En Martinique, le scandale du chlordécone menacé par la prescription

JUSTICE - “Stupeur”, “déni de justice”. Les mots d’Alfred Marie-Jeanne, président de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), sont forts. Ils reflètent la colère générale provoquée par l’annonce d’une possible prescription d’une plainte...

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Une plainte déposée il y a 14 ans pour empoisonnement au chlordécone par des associations martiniquaises et guadeloupéennes pourrait tomber sous le coup de la prescription, ont elles indiqué jeudi à l'issue d'une audition au TGI de Paris. (photo d'illustration d'un régime de bananes, prise en Martinique en novembre 2005)

JUSTICE - “Stupeur”, “déni de justice”. Les mots d’Alfred Marie-Jeanne, président de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), sont forts. Ils reflètent la colère générale provoquée par l’annonce d’une possible prescription d’une plainte pour empoisonnement au chlordécone déposée il y a 14 ans par des associations martiniquaises et guadeloupéennes. 

Trois associations de Martinique et quatre de Guadeloupe ont été auditionnées mercredi 20 et jeudi 21 en visioconférence par deux juges d’instruction du pôle santé du TGI de Paris, 14 ans après le dépôt de leur plainte - la plus aboutie à ce jour - pour “mise en danger de la vie d’autrui”. 

Elles avaient déposé plainte dès 2006 contre l’empoisonnement de leurs îles au chlordécone, un pesticide interdit en France en 1990 mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu’en 1993. Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.

Mais lors des auditions, les juges d’instruction ont appris aux associations que des preuves avaient disparu et que le dossier pouvait être sous le coup d’une prescription, ont dénoncé les associations martiniquaises aux médias locaux au sortir de l’audition.

Le président de la CTM interpelle Macron

“L’une des juges d’instruction” a évoqué “des obstacles juridiques et de fait aux suites de procès” tout en restant “ouverte encore quelques semaines à la démonstration, par nous avocats, qu’il ne pouvait pas y avoir prescription”, a déclaré à l’AFP Harry Durimel, avocat des parties civiles guadeloupéennes.

″Ça fait 14 ans que ça traîne devant leurs tribunaux et aujourd’hui on nous dit que les faits sont prescrits? Ce n’est pas de notre fait!”, s’est emporté Pascal Tourbillon, représentant l’ASSAUPAMAR (l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais) au micro de la radio RCI.

Alfred Marie-Jeanne, ancien député désormais à la tête de la CTM, a lui directement interpellé Emmanuel Macron: “Les Martiniquais ont besoin de vérité et de justice dans cette affaire. Ils ont le sentiment d’avoir été trahis par l’État et abandonnés par ceux-là mêmes qui auraient dû les défendre”, écrit-il, évoquant des “faits scandaleux”.

“Monsieur le Président, il m’apparaît que votre intervention s’impose en tant que Président du Conseil Supérieur de la Magistrature pour prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les Martiniquais et les Guadeloupéens reçoivent, dans cette affaire, un traitement équitable, le soutien de l’État et une réponse proportionnée aux préjudices subis”, réclame le président du Conseil exécutif martiniquais. 

Une demande appuyée par d’autres personnalités politiques locales pour qui l’empoisonnement au chlordécone est “un scandale d’État, comparable à celui du sang contaminé”.

 

La question de la réparation, jamais tranchée à ce stade, est l’une des plus sensibles du dossier. La création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques a été inscrite et adoptée dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2020, mais elle est loin d’être jugée satisfaisante. L’indemnisation des agriculteurs et des pécheurs, pénalisés par les écoulements d’eau, est aussi sur le tapis.

Me Louis Boutrin, l’avocat de l’Association pour une écologie urbaine basée en Martinique, demande pour sa part à ce que l’on close au plus vite l’instruction pour passer aux mises en examen et précise qu’“il y a aujourd’hui des rapports de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) qui n’ont pas été pris en compte, qui sont des infractions commises en 2006 et qui permettent de repousser les limites de la prescription”.

“En droit français, lorsque les faits sont dissimulés, le délai de prescription ne court qu’à compter de la révélation des faits. Or on nous dit que les recherches continuent pour établir de façon indiscutable le lien entre cancer de la prostate et chlordécone”, renchérit Me Durimel.

Les associations mobilisées en Martinique, l’AMSES (Association médicale de sauvegarde de l’environnement et de la santé), l’ASSAUPAMAR et l’Association pour une écologie urbaine, envisagent de saisir les juridictions européennes notamment la Cour européenne des droits de l’homme, si la plainte n’aboutit pas.

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