Entretien avec Joseph Schiano di Lombo, un artiste qui a du chien
Passé par le Conservatoire puis les Arts déco, le jeune virtuose du piano Joseph Schiano di Lombo est devenu maître dans l’art de mélanger et de faire entrer en collision, pop et classique, art contemporain et musique, second et 1er degré,...
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Passé par le Conservatoire puis les Arts déco, le jeune virtuose du piano Joseph Schiano di Lombo est devenu maître dans l’art de mélanger et de faire entrer en collision, pop et classique, art contemporain et musique, second et 1er degré, canidés et ambient, absurde et taoïsme à l’image de ses folles reprises du If You Had My Love de Jennifer Lopez ou du Désenchantée de Mylène Farmer qui, l’année dernière, ont affolé les réseaux sociaux.
Mais aussi de son exposition multi-facettes Musique pour Arp, où se télescopaient le célèbre sculpteur et l’instrument à cordes, de son installation Hairkus, dans un salon de coiffure, de quatrains sans paraben dédiés aux produits de beauté ou avec ses cadavres exquis – “J’ai tâché mon Boléro de Javel” – dédiés à l’association les Amis de l’Opéra. Dernière facétie de ce musicien écartelé et touche-à-tout, Musique de Niche, un disque de ballades au piano entièrement dédiées aux chiens et doux comme des papouilles poilues.
Tu t’es lancé quand dans la musique ?
Joseph Schiano di Lombo – J’ai commencé vers quatre ans, je jouais de la clarinette et j’étudiais le solfège. Comme beaucoup d’enfants, c’était une proposition de mes parents, mais il n’y avait aucune obligation, j’aurais été tout à fait libre d’arrêter si ça ne m’avait pas plu. Par contre, ce n’est que plus tard, à quatorze ans, que je me suis mis au piano. J’ai eu un électrochoc un soir en regardant sur Arte un concert de Martha Argerich, qui jouait le concerto pour piano en La mineur de Schumann, ça m’a tellement bouleversé que je me suis dit : “La clarinette c’est fini” !
Tes parents étaient mélomanes ?
Ma famille aime la musique, c’est certain, mais disons qu’on ne partage pas vraiment les mêmes goûts. Mes parents écoutent beaucoup de variété et de rock alors que très tôt, j’ai creusé mon propre sillon dans la musique romantique et baroque, ce qu’on appelle généralement la musique classique, qui très vite m’a complètement fasciné.
Tu sembles avoir une prédilection pour la musique du 20ème siècle ?
Oui et non, j’écoutais tout à l’heure un album de musique instrumentale de danses de la renaissance. Mais effectivement, j’ai une affinité très forte avec la musique dite française du début du 20ème mais je ne me limite pas à cette catégorie. Je suis un grand fan de Ravel et Satie mais aussi de tous les Russes de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, comme Prokofiev ou Stravinsky, mais aussi d’Olivier Messiaen ou Tristan Murail, tout la musique plus actuelle et savante, entre guillemets.
Ça s’accompagne aussi d’un goût pour les musiques expérimentales électroniques ?
Quand c’était encore possible, j’allais souvent voir les concerts de l’Ircam et de l’Ensemble Intercontemporain. Je me suis intéressé à la musique électronique par le biais d’amis mais ce qui me plaît le plus c’est l’ambient découvert pendant que je soutenais mon mémoire aux Arts déco. Qui justement tournait autour de la question : est-ce que la musique, comme le dessin, qui peut à la fois être vendu dans des galeries et devenir des motifs sur des canapés, peut ou doit être décorative ? J’adore la musique douce qui ne s’impose pas et accompagne la pensée.
Tu te préparais à une carrière classique dans la musique puis dans les arts déco, et finalement tu as abandonné. Tu ne sens pas à ta place dans les statuts trop bordés ?
Je ne sais pas, je n’ai pas envie spécialement d’être quelque part, j’aime beaucoup le mouvement. Je me souviens d’une phrase de l’artiste Jean Tinguely : “L’unique chose stable, c’est le mouvement partout et toujours”. Ce qui me donne précisément cette stabilité, c’est ce mouvement perpétuel, c’est amusant, car ça fait écho à ce qu’on appelle en musique le mouvement perpétuel, c’est-à-dire des morceaux qui vont très vite et où les notes n’arrêtent pas de se succéder. Je préfère la lenteur en général, je ne suis pas un grand excité, même si je ne reste pas beaucoup en place non plus.
Tu es à la fois dessinateur, artiste contemporain, musicien et écrivain. Est-ce que ton travail, pour reprendre un mot à la mode, s’inscrit dans un contexte de fluidité ?
C’est amusant parce que je n’ai jamais utilisé ce mot. Il y a ce terme terriblement barbare de pluridisciplinarité que je n’aime pas du tout, auquel j’y oppose la notion d’artiste indisciplinaire. Je n’ai jamais beaucoup aimé la discipline, sauf quand je me suis mis à faire du piano, je sentais bien que j’avais un énorme retard à rattraper doublé d’une énorme envie d’en jouer. Mais en général, je laisse plutôt les choses se faire, là est mon indiscipline, dans chaque discipline, il y a des choses à maîtriser, des choses à apprendre, mais je ne les ai jamais vécues autrement que dans le plaisir, dès que je sentais qu’il y avait une forme de lutte ou quoi, que ça devenait trop difficile, ce que j’ai fait pour le piano à un moment donné quand ça devenait trop, trop difficile, les pièces, quand ça devenait trop, j’ai arrêté.
Quand as-tu commencé tes fameuses reprises au piano ?
L’année dernière sur Instagram, je me suis amusé à faire des covers au piano de tubes pop. Les gens me demandaient des titres et, un peu comme un DJ de mariage, je me filmais en train de jouer ma petite variation de 15 secondes pour que ça colle dans les stories. Et puis, il y a eu If You Had My Love de Jennifer Lopez que j’ai allongé car ça sonnait très bien au piano mais ce n’était pas de ma faute, c’est comme ça, suivi de Désenchantée de Mylène. Du coup, j’ai créé cette petite série qui va continuer et que j’espère amener plus loin sur d’autres types de répertoire.
Il existe une tradition de la reprise au piano, du coup tu as écouté ce qui c’était déjà fait ?
Non jamais ! Il y a une petite voix qui me dit que quand on laisse ses intuitions, on est toujours soi, mais aussi différent. Il y a un truc très répandu en musique et je le constate en studio, les mecs écoutent ce qui se fait, puis essaient de le calquer mais différemment. C’est comme dans la mode où tu as des moodboards qui donnent les tendances. Quand j’ai repris Mylène Farmer au piano, j’ai calqué des styles différents, sur les deux versions, j’en ai fait une façon Gymnopédies de Satie et une autre dans le genre du Prélude de Debussy, mais en général je n’aime pas trop suivre un programme défini. Par exemple, je publie prochainement un livre, mon 1er, en collaboration avec la graphiste Fanette Mellier. C’est un roman policier, je n’ai jamais lu un polar et loin de moi l’idée d’en lire une trentaine avant d’écrire mon texte. J’ai, en fait, une sorte d’irrévérence absolue pour les codes arrêtés et contraignants.
>> A lire aussi : Qui est Donna Haraway, la pionnière du cyberféminisme ?
Comment t’es-tu retrouvé à signer sur le label Cracki ?
Je connais Donatien Cras de Belleval et François Kraft (les deux fondateurs du label, ndlr) depuis presque dix ans. L’idée est venue d’une discussion avec le label Cracki, je leur ai fait part de mon désir d’écrire un disque pour les Golden Retriever même si je n’avais aucune idée de la forme que ça pourrait prendre, ça s’est avéré en fait très différent de ce que j’imaginais au départ et c’est devenu un disque consacré aux chiens, Musique de Niche, inspiré par le classique Mother Earth’s Plantasia de Mort Garson conçu pour faire pousser les plantes. Cracki a créé une division dans son catalogue qui s’appelle Meditation et mon album sera le 1er album de cette collection. Ce sont des musiques, pas forcément à streamer ou sur lesquelles danser, mais à écouter entre guillemets.
On peut aussi entendre le mot niche comme une musique de repli et de confinement ?
Oui c’est ça, et en même temps, la niche en fait qu’est-ce que c’est réellement ? Le concept de niche, ça ne dépend pas vraiment de la musique écoutée mais plutôt du nombre de streams. Si mon disque n’est pas beaucoup écouté je vais rester dans la catégorie niche, si ça devient un hit-parade, ce qui à mon avis ne sera pas le cas, je deviendrais un gros chenil avec beaucoup trop de croquettes à gérer.
Pourquoi spécialement les chiens ?
J’ai grandi avec une labrador adorable qui s’appelait Maori à qui l’album est dédié. Ce qui me touche avec les animaux dits de compagnie, c’est ce lien qu’ils tissent avec nous, et ce qui me plait énormément chez les chiens c’est tout le bonheur qu’ils transmettent, leur douceur, leurs caresses, leur gentillesse. J’aime l’idée que Musique de Niche soit une sorte de compagnon, une sorte d’aide, surtout en ces moments compliqués avec l’épidémie de Covid.
Tu t’es inspiré de la fabuleuse publicité Royal Canin ?
Pas trop en fait. J’adore Ennio Morricone mais je ne suis pas très fan de ce thème. Je préfère nettement la parodie Royal Rabbin qu’en avaient fait les Nuls !
Ton disque est aussi infusé par les théories de la cyberféministe Donna Haraway qu’on pourrait résumer rapidement en “rien ne se crée, tout se transforme quelque part”?
C’est une sublime penseuse qui vit en Californie, elle a créé le néologisme humicité pour causer d’humanité, elle cause de l’humus comme d’une matière qui nourrit des réseaux de vie et de mort. Et c’est ce qu’il faut tisser en fait, elle dit qu’il faut vivre avec, qu’il ne faut pas juste vivre, le “avec” est permanent et le “avec” c’est tout ce qui peuple l’humus. Ça m’a beaucoup amusé de me surnommer humusicien en référence à ce titre de Donna qui s’appelle Vivre avec le trouble. J’ai lu ce livre et les taoïstes pendant le confinement et ça m’a beaucoup apporté.
Tu songes à adapter Musique de niche pour la scène ?
Ça m’ennuie un peu parce qu’au départ, c’est essentiellement de la musique à écouter chez soi et au départ dédié aux chiens. Alors si on peut faire ça dehors dans un parc avec des chiens, que ça soit festif, oui pourquoi pas. Mais je ne m’imagine pas faire le tour de France avec ce projet, d’ailleurs les tourneurs de spectacle le pensent aussi, ce n’est pas trop le genre de concerts que le public réclame. Par contre, je réfléchis à un live pour bientôt où les choses, en bon humus d’ailleurs, se mélangeraient, autant les reprises que les créations.
Tu l’as fait écouter à des chiens pour voir leur comportement ?
Oui, ça les rend très calmes, ils aiment bien je crois !
Propos recueillis par Patrick Thévenin
Joseph Schiano Di Lombo : Musique de Niche (Cracki Records)