"Envoyé spécial": la thèse du coronavirus échappé d'un labo doit-elle être prise au sérieux ?

SCIENCE - Il y a un an, le 11 mars 2020, l’OMS annonçait enfin, après avoir longuement hésité, que le coronavirus Sars-Cov2 était en train de provoquer une pandémie. C’est justement à l’occasion de cet anniversaire que France 2 a choisi de...

"Envoyé spécial": la thèse du coronavirus échappé d'un labo doit-elle être prise au sérieux ?

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SCIENCE - Il y a un an, le 11 mars 2020, l’OMS annonçait enfin, après avoir longuement hésité, que le coronavirus Sars-Cov2 était en train de provoquer une pandémie. C’est justement à l’occasion de cet anniversaire que France 2 a choisi de diffuser un épisode de l’émission “Envoyé Spécial” consacré au “mystère des origines”. Alors que le Covid-19 se propage sur la planète depuis plus d’un an, nous ne savons toujours pas avec certitude comment est apparu Sars-Cov2. 

Dans son reportage, l’émission d’enquête se concentre sur une unique piste que l’on pourrait juger étrange au premier abord: celle d’un accident, d’un virus échappé d’un laboratoire en Chine, à Wuhan. Plutôt le genre d’hypothèse que l’on voit circuler depuis un an dans les théories du complot.

Sauf que dans “Envoyé Spécial”, les chercheurs interrogés sont de vrais virologues spécialistes de la question, dont beaucoup estiment que la piste d’une fuite d’un laboratoire est la plus probable pour expliquer l’émergence de ce nouveau coronavirus. Alors, faut-il donner du crédit à cette thèse?

 

Nous sommes ici confrontés à une controverse scientifique assez classique, nourrie par une absence de consensus, entremêlée de politique. Pour bien comprendre, il faut expliquer le contexte autour des origines du Covid-19, mais surtout interroger la manière dont la science se construit à petits pas.

Une hypothèse sérieuse, mais minoritaire

Le scénario d’une fuite est considéré comme possible par de très nombreux scientifiques. Très peu vont jusqu’à nier avec certitude cette possibilité. Cette hypothèse n’en demeure pas moins très incertaine. “Envoyé Spécial” le précise d’ailleurs d’entrée, expliquant qu’il y a notamment “deux théories” concurrentes: la piste du laboratoire et celle, plus connue, d’une origine naturelle classique: le Sars-Cov2 a émergé via une mutation d’un coronavirus de chauve-souris (ou d’un autre animal) le rendant capable d’infecté l’homme.

Et si cela n’est pas dit dans le reportage, la journaliste d’Envoyé Spécial Virginie Vilar l’a confirmé au HuffPost dès le début de notre entretien: “la communauté scientifique dans sa grande majorité privilégie la zoonose [la transmission naturelle d’une maladie animale chez l’homme, NDLR]”. Quant au fait de ne pas parler en détail de la théorie d’une origine naturelle, la journaliste explique avoir voulu “décrypter de manière clinique la piste du laboratoire, qui est déjà très complexe en soi”.

De la Chine à la France en passant par l’Inde, “Envoyé Spécial” interroge donc durant 40 minutes plusieurs scientifiques qui ont publié sur ce sujet et apportent des faits troublants et bien documentés. Il est ainsi expliqué que l’un des plus proches parents du Sars-Cov2 (RATG13) provient d’une chauve-souris découverte en 2013 dans le Yunnan, à 1000 km de Wuhan.

Que les chercheurs ayant étudié ces coronavirus ont justement un laboratoire à Wuhan. Que la base de données contenant des informations sur ces virus a été supprimée 3 mois avant le début de la pandémie. Que dans la mine où a été découvert RATG13, 6 mineurs ont été hospitalisés, possiblement à cause d’une pneumonie en 2013.

Ou encore qu’à la différence du Sars-Cov1, dont il est proche, le coronavirus qui s’abat sur le monde depuis un an dispose d’une particularité, appelé “site de clivage de furine”, qui le rend particulièrement contagieux pour l’homme. Tout en sachant que plusieurs scientifiques, y compris à Wuhan, cherchent justement à entraîner une évolution des virus en laboratoire pour mieux les cerner et les combattre.

