1er février, jour du coup d’État perpétré par le général Min Aung Hlaing.
Au départ, des dizaines de milliers de Birmans descendent dans les rues pour protester contre ce qu’ils estiment être un vol de leurs élections législatives de novembre 2020, où ils avaient largement plébiscité le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). Réprimées dans la violence, les manifestations changent alors de forme.
Chloé Baills explique que 30% de la population a moins de 25 ans. Ainsi, nombre d’entre eux ont grandi avec Internet et l’ouverture politique du pays notamment à partir de 2011, après plus de 60 ans sous le joug de la junte militaire. La jeunesse s’est ainsi emparée de la culture web pour imaginer des moyens de protester tout en essayant de se protéger.
Le poids des images
Dans de nombreuses villes du pays et particulièrement à Rangoun, la capitale, exit les pancartes en birman. C’est désormais en anglais que les manifestants choisissent leurs slogans. Ainsi, les images de leurs phrases les plus drôles sont partagées dans le monde entier et aident à faire connaître leur situation.
Leurs pancartes le martèlent: la junte militaire est “pire que d’avoir ses règles”. La situation est tellement désastreuse que “même les introvertis sont là”, peut-on également lire. Une autre proclame: “Mon ex est vraiment terrible, mais l’armée birmane est pire”.
La créativité de ces manifestants ne se limite pas à quelques slogans acérés. Désormais, ils organisent de courts évènements comme des concerts de musique classique ou de ukulélé, ils arrêtent des voitures sur les routes pour bloquer la circulation, des femmes se vêtissent de robes de soirée tandis que les hommes inscrivent des slogans à même leurs torses nus.
Les réseaux sociaux n’ont pas seulement diffusé leurs messages, mais ils ont aussi connecté les manifestants birmans à des internautes à Hong Kong ou en Thaïlande, qui leur ont donné des conseils pour rester en sécurité pendant les manifestations. Ainsi, ils ont repris le signe de la main vu dans “Hunger Games” qui signifie la résistance et qui est aussi régulièrement utilisé par les manifestants thaïlandais. Rien de tout cela n’aurait été possible il y a dix ans.
Un désir d’ouverture sur le monde
Avant que la Birmanie n’entame sa transition démocratique en 2011, des cyber cafés étaient présents dans les grandes villes, mais l’accès à Skype, Gmail et Facebook était restreint, en raison de l’isolement imposé par les militaires.
Cette situation a changé en 2013, quand le gouvernement a mis fin au monopole d’État sur les télécommunications et quand les prix des cartes SIM ont chuté, tandis que des téléphones chinois bon marché, avec Facebook préchargé, sont devenus largement accessibles.
Les militaires ont déjà essayé de réduire l’accès à internet pendant deux jours et le coupent désormais plusieurs heures pendant la nuit, mais des utilisateurs contournent la censure en utilisant des VPN ou des cartes SIM étrangères.
Des pirates informatiques ont même attaqué ce jeudi 18 février des sites internet gouvernementaux en Birmanie en réponse à un blocus nocturne du web imposé par la junte. Un groupe baptisé “Les Hackers de Birmanie” a ciblé la page de propagande de l’armée birmane, ainsi que les sites internet de la chaîne de télévision d’État MRTV, de l’autorité portuaire ou de l’agence de sécurité sanitaire et alimentaire. Comme le dit l’un des slogans qui prolifèrent en Birmanie, les militaires ont “plaisanté avec la mauvaise génération”.
À voir également sur Le HuffPost: En Birmanie, de la musique et des fausses pannes de voitures pour lutter contre la junte