Éric Dupond-Moretti a-t-il joué trop "perso" pour sa grande réforme judiciaire?

POLITIQUE - C’est sa réforme, celle d’un ancien ténor du barreau et de sa “connaissance charnelle” des tribunaux. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti présente ce mercredi 14 avril en Conseil des ministres son projet de loi pour “restaurer...

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EDM a-t-il joué trop

POLITIQUE - C’est sa réforme, celle d’un ancien ténor du barreau et de sa “connaissance charnelle” des tribunaux. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti présente ce mercredi 14 avril en Conseil des ministres son projet de loi pour “restaurer la confiance” dans la justice.

Au programme de ce texte aux larges contours: la captation des audiences, l’encadrement de l’enquête préliminaire, le renforcement du secret professionnel de la défense, la généralisation de cours criminelles départementales ou la suppression -surprise- des crédits de réduction de peines automatiques. 

Autant de sujets qui suscitent la crispation, pour ne pas dire plus, d’une partie du monde judiciaire, les magistrats en tête. Car sur la forme comme sur le fond, beaucoup accusent Éric Dupond-Moretti de jouer sa partition en soliste, poussant justement ses “marottes” d’ancien avocat, sans mener les concertations préalables à une telle réforme.

Les syndicats se plaignent d’avoir été écartés

Reprochant au ministre de leur avoir présenté un texte déjà ficelé et soumis au Conseil d’État avant de les avoir consultées, les organisations syndicales (magistrats et agents du ministère) ont boycotté à la quasi-unanimité fin mars des réunions avec la Chancellerie en dénonçant la méthode employée par le garde des Sceaux.

″Depuis le début du quinquennat, nos organisations ont l’habitude du mépris total pour le dialogue social (...) Pour autant, un nouveau cap est aujourd’hui franchi, votre direction et plus largement le ministère ne s’embarrasse cette fois même plus d’organiser en temps utile, au stade de la préparation du texte, des consultations bilatérales de façade sur un projet de loi qui aura pourtant une incidence sur de nombreux contentieux tant au civil qu’au pénal”, écrivaient la CFDT, la CGT, UNSA Services judiciaires, et trois autres syndicats, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux le 23 mars dernier. Toutes refusant de participer au “comité technique” portant sur la réforme.

Mais les critiques portent aussi sur le fond d’un texte qualifié de “fourre-tout”. “C’est une espèce de rencontre entre quelques marottes du ministre et la poursuite de la logique gestionnaire de la Chancellerie pour juger plus avec moins”, tacle notamment Katia Dubreuil, la présidente du Syndicat de la magistrature, dans des propos rapportés par l’AFP lundi 12 avril.

Plus globalement, après des mois de tensions avec le garde des Sceaux, contre lequel ils ont porté plainte devant la Cour de justice de la République (CJR), les trois syndicats de magistrats voient même dans certaines mesures phares une “défiance” à leur égard. 

L’incompréhension continue avec les magistrats

Et leurs griefs sont multiples. En 1er lieu, l’encadrement des enquêtes préliminaires, fixé comme une priorité dès sa nomination par Éric Dupond-Moretti, qui avait demandé une mission sur le sujet. À l’avenir, ces enquêtes préliminaires ne pourront excéder deux ans, une durée prolongeable d’un an sur autorisation du procureur.  “Une loi pour un épiphénomène”, alors que les enquêtes de plus de trois ans représentent “environ 3%” du total, regrette Ludovic Friat, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats.

Si certaines sont “aussi longues, c’est par manque de moyens de police judiciaire et parce que les enquêtes politico-financières notamment demandent du temps”, souligne-t-il. 

Même réprobation pour la réforme annoncée de la cour d’assises, objet d’une autre mission. Le garde des Sceaux souhaite rétablir la “minorité de faveur” supprimée en 2011, avec sept jurés au lieu de six siégeant aux côtés des trois magistrats professionnels, pour renforcer leur poids. Le projet prévoit également que des avocats honoraires de moins de 75 ans siègent dans les cours d’assises et les cours criminelles départementales, qui seront elles généralisées. 

D’autres “marques de défiance” pour Ludovic Friat, mais aussi “l’aveu de la faillite matérielle de la justice”. “On n’a pas assez de juges!”, tempête-t-il à l’AFP. 

Après des “débats vifs”, selon son président Jérôme Gavaudan, le Conseil national des barreaux (CNB), qui représente les 70.000 avocats français, s’est également opposé à cette présence d’avocats honoraires. La profession attendait plutôt le ministre sur le renforcement du secret professionnel. Si le texte inscrit le “secret de la défense” dans le code de procédure pénale, c’est-à-dire pendant une enquête, les avocats auraient souhaité que leur secret professionnel dans son ensemble soit protégé. “Ce n’est pas le grand soir du secret professionnel mais cela rétablit un certain nombre de principes juridiques”, nuance Jérôme Gavaudan.

Disposition surprise

Des avocats et des magistrats se sont aussi vivement émus de la volonté -surprise- du garde des Sceaux de toucher à l’exécution des peines, en supprimant les crédits “automatiques” de réductions de peines pour selon le ministre “inciter à l’effort” les détenus. 

Une mesure “populiste”, qui va alourdir la charge de travail des juges d’application des peines, un an après l’entrée en vigueur de la réforme des peines de l’ex-ministre Nicole Belloubet, ont dénoncé les professionnels. “On est dans la réforme permanente. On craint qu’il y ait un bug et que la machine s’arrête”, alerte Jacques Boulard, qui préside la Conférence nationale des 1ers présidents de cours d’appel, selon des propos rapportés par l’AFP.

“On est à bout. On n’a pas fini d’ingurgiter toutes les réformes qui nous sont tombées sur le coin du museau depuis le début du quinquennat”, renchérit Hervé Bonglet, secrétaire général de l’Unsa-Services judiciaires.  

Contacté par Le HuffPost, l’entourage d’Éric Dupond-Moretti n’a pas donné suite. Le garde des Sceaux, lui, loin d’évoquer une loi fourre-tout, estime que son texte est “le fruit d’une longue réflexion” pour restaurer la confiance -étiolée- des Français envers leur justice. “On cause de pacte social ici!”, expliquait-il au début du mois de mars sur France Inter, en louant ses convictions forgées au gré de ses expériences. Mais de la connaissance charnelle à l’interprétation personnelle, il n’y a qu’un pas. Que beaucoup estiment franchi.

À voir également sur Le HuffPost: Pourquoi Dupond-Moretti a été visé par cette rarissime interpellation au Sénat