Des affirmations et leurs contraires

Chaque élément, pris isolément, n’apporte pas de preuve concrète et absolue d’une fuite de laboratoire. Mais bout à bout, ils permettent d’esquisser un scénario inquiétant. Et qui mérite clairement d’être soit validé, soit réfuté. C’est comme cela que fonctionne la science: en proposant des hypothèses qui peuvent être soit infirmées, soit confirmées. “Envoyé Spécial” n’évoque par contre pas les conclusions et études d’autres scientifiques, présentant cette fois des éléments accréditant la thèse d’une zoonose classique pour le Sars-Cov2, voire tentant de réfuter les affirmations ci-dessus.

Dans une étude publiée le 16 janvier, des chercheurs ont analysé la distribution des chauves-souris et les différents virus retrouvés dans divers échantillons récoltés en Chine. Les auteurs affirment notamment, au vu de l’évolution génétique connue des virus, que RATG13 et le Sars-Cov2 partagent un ancêtre commun... qui aurait existé il y a plus de 25 ans.

Dans une autre parue dans Nature, les auteurs estiment au vu de l’analyse génétique de nombreux coronavirus que la lignée ayant donné naissance au Sars-Cov2 circule en sous-marin probablement “depuis des décennies chez les chauves-souris”. Et qu’en conséquence, il est fort possible que d’autres coronavirus proches du Sars-Cov2 incubent dans des chauves-souris à de nombreux endroits en Asie, ne demandant qu’à être découverts. Le 9 février, une étude d’une équipe internationale publiée dans Nature a dévoilé un autre coronavirus très proche du Sars-Cov2 découvert… dans une cave de Thaïlande.

Quant au “site de clivage de furine”, qui distingue notamment le Sars-Cov2 du Sars-Cov premier du nom, il n’y a pas de réponse simple non plus. Comme l’expliquait en mai le virologue Ian M. Mackay sur Twitter, de très nombreux coronavirus disposent de séquences génétiques apparentées. Une étude publiée le 21 février sur des coronavirus tend également à montrer que ce site de clivage de furine peut apparaître de manière naturelle sur des virus proches du Sars-Cov2.

Une “science en action” doit se contredire

Ces quelques exemples n’apportent aucune vérité absolue. Elles ne résolvent pas l’énigme de l’origine de ce coronavirus pandémique. Et elles ont sûrement (ou seront) auscultées, critiquées, voire remises en question par d’autres travaux. Tout cela peut sembler étonnant pour qui ne connaît pas la méthode scientifique. N’a-t-on pas tendance à se dire que la science est une certitude?

Mais le consensus scientifique n’émerge pas naturellement, comme nous le rappelions en décembre dans cet article dédié au rôle de la science dans le débat public. Il se construit petit à petit, via des hypothèses validées ou réfutées par des expérimentations, parfois via des controverses opposant fortement différents groupes de chercheurs. C’est ce que le philosophe et sociologue des sciences Bruno Latour appelle “la science en action”, un phénomène dans lequel il n’y a pas de vérité absolue, mais plutôt des hypothèses, parfois issues de partis pris, d’idéologies, d’influences. C’est à force d’interrogations, de théories et d’expériences que se dégage ce que le sens commun perçoit comme la “science”, c’est-à-dire un savoir stabilisé.

Et bien malin celui qui pourrait prédire quel sera le consensus sur un sujet non tranché. La pandémie de Covid-19 a permis de médiatiser de manière extrême ce phénomène. Dans les premières semaines de l’épidémie, de nombreux médicaments existants ont été testés. L’un d’eux, l’hydroxychloroquine, a reçu une médiatisation importante. À l’époque, il n’était pas illogique de réaliser ce test, même si la majorité des scientifiques était plutôt dubitative. Depuis, des essais cliniques clairs et circonstanciés ont créé un début de consensus, toujours critiqué par un nombre très limité de médecins, affirmant que ce médicament était inefficace.

Autre exemple, inverse celui-là. La majorité des chercheurs et des autorités de santé estimaient dans les premiers mois de l’épidémie que le coronavirus se transmettait principalement via des gouttelettes projetées à moins de deux mètres par les malades lors d’échanges en face à face. Un petit nombre de scientifiques, principalement des spécialistes de chimie atmosphérique à l’instar de Jose Jiminez, ont tiré la sonnette d’alarme en affirmant que le coronavirus pouvait se répandre via l’air et donc infecter des personnes dans une pièce mal ventilée. La majorité des scientifiques considère aujourd’hui (avec toujours des incertitudes, évidemment) que la voie aéroportée est l’une des principales sources de contamination pour le Covid-19.

En définitive, la thèse d’un coronavirus échappé d’un laboratoire n’est pas une théorie du complot. Elle n’est pas non plus la réponse la plus probable à nos interrogations sur l’origine de cette pandémie. Elle est une hypothèse minoritaire, mais qui doit être examinée, infirmée ou confirmée. La pandémie grippale de 1977 est connue pour être l’une des seules provenant d’une erreur humaine. Si les chercheurs ne sont pas catégoriques, la thèse principale est que l’essai d’un vaccin sur des militaires aurait permis la réintroduction de cette souche grippale, la même que celle ayant causé la pandémie de 1918.

Mais trouver l’origine d’une épidémie prend du temps, surtout dans le cas d’une zoonose. Certes, pour le Sars-Cov1 en 2003, la civette a vite été qualifiée d’hôte intermédiaire, mais son rôle réel faisait encore débat en 2007. Pour que des certitudes puissent être établies sur l’origine du Sars-Cov2, il faut que les chercheurs continuent de tester, d’étudier, d’enquêter, d’analyser en toute transparence.

Obstruction chinoise

Il faudrait pour cela qu’ils le puissent. Or la Chine ne fait rien pour faciliter ce travail. Il a fallu un an pour que l’OMS puisse retourner à Wuhan pour une enquête sur les origines. Et même ainsi, la surveillance politique était forte.  Lors d’une première conférence de presse donnée en février à Wuhan, le responsable de la mission a affirmé que la thèse de la fuite d’un laboratoire était “extrêmement improbable”, soulevant des critiques concernant l’indépendance de l’organisation face au pouvoir chinois. Quelques jours plus tard, le directeur de l’OMS corrigeait le tir en rappelant que “toutes les hypothèses sont sur la table”, rapporte Science Magazine.

Virginie Vilar explique que pour le reportage de l’émission “Envoyé Spécial”, le tournage en Chine a été compliqué. “La censure est bien plus forte sur les origines du Covid que sur d’autres sujets, selon les dissidents à qui nous avons parlé”, explique la journaliste. Cela n’accrédite pas forcément la thèse de la fuite d’un laboratoire. Même si l’origine du Sars-Cov2 était naturelle, la Chine aurait de bonnes raisons de tout faire pour que cela ne se sache pas. Elle a d’ailleurs suggéré à l’OMS que l’origine du coronavirus se situe dans l’importation d’aliments congelés... et donc, hors du pays. Une thèse peu probable pour de nombreux scientifiques, mais fondée sur des études qu’il faudra également explorer.

Pour comprendre pourquoi la Chine rejette les inspections, il faut rappeler que la Chine “a été perçue par l’Occident comme l’homme malade de l’Asie depuis 200 ans”. C’est ce que nous expliquait il y a un an Frédéric Keck, anthropologue au CNRS et auteur des “Sentinelles des pandémies”. Depuis Mao, l’État chinois a cherché à montrer qu’il était capable de faire la guerre aux virus, une volonté redoublée suite à la première crise du Sars-Cov en 2003. Après avoir contrôlé l’épidémie d’une manière drastique alors que l’Occident a subi des vagues multiples et plus importantes, la Chine semble aller plus loin en rejetant l’idée même d’une origine chinoise du virus, naturelle ou artificielle.

En faisant cela, elle laisse planer le doute sur une faute humaine et, surtout, elle empêche de comprendre exactement d’où vient ce petit virus qui a tué 2,6 millions de personnes dans le monde. Alors même que la question de l’origine est essentielle pour tenter de se prémunir contre de futures pandémies.

À voir également sur Le HuffPost: À Wuhan, la visite très surveillée de l’OMS dans le marché berceau de la pandémie de Covid-